Eglises d'Asie – Indonésie
Quand les croyances traditionnelles prennent le pas sur les religions
Publié le 20/09/2018
Sutopo Purwo Nugroho, porte-parole de l’Agence nationale de prévention des catastrophes (BNPB), fait partie des personnalités les plus populaires dans le pays. Contrairement à la réserve typique des autres fonctionnaires, il a l’habitude de faire tout son possible pour que les médias soient correctement informés sur les nombreuses catastrophes naturelles qui traversent l’Indonésie. Quand la situation est adaptée, il n’hésite pas à glisser quelques plaisanteries au milieu des informations officielles. De plus, la révélation récente de son traitement pour un cancer a entraîné une vague de sympathie envers lui. Mais il ne satisfait pas tout le monde : récemment, il a mis en colère les membres de la tribu Dayak, dans le Kalimantan oriental, après leur avoir reproché d’être responsables de départs d’incendies dans les régions forestières de la province. La tribu l’a alors convoqué auprès de son conseil traditionnel afin de lui signaler qu’ils ont été offensés par la remarque – un rappel qu’en Indonésie, les traditions (« adat ») peuvent l’emporter sur les religions officielles ou même sur la loi.
Selon l’Encyclopedia Britannica, le terme « adat » désigne un « code traditionnel non écrit, qui dicte tous les aspects de la vie quotidienne de la naissance à la mort ». Cet « adat » peut varier selon les régions et selon les diverses influences qui l’ont modelé de façon spécifique par endroits. Souvent, les règles de l’« adat » surpassent les religions, ce qui met régulièrement les responsables religieux dans l’embarras. Sutopo Nugroho a donc accepté les reproches et s’est rendu à la réunion du conseil Dayak. Les dirigeants de la tribu lui ont expliqué que le festival Gawai Dayak qu’il a accusé des feux, était célébré chaque année pour honorer les nouvelles récoltes. Ils ont aussi ajouté qu’ils contrôlent ainsi la gestion des forêts depuis des siècles, par une agriculture itinérante qui alterne les cycles de culture et de retour en friche, grâce à la régénération des terres par le feu (culture sur brûlis).
Le concept d’un festival des récoltes est quelque chose de relativement universel. Les aléas de la météo sont tels que dans certaines régions du monde, les communautés locales tiennent à exprimer leur gratitude pour les nouvelles récoltes… D’une certaine manière, ces traditions sont devenues étroitement liées à la religion. Mais aujourd’hui, la méthode traditionnelle Dayak de gestion des forêts doit subir la pression du droit indonésien, qui interdit tout départ de feu dans les régions forestières. Pour le moment, la loi semble l’emporter, en partie parce que la plupart des communautés Dayak ne pratiquent plus cette agriculture itinérante comme avant. De plus, leurs territoires traditionnels se retrouvent souvent encerclés par les diverses plantations et exploitations forestières. Pourtant, ils continuent de rester accrochés à ces traditions afin de tenter de sauvegarder leur culture. Dans un pays où ils représentent une petite minorité, il est donc important pour eux de se trouver des alliés. Beaucoup d’entre eux sont chrétiens et voient dans l’Église un partenaire naturel. Certains groupes Dayaks importants sont également très actifs auprès des conseils « adat » nationaux.
Superstitions et escroqueries
Il y a également la question des superstitions. Beaucoup d’habitants des pays développés gardent toujours quelques croyances superstitieuses, même s’ils s’en moquent. Certains peuvent ainsi rester réticents à l’idée de passer sous une échelle, et en Asie, les Chinois craignent le chiffre quatre, un symbole de mort – la plupart des gratte-ciels n’ont pas de quatrième ni de treizième étage. Ce type de superstition est très répandu en Asie du Sud-Est. À Bali, un père s’est pressé d’organiser une cérémonie (l’« upacara ») après l’accident de moto d’un de ses enfants, qui a perdu deux dents et reçu de nombreux points de suture après l’incident, afin de réduire les risques que cela n’arrive à d’autres personnes. Ceci suggérerait l’hypothèse qu’un « esprit mauvais » était responsable de l’accident – une ancienne croyance mais qui ne s’appuie sur aucun texte védique (les textes sacrés de la religion hindoue). Les croyances mystiques sont répandues dans toutes les couches sociales indonésiennes et d’Asie du Sud-Est. En dehors des villes, beaucoup de communautés se vantent des mérites d’un sage local ou « dukun » (guérisseur ou sorcier). Ils sont souvent inoffensifs, mais ils peuvent aussi se révéler malveillants.
À ses proches, Megawati Sukarnoputri, ancienne présidente indonésienne et fille du président fondateur Sukarno, affirme qu’elle continue de parler à son père, qui est mort depuis près de cinquante ans. Dans les périodes de tensions politiques, elle assure qu’elle a l’habitude de s’isoler pour lui parler et écouter ses conseils. Les croyances dans le surnaturel sont telles que certains profitent des plus crédules. Les escrocs promettent ainsi de multiplier l’argent, avant de disparaître avec la somme après avoir promis de pratiquer des exercices spirituels pour multiplier sa valeur. Ces procédés impliquent souvent de grandes sommes d’argent et mettent les victimes en danger : un shaman autoproclamé a ainsi été arrêté après avoir assassiné deux personnes dans le district de Grising (Kabupaten Batang, Java central). L’accusé, qui affirme posséder le pouvoir de multiplier l’argent, aurait reconnu avoir tué les deux hommes alors que ceux-ci le harcelaient à propos de l’argent promis.
Ces charlatans cachent souvent leurs escroqueries sous des costumes religieux traditionnels. En août 2017, Dimas Kanjeng Taat Pribadi, un chef spirituel de Probolinggo à Java oriental, a été condamné à deux ans de prisons pour avoir été impliqué dans ce type de fraudes. Il avait déjà été condamné à 18 ans de prison pour avoir commandité le meurtre de deux de ses disciples qui avaient pris leurs distances. L’homme aurait arnaqué, en tout, plusieurs centaines de personnes pour une somme s’élevant à 25 milliards de roupies (170 000 dollars). Cependant, les croyances dans l’« adat » et dans les superstitions mystiques continuent d’être répandues, si bien que des mouvements musulmans salafistes indonésiens cherchent à débarrasser la culture indonésienne de ces « influences primitives ». Mais pour les musulmans modérés, les communautés « adat » peuvent aussi se révéler un allié contre l’évolution de l’extrémisme islamiste dans le pays.
(Avec Ucanews, Jakarta)