Eglises d'Asie

P. Christophe Bérard : « La vie est dure, mais la vie continue »

Publié le 06/10/2018




Le film « Out of Breath », réalisé par la réalisatrice américano-coréenne Hein S. Seok, retrace l’une des missions humanitaires d’un petit groupe de volontaires internationaux, dont le père Christophe Bérard, MEP. Ces missions sont consacrées à quelque 1500 malades de la tuberculose multirésistante. Le prêtre revient sur l’action du groupe qui travaille aux côtés de la Fondation Eugene Bell, et son regard sur les rencontres qu’il a pu faire auprès des équipes médicales et des patients nord-coréens, souvent dans des régions reculées. Le documentaire sera projeté ce samedi 6 octobre à 15h30 aux Missions Etrangères de Paris.

Comment se déroulent vos missions en Corée du Nord ?

Nous travaillons avec la Fondation Eugene Bell qui a été fondée en 1995, bien avant que j’y participe, à l’initiative du petit-fils d’un pasteur protestant qui était en activité en Corée. Ils se sont spécialisés dans la lutte contre la tuberculose en 2007 et quand je les ai rejoints, en 2012, dans la lutte contre la tuberculose résistante. C’est une forme de tuberculose qui ne peut pas être guérie par les traitements qu’on donne pour la tuberculose classique. Ils sont beaucoup plus chers et nécessitent 18 mois de traitement. Treize centres ont été ouverts en Corée du Nord. Nous les visitons tous les six mois et nous passons une journée dans chaque centre. Nous sommes une équipe médicale composée aussi de prêtres, de professeurs et de volontaires. Nous avons environ 1500 patients sous traitement. Sachant qu’un traitement coûte 5000 dollars, les limites de notre action sont essentiellement liées à des questions financières.

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a décidé d’arrêter de soutenir le traitement de la tuberculose classique dans le pays…

En février, nous avons effectivement découvert que le Fonds mondial avait décidé de supprimer ses aides pour la tuberculose classique en Corée du Nord, qu’il envoyait par le biais de l’OMS et de l’Unicef. Cela représente environ 100 000 malades. Nous n’avons pas réussi à comprendre les raisons exactes de cette décision, mais nous en connaissons très bien les conséquences. D’ici février 2019, ce sont près de 100 000 personnes qui vont être obligées d’interrompre leur traitement. Pour nous c’est une vraie question, parce que soigner la tuberculose résistante si on ne soigne plus la tuberculose classique, cela remet beaucoup de choses en question.

Quelle est la situation humanitaire en Corée du Nord ?

La tuberculose pose un problème considérable. C’est le cas dans beaucoup de pays pauvres, mais encore plus en Corée du Nord, où il est très difficile d’avoir accès aux traitements. Le pays fonctionne un peu en vase clos, ce qui fait que les gens commencent des traitements qui ont été achetés en Chine, ou bien ils commencent un traitement sans formation et qui n’est pas bien terminé, ce qui développe beaucoup de résistances. La tuberculose se soigne avec un traitement classique qui coûte environ 50 dollars, mais quand elle devient une tuberculose multirésistante, cela devient très difficile. Il y a aussi beaucoup d’effets secondaires, cela demande beaucoup d’investissement. Notre travail dans ces centres, c’est de dépister la tuberculose classique et la tuberculose résistante, avant d’envoyer les premiers dans les centres qui les traitent et de prendre charge les autres. C’est une période de sensibilisation et de questionnements, parce que ce sont des situations difficiles.

Quel est votre regard sur les relations des deux Corées ?

Je ne suis pas un expert de la Corée du Nord, mais un observateur. Je suis témoin d’une expérience de rencontres des malades et du corps médical. J’ai aussi la chance de me déplacer dans des régions reculées du pays. Cela dit, nous évitons d’aborder les questions politiques et tout ce qui peut être un peu sensible. Mais par exemple, pour l’avoir observé, l’annonce de la rencontre avec les États-Unis et le processus de paix entre les deux Corées ont réjoui les Nord-Coréens. On sent qu’il y a une volonté de mettre un terme à ces cinquante ans de confrontation. Mais ce ne sont pas des sujets qu’on aborde directement.

Que pouvez-vous dire sur les Nord-Coréens que vous rencontrez ?

Avant d’y aller, j’en avais une image un peu robotisée, sous pression idéologique permanente… Mon sentiment, c’est que si on veut les comprendre, on peut penser au peuple français durant la Deuxième Guerre mondiale. C’est-à-dire que la vie est dure et que l’on ne rigole pas tous les jours, mais que la vie continue. On a des amis, on se marie, on plaisante, on mange… Dans notre travail quotidien, nous rencontrons en fait un peuple plutôt vivant, mais soumis à une situation particulière. Ce ne sont pas des gens qui répètent et qui rabâchent ou qui ont peur, je n’ai pas du tout eu cette impression. Je pense qu’il y a beaucoup de vie souterraine et de corruption, mais ils vivent. Une fois que l’on s’y rend régulièrement et que l’on rencontre les médecins et les patients, on crée des relations plus proches. On parle de la famille, de la vie quotidienne… C’est plutôt positif, parce que cela nous donne envie d’espérer dans ce peuple. Au-delà des sanctions et du régime, il y a quand même un peuple qui respire et qui va peut-être trouver son propre rythme. Par expérience, c’est peut-être en créant ces liens-là que l’on peut maintenir une forme d’espérance.
Par ailleurs, il y a plus de contacts avec le monde extérieur que l’on imagine. Sur la frontière chinoise, il y a par exemple beaucoup de circulation. Il y a beaucoup de films qui circulent, et des gens viennent faire des affaires. Des Chinois et des Coréens viennent et repartent en amenant avec eux de l’information. Je pense qu’aujourd’hui, ils sont à peu près conscients de la réalité de leur pays. Il y a quatre millions de téléphones portables et ils ont un réseau intranet… Il faut aussi noter qu’avant, on ne montait que par le Parti en Corée du Nord, mais aujourd’hui l’argent est rentré, il y a du commerce avec la Chine et l’apparition d’une classe de « nouveaux riches ». On vit d’autres choses, il va donc falloir trouver des compromis.

(EDA / P. Christophe Bérard)


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