Eglises d'Asie

Une loi népalaise met les chrétiens à l’épreuve

Publié le 29/08/2018




Une nouvelle loi, entrée en vigueur le 17 août, cherche à pénaliser les conversions religieuses. Pour la minorité chrétienne népalaise, il s’agit d’une manœuvre visant principalement les chrétiens, alors que le Népal fait partie des pays au monde où la population chrétienne augmente le plus rapidement. Selon les chrétiens, ils seraient plus de trois millions dans le pays, sur une population de 29 millions d’habitants. Beaucoup de Népalais seraient attirés par le christianisme en raison de leur frustration contre le système de caste régressif et toujours profondément ancré dans le pays.

L’adoption d’une nouvelle loi pénalisant les conversions religieuses au Népal a provoqué une nouvelle vague d’inquiétude et un sentiment d’insécurité parmi les minorités chrétiennes. Les Codes Civil et Pénal, qui sont entrés en vigueur le 17 août afin de remplacer le Code Général qui était en place depuis 165 ans, comprennent une série de lois concernant les procédures civiles et juridiques, imposant notamment des restrictions sur les conversions religieuses dans le pays majoritairement hindou. Une nouvelle loi stipule que quiconque encourage ou participe à une conversion religieuse, quel que soit le moyen employé, est coupable d’une infraction pénale et risque une peine de cinq ans de prison et une amende de 50 000 roupies népalaises (383 euros). Tout étranger coupable d’encourager les conversions religieuses risque d’être expulsé dans un délai d’une semaine.
Les responsables des communautés chrétiennes népalaises estiment que la manœuvre du gouvernement vise les chrétiens en particulier, qui sont accusés de prosélytisme envers les Népalais, en particulier les castes inférieures et vulnérables. Les chrétiens craignent que cette nouvelle loi puisse être manipulée comme un moyen d’intimider et de persécuter les minorités chrétiennes qui pratiquent leur religion. « La communauté chrétienne est préoccupée par la nouvelle loi. C’est comme une lame qui se tiendrait au-dessus de nos têtes et qui pourrait être utilisée contre nous à tout moment », s’alarme le père Silas Bogati, vicaire général du vicariat apostolique du Népal. La liberté de pratiquer toute religion ou toute croyance est une liberté fondamentale pour tout individu, soutient le prêtre. « Avec l’application de la nouvelle loi, nous croyons que notre liberté religieuse a été entravée. Cela nous donne l’impression que nous ne pourrons même pas pratiquer notre propre foi d’une manière équitable », dénonce-t-il.
La fédération chrétienne népalaise (Federation of National Christian Nepal) dénonce la nouvelle loi comme un pas en arrière qui met à mal les sentiments des minorités chrétiennes, qui avaient pourtant approuvé en 2015 la décision du gouvernement d’affirmer le caractère laïc des institutions népalaises (la laïcité de l’État népalais a été adoptée en 2007). La loi s’en prend aux principes mêmes de la laïcité, de la démocratie et des Droits de l’Homme, et cherche à restreindre la liberté religieuse de plus de trois millions de chrétiens, fidèles de plus de 12 000 églises au Népal, affirme le président de la fédération, C. B. Gahatraj. Selon lui, les minorités chrétiennes sont déjà confrontées à divers problèmes à cause de la politique discriminatoire de l’État. Ainsi, des églises ont déjà subi des incendies criminels ou des attentats à la bombe, et des gens sont accusés à tort et persécutés pour avoir parlé de leur religion, distribué des Bibles ou tué des vaches, vénérées par les hindous.

Plus de 3 millions de chrétiens népalais

« C’est triste de constater le silence du gouvernement à notre encontre », regrette C. B. Gahatraj. « Parler de religion à quelqu’un ne doit pas être considéré comme mauvais ou comme un encouragement à se convertir. » Les appels demandant une loi nationale contre les conversions se sont fait entendre dès la promulgation de la Constitution népalaise en septembre 2015. L’anthropologue Dambar Chemjong soutient que même si le Népal se déclare comme un État laïc, sa Constitution n’est pas ouverte aux autres religions et favorise une identité fondamentaliste hindoue. « Elle approuve et reconnaît la primauté de l’identité hindoue. Et les lois civiles qui sont formulées en fonction de la Constitution contribuent elles aussi à l’institutionnalisation des valeurs et des normes de la religion hindoue », ajoute-t-il. Selon lui, plutôt que de mettre en place des normes modernes en reconnaissant la démocratie et la diversité culturelle et religieuse, la nouvelle loi a été écrite en fonction de la religion dominante et exclut les autres religions.
Les missionnaires chrétiens sont engagés dans des activités sociales, médicales ou éducatives dans le pays depuis longtemps, ce qui leur permet de rester en lien avec diverses communautés. Chemjong explique que les principaux partis politiques, qui sont essentiellement composés d’hindous de castes supérieures, se sentent menacés par l’influence croissante de la communauté chrétienne, une crainte qui les a poussés à réprimer les libertés fondamentales et la liberté religieuse. Il reconnaît que les groupes évangéliques sont actifs au Népal et ont attiré beaucoup de gens. L’une des principales raisons de cette tendance, selon lui, vient du fait que les communautés mises à l’écart socialement et économiquement se révoltent contre le système de caste régressif et toujours solidement ancré. Et le christianisme parle justement de libération contre ces injustices.
D’après le Word christian database (un ouvrage de référence publiant des statistiques mondiales sur le christianisme), le Népal fait partie des pays où la population chrétienne augmente le plus rapidement. Le dernier recensement de 2011 a enregistré environ 375 000 chrétiens, mais les communautés chrétiennes affirment que le véritable chiffre serait de plus de trois millions. Selon le recensement, la population népalaise comprend 81 % d’hindous, 9 % de bouddhistes, 4,4 % de musulmans, 3 % de kiratistes (Kirat Mundhum, religion des groupes ethniques kirantis) et 1,4 % de chrétiens. Des groupes hindous conservateurs, dont le Rastriya Prajatantra Party, ont appelé à une législation stricte contre les conversions religieuses, afin d’empêcher les hindous d’être « contraints, trompés ou attirés à l’écart de leur foi ancestrale ». Les groupes qui défendent la fondation d’un royaume hindou affirment que les missionnaires étrangers utilisent leurs fonds pour attirer les personnes vulnérables vers le christianisme.
Après le séisme dévastateur de 2015, les autorités ont accusé les ONG chrétiennes d’utiliser le terrain humanitaire pour répandre leurs croyances parmi les victimes de la catastrophe. Cela a entraîné des débats et à des interventions politiques, comme la suppression de l’enregistrement des ONG internationales impliquées dans des prédications religieuses. Le père Silas Bogati, toutefois, repousse ces accusations. Pour lui, les groupes, les organismes d’aide et les ONG chrétiens sont parmi les premiers à avoir répondu aux besoins d’urgence et aux efforts de réhabilitation, mais uniquement dans une perspective humanitaire. « Simplement parce que vous êtes un groupe chrétien, on vous accuse automatiquement de conversion », regrette-t-il.

(Avec Ucanews, Katmandou)