Eglises d'Asie

Vaccination : la charia d’Aceh met les enfants en danger

Publié le 27/09/2018




Une campagne nationale de lutte contre la rougeole et la rubéole s’oppose, dans la province indonésienne d’Aceh, dans l’île de Sumatra, à une fatwa promulguée par le Conseil islamique des oulémas, qui affirme que le vaccin produit par le Serum Institute of India est considéré comme « haram » (interdit). La loi islamique autorise pourtant le recours au vaccin en l’absence d’alternatives mais beaucoup de parents, par peur d’enfreindre un interdit religieux, refusent de faire vacciner leurs enfants. Le gouvernement se donne pour objectif une couverture vaccinale de 95 %, mais il en est encore loin avec une moyenne de 47,37 %.

Husnul Faina est née prématurément, un mois trop tôt, et pesait seulement deux kilogrammes à sa naissance. À seulement dix mois, elle a dû être opérée de la cataracte et continue de souffrir, à l’âge de trois ans, de surdité, de troubles cardiaques et d’un retard de croissance. « Quand j’étais enceinte, un pédiatre m’a suggéré une analyse de sang afin de vérifier si j’étais atteinte de maladies prénatales ou congénitales [ToRCH] », explique sa mère, Husna. « Les analyses ont permis de constater que j’avais la rubéole. » L’acronyme ToRCH désigne les infections dangereuses pour les nouveau-nés et les enfants à naître : toxoplasma gondii (qui peut rendre aveugle en l’absence de traitement), rubéole, cytomégalovirus, herpès simplex et autres (syphilis, varicelle-zona, parvovirus…). Husna se souvient qu’à trois mois de grossesse, elle était couverte de rougeurs. « Au début, je pensais que c’était une allergie, mais au bout deux jours, ça a disparu », confie-t-elle.
La fille de Rita Yana, sept ans (photo), souffre elle aussi des symptômes de la rubéole congénitale. Elle est atteinte de cataracte à l’œil droit, de surdité et de troubles cardiaques. « Dans ma cinquième semaine de grossesse, j’ai été atteinte d’une mauvaise fièvre, d’éruptions et de démangeaisons », raconte sa mère, qui a quatre enfants. Husna et Rita viennent toutes deux de la province d’Aceh, dans le nord de l’île indonésienne de Sumatra. C’est dans cette région que le programme national de lutte contre la rougeole et la rubéole a atteint son niveau le plus bas. La province, qui applique la charia depuis 2001, est l’une des 28 provinces, à l’exception de l’île de Java, où est mise en œuvre la seconde partie du programme. L’objectif du gouvernement était de faire vacciner 32 millions d’enfants âgés entre neuf mois et quinze ans entre les mois d’août et septembre. Le ministère indonésien de la Santé espère une couverture vaccinale de 95 % suite au succès de la première phase de la campagne, qui a été menée dans les six provinces de l’île de Java l’année dernière. Ainsi, 35 millions d’enfants, soit 98 % de l’objectif visé par le gouvernement à Java, ont été vaccinés.

Une couverture vaccinale de 7 % à Aceh

Le ministère de la santé a lancé ce programme afin de lutter contre la transmission endémique de la rougeole et de la rubéole, et vise une élimination totale des virus d’ici 2020. Selon le ministère de la santé, entre 2010 et 2015, le pays aurait enregistré 23 164 cas de rougeole et 30 463 cas de rubéole. De son côté, l’Unicef a enregistré 8 516 cas de rougeole et rubéole en 2016, et 6 318 autres cas en 2017. Il y a quelques mois, dans le district de Batanghari (province de Jambi), un nouveau-né est mort peu après sa naissance parce que sa mère avait attrapé la rubéole. « La couverture vaccinale reste, cette année, loin de l’objectif fixé », affirme Anung Sugihantono, directeur général du département ministériel de prévention et de maîtrise des maladies. Le 16 septembre, la couverture vaccinale moyenne était de 47,37 % dans le pays. À Aceh, en revanche, elle était de seulement 7,01 % des 1,54 millions d’enfants à vacciner dans la province. Les provinces de Riau et de Sumatra occidental suivent juste après Aceh parmi les régions les plus problématiques, avec une couverture vaccinale respective de 22,52 % et de 24,25 %. « Parmi les défis auxquels nous sommes confrontés figurent les difficultés géographiques et les ressources humaines trop limitées. Dans certaines régions, une ‘fatwa’ [avis juridique islamique] qui a été émis par le Conseil indonésien des oulémas [MUI] est un obstacle majeur contre nous », souligne Anung.
La fatwa, qui a été promulgué le 20 août, affirme que le vaccin contre la rougeole et la rubéole produit par le Serum Institute of India (SII) est considéré comme « haram » (interdit) car il contiendrait un matériel biologique dérivé du porc. Pourtant, la fatwa en question autorise le recours au vaccin en l’absence d’alternatives. Les médecins travailleraient d’ailleurs sur une version acceptable ou « halal » du vaccin. Mais les préjugés contre les vaccins et la peur d’enfreindre un interdit religieux poussent beaucoup de parents de cette région majoritairement musulmane à ne pas faire vacciner leurs enfants. Nova Iriansyah, gouverneur d’Aceh, a même décidé d’interrompre le programme jusqu’à ce que le Coneil indonésien des oulémas décide si le vaccin actuel est acceptable. Asrorun Niam Sholeh, secrétaire de la commission du Conseil qui publie les fatwas, affirme que dans ce cas-ci, c’est davantage une ligne directrice qui doit s’adapter à chaque cas. Mais Yanuar Nugroho, assistant du chef de cabinet du président indonésien, dénonce le fait que la fatwa entrave la campagne et risque d’entraîner davantage de mortalité ou de maladies infantiles : « Si nous n’atteignons pas notre objectif, la campagne risque fort d’être un échec. »

Le droit à la vaccination

Un enfant atteint de rougeole ou de rubéole peut transmettre le virus à plus d’une dizaine d’autres enfants simplement en éternuant. Le taux de transmission rapide, le système immunitaire vulnérable des enfants et le fait qu’ils se côtoient tous les jours à l’école multiplient les risques. Selon Soedjatmiko, secrétaire du groupe de travail sur l’immunisation de la Société pédiatrique indonésienne, le programme s’est montré très efficace pour la prévention des épidémies de rougeole et rubéole. Il est renforcé par un programme qui instaure un calendrier vaccinal en plusieurs étapes, à l’âge de neuf mois, puis à deux ans et quand ils entrent en école primaire. « Le vaccin produit par le SII est sûr et efficace. Il est recommandé par l’Organisation mondiale de la santé et il est déjà utilisé par 141 pays », affirme Soedjatmiko. « Les enfants comme les parents ont le droit d’être vaccinés, selon la loi de 2014 sur la protection de l’enfance et la loi de 2009 sur la santé », ajoute-t-il. Le 15 septembre, le président Joko Widodo a soutenu le programme publiquement et souligné à quel point il était important pour protéger les plus jeunes générations. Aujourd’hui, Husna et Yana appellent les autorités d’Aceh à lever l’interdiction temporaire du recours au vaccin pour que les enfants ne souffrent pas. « Le vaccin est très important », lance Yana. « Il faut enrayer la transmission de la maladie avant que d’autres jeunes enfants ne soient atteints à leur tour. »

(Avec Ucanews, Jakarta)


CRÉDITS

Rita Yana / Ucanews