Eglises d'Asie – Divers Horizons
Asean : le ralentissement de l’économie, un test pour la cohésion sociale
Publié le 20/02/2019
L’économie est trop souvent sous-estimée en tant que pilier de la cohésion sociale. Ainsi la croissance économique ralentit en Asie du Sud-Est, tout comme en Chine, le plus grand investisseur du continent. Et cette tendance est un test pour cette région réunie autour d’un bloc commercial mais divisée par la religion, l’ethnicité et par les diverses formes de gouvernement. Potentiellement, les dangers sont nombreux. L’Indonésie l’a éprouvé durement quand elle a été frappée par les émeutes antichinoises suite à la crise financière asiatique de 1997-1998. Les 13 et 14 mai 1998, plus de 1 200 personnes sont mortes dans les attaques, et 168 cas de viols ont été rapportés. Les émeutes ont également conduit à la démission, le 21 mai 1998, du dictateur Suharto, président de 1967 à 1998. Les signes avant-coureurs des émeutes se trouvaient pourtant déjà dans la forte inflation, les pénuries alimentaires et le chômage de masse. C’est un risque dont les dix membres de l’Asean, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, sont bien conscients. Aujourd’hui, les économies de ces pays sont certes bien plus solides qu’à la fin du XXe siècle, mais la croissance s’est ralentie, les taux d’intérêt grimpent, les marchés sont instables, et les craintes d’une nouvelle crise mondiale, fin 2019 ou début 2020, sont attisées par la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.
Croissance et cohésion sociale
Les milliards de dollars de taxes imposées par le président américain Donald Trump sur les produits chinois ralentissent d’autant plus l’économie de la Chine continentale, avec une croissance du PIB attendue autour des 6 % cette année. Un tel niveau pourrait sembler convenable comparé aux croissances du PIB qui tournent entre 1 et 3 pourcent pour les pays occidentaux, mais pour la Chine, un pays encore en développement avec près de 45 millions de personnes en état d’extrême pauvreté – et dont le taux de croissance était à deux chiffres pendant de nombreuses années –, c’est inquiétant. C’est la perspective la plus sombre pour la Chine depuis trente ans, et cela risque de frapper directement les économies de l’Asean – dont Singapour, la Malaisie et la Thaïlande – qui dépendent des chaînes d’approvisionnement chinoises dans des domaines comme l’électronique, les appareils électroménagers et la production automobile. La société Moody’s a noté récemment que ces pays mettent de plus en plus l’accent sur la couverture sociale et sur une croissance inclusive favorable à la cohésion sociale.
Toutefois, la situation diffère fortement d’un pays à l’autre. À Singapour, où l’économie se dégrade plus rapidement que prévu, on peut craindre une hausse des impôts afin de financer le soin des personnes âgées et maintenir le niveau de vie. Pour les mêmes raisons, la Malaisie a renoncé à sa taxe sur les biens et services. En Thaïlande, où les élections nationales sont prévues le 24 mars, Moody’s a également souligné que le pays fait face à de « hauts risques politiques » après quatre ans de règne militaire. Lors de la crise financière asiatique, Bangkok a échappé aux émeutes qui ont éclaté ailleurs dans la région. Pourtant, sous le gouvernement du général Prayut Chan-o-cha, la Thaïlande est aujourd’hui considérée comme l’un des pays les moins bien classés au monde en termes de distribution des richesses, derrière la Russie, la Turquie et l’Inde. Selon le Rapport annuel sur la croissance publiée par le Crédit Suisse en 2018 (Global Growth Report), à eux seuls, 1 % des Thaïlandais contrôlent 66,9 % des richesses, tandis que les 10 % les plus pauvres n’ont rien.
L’enjeu des Nouvelles routes de la soie
Craignant le piège de la dette, la Malaisie a déjà mis le frein sur de futurs investissements chinois. Toutefois, Brunei, avec la diminution de ses réserves de pétrole, ainsi que le Cambodge, le Laos et la Birmanie, sont dépendants de la Chine avec leurs appétits insatiables pour les investissements, l’aide et les prêts chinois. Leur plus grande force est leur position géographique. Pékin a besoin de ces pays pour ses Nouvelles routes de la soie (Belt and road initiative), afin d’accéder à leurs ports maritimes, aux autoroutes et aux pipelines, ainsi que pour une présence militaire et un soutien diplomatique. De plus, la Chine subit également les sanctions imposées par les pays occidentaux au Cambodge et à la Birmanie pour protester contre la situation des droits de l’homme dans ces pays, au détriment des investisseurs. Si la Chine diminue ses investissements dans ces pays au fur et à mesure du ralentissement de la croissance, ils pourraient être touchés durement. Et les ressentiments populaires à l’égard de Pékin ont tendance à gronder au sein de l’Asean, compliquant encore davantage les tensions déjà présentes. Ainsi le gouvernement de Bandar Seri Begawan, la capitale de Brunei, a joué la carte islamique afin d’attirer les investissements de l’Arabie Saoudite. Mais pour le Cambodge, la Birmanie et le Laos, où les taux de pauvreté restent élevés et où les manifestations violentes ne sont pas rares, les choix sont limités en cas de crise économique.
Le rôle de l’Asean
Le Vietnam, l’Indonésie et les Philippines voient également leurs économies ralentir alors que l’Asean prévoit des taux de croissance de moins de 5 %. Mais ces pays sont moins exposés à la Chine et bénéficient de plus d’opportunités d’exportations aux États-Unis et en Europe. Ces pays ont également le soutien de la Communauté économique de l’Asean (CEA) qui a été lancée il y a deux ans et qui couvre une population de près de 620 millions d’habitants. Huit professions sont visées par un accord de libre-échange : les médecins, les infirmiers, les dentistes, les ingénieurs, les architectes, les topographes, les métiers du tourisme et les comptables. L’Union européenne a servi de modèle économique à l’Asean, mais la CEA manque d’une banque centrale et d’une monnaie propre, et le libre-échange a été entravé par les restrictions sur la mobilité de la population active, en raison des divisions historiques qui persistent en Asie du Sud-Est. Le plus grand problème auquel est confronté l’Asean est donc un manque d’unité, chaque pays se distinguant par ses caractéristiques ethniques, religieuses et politiques. Ainsi, selon les pays, le christianisme, le bouddhisme, l’islam ou l’athéisme ont imprégné les divers gouvernements au pouvoir, entre le Vietnam athée ou les pays islamiques comme l’Indonésie, la Malaisie ou Brunei. Les pays à majorité bouddhiste comme la Thaïlande ou la Birmanie, ainsi que les Philippines majoritairement catholiques, sont également confrontés à des soulèvements des minorités musulmanes. Par ailleurs, les tensions historiques perdurent entre les Khmers et les Vietnamiens ou entre les Thaïs et les Birmans. De même, malgré la CEA, il reste difficile, pour une infirmière cambodgienne, de trouver du travail en Thaïlande. Comme l’explique Michael Smiddy, de la société Emerging Markets Consulting, le fait de favoriser la libre circulation des personnes afin de soutenir l’industrie et la croissance économique reste impopulaire parmi les dirigeants politiques de la région. Bien qu’une nouvelle crise financière asiatique à l’image de celle de 1997-1998 soit improbable, les économies ralentissent et les opportunités d’emplois diminuent. Les opposants politiques et autres détracteurs des gouvernements de la région deviennent populaires quand les ressources viennent à manquer. Dans ces circonstances, il faut des têtes sereines afin d’éviter des soulèvements sociaux.
(Avec Ucanews, Luke Hunt, Hong-Kong)
Crédit : Gunawan Kartapranata / CC BY-SA 3.0