Amanda Setiadi reconnaît qu’elle était souvent nerveuse quand elle devait parler à ses collègues musulmans, par peur de l’extrémisme et des violences religieuses. « J’avais toujours peur qu’ils s’en prennent à moi ou qu’ils me dénigrent dans mon dos », explique cette chrétienne sino-indonésienne de Kelapa Gading, dans le nord de Jakarta. La capitale indonésienne a déclaré 2018 comme « Année de l’unité ». Admettant sa connaissance limitée de l’islam, elle essayait de se persuader que tous les musulmans n’étaient pas djihadistes en secret ou radicalisés d’une manière ou d’une autre, et elle tentait de garder un esprit ouvert. Mais elle n’arrivait pas à se débarrasser de ses peurs. Cependant, elle n’a pas baissé les bras, et elle a décidé d’en apprendre plus sur l’islam en lisant et en l’étudiant sur Youtube.
En juillet, elle a entendu parler d’une classe proposée par un groupe de jeunes écrivains et journalistes catholiques, appelé « Agenda 18 ». Le groupe, fondé en 2003, s’est donné pour objectif d’échanger sur des enjeux tels que la pluralité religieuse. Il a organisé des formations courtes à six reprises au cours des quinze dernières années, la dernière remontant à 2012. Mais si la formation précédente portait sur l’écriture et la littérature, elle s’étendait cette année à l’étude de l’islam, afin de réagir à la croissance de l’extrémisme en Indonésie. Amanda est catéchumène et n’a pas encore été baptisée. Elle a décidé de s’inscrire au programme de cette année, qui s’est déroulé chaque samedi tout au long du mois d’août dans l’archidiocèse de Jakarta. Elle n’était pas seule, plus d’une dizaine de catholiques étaient présents.
Comprendre l’islam
Stela Anjani, porte-parole du groupe, confie que l’objectif était de renforcer la compréhension de l’islam chez les catholiques de la région, afin d’éviter les malentendus et les tensions religieuses et développer davantage de tolérance. « Des actes de violence commis par des groupes musulmans peuvent entraîner une mauvaise image sur les musulmans en général. Cela ruine les relations interreligieuses », souligne Stela. Ainsi, beaucoup de chrétiens se sont enflammés contre les musulmans suite à la série d’attentats qui a visé la ville de Surabaya en mai, dans l’île de Java. Une famille – un couple et leurs quatre enfants – avait alors commis un attentat suicide contre la deuxième ville du pays, entraînant des dizaines de victimes. « Nous voulons éviter que les catholiques s’égarent en pensant que tous les musulmans approuvent ces actes. Nous voulons créer un espace de compréhension mutuelle », reprend-elle.
En juin, pour la fête de l’Aïd-el-fitr, le comité pontifical pour le dialogue interreligieux a envoyé un message intitulé « Chrétiens et musulmans : de l’opposition à la collaboration », renforçant au passage les motivations du groupe. Un message qui montre les conséquences négatives d’un esprit de compétition entre chrétiens et musulmans, et l’urgence pour les deux communautés de se rappeler leurs valeurs religieuses et morales. Dans ce but, les cours auxquelles Amanda a participé ont suscité la participation d’intellectuels musulmans, des membres d’organisations soutenant la tolérance et le dialogue comme la Fondation Inklusif, qui couvre des sujets comme l’islam ou la paix. Un membre de cette fondation, Subhi Azhari, a justement proposé un enseignement sur le califat. « Une telle opportunité est très importante. Ces cours nous aident vraiment à éviter les malentendus », salue Amanda. De son côté, le père Antonius Benny Susetyo, ancien secrétaire général de la commission épiscopale pour l’œcuménisme et les affaires interreligieuses, considère ce programme comme une « oasis de paix » : « Les tensions entre les communautés religieuses apparaissent parce que les fidèles ne se connaissent pas les uns les autres », soutient le prêtre.
Grâce à cette formation, Matheus Kemal Rousdy, de la paroisse Saint-laurent de Tangerang, dans la province de Banten, apprécie à quel point son regard sur l’islam s’est clarifié. « Cela m’a convaincu que tous les musulmans n’approuvent pas les actes de violence », poursuit Matheus, qui étudie à l’université Multimedia Nusantara de Tangerang, à 35 kilomètres à l’ouest de Jakarta. Amanda, qui partage des sentiments similaires, assure qu’elle est finalement parvenue à se libérer de ses préjugés et de ses peurs : « Des cours comme ceux-ci devraient être proposés dans toutes les paroisses, pour que nous puissions nous écouter et nous comprendre. »
(Avec Ucanews, Jakarta)
CRÉDITS
Konradus Epa / Ucanews