Eglises d'Asie

Au Japon, les conséquences de la crise sanitaire entraînent une nouvelle hausse du taux de suicide

Publié le 13/10/2020




Malgré une diminution régulière du taux de suicide depuis 2010 au Japon, le pays enregistre une nouvelle tendance à la hausse des cas de dépression et de suicide face aux conséquences de la pandémie. Selon les chiffres du gouvernement, le taux de suicide a grimpé de 15,4 % au mois d’août, avec 1 854 décès. Une tendance qui semble marquer particulièrement les femmes – qui ont plus souffert du chômage durant la pandémie – et les jeunes. Quand les activités économiques ont commencé à reprendre, certaines tranches de la population ont été laissées de côté, comme les nouveaux demandeurs d’emploi.

L’évolution du taux de suicide au Japon montre que les conséquences de la pandémie du Covid-19 affectent particulièrement les femmes et les jeunes. Sur le plan économique, le coronavirus marque les femmes japonaises de manière disproportionnée, ces dernières représentant près de 66 % des pertes d’emploi récentes dans le pays. Le Japon fait partie de rares puissances économiques à publier des chiffres réguliers sur le suicide, qui reste une question sociétale majeure dans le pays. L’évolution de ces données au Japon montre que comme partout ailleurs, le chômage de masse et l’isolement social provoqués par la crise sanitaire marquent certains groupes de personnes plus que d’autres. Au Japon, le taux de suicide diminue pourtant régulièrement depuis 2010, même s’il reste une cause non négligeable de décès prématurés – plus de 13 000 cette année, contre moins de 2 000 décès enregistrés liés au Covid-19 dans le pays. Pourtant, selon les chiffres du gouvernement, le taux de suicide a grimpé de 15,4 % au mois d’août, avec 1 854 décès. Le nombre de femmes ayant eu recours au suicide a également augmenté d’environ 40 %. Le nombre de suicides chez les enfants et les adolescents, de l’école primaire au lycée, a également plus que doublé comparé à l’an dernier à la même période.

« Des données régulières sur le suicide peuvent permettre de déterminer rapidement quels groupes sont plus vulnérables », souligne Yasuyuki Sawada, économiste en chef pour la Banque asiatique de développement et professeur à l’université de Tokyo, qui a écrit plusieurs ouvrages sur la prévention du suicide et sur les impacts économiques du suicide. Selon lui, « si les gouvernements locaux peuvent déterminer quelles tranches d’âge ou quels types d’occupation sont les plus exposés, les mesures de prévention peuvent être appliquées de manière plus efficace ». Une étude américaine, publiée en mai 2020, a prédit jusqu’à 75 000 décès additionnels au cours de la prochaine décennie, directement liés aux conséquences psychologiques de la crise sanitaire. Selon une autre étude publiée en septembre par la Fondation indienne sur la prévention du suicide (Suicide Prevention India Foundation), 65 % des thérapeutes interrogés ont rapporté une augmentation des cas d’automutilation et de comportements suicidaires chez leurs patients depuis le début de la pandémie. Par ailleurs, dans 60 % des 130 pays observés par l’OMS, les services de santé mentale prenant en charge les groupes vulnérables ont été perturbés par la pandémie. Au Japon, la crise sanitaire ajoute de nouveaux facteurs de stress qui viennent aggraver cette tendance : ainsi, les appels pour violences domestiques ont augmenté quand les foyers sont restés confinés.

Stigmatisation des problèmes de santé mentale

Pour Toshihiko Matsumoto, directeur du département japonais de recherche sur la toxicodépendance de l’Institut national sur la Santé mentale, « les mesures sanitaires et la sensibilisation sur la santé publique ne sont pas suffisantes pour sauver des vies ». Selon lui, il faut créer des espaces où les gens puissent décompresser hors du cadre familial. Mayumi Hangai, médecin du Centre national pour la santé et le développement de l’enfant (National Centre for Child Health and Development), souligne de son côté que le problème est encore bien plus complexe chez les enfants. Il estime que les parents, stressés et marqués par la pandémie, pourraient « ne pas voir certains signes et manquer de compassion concernant les problèmes de leurs enfants ». Le Dr Hangai ajoute que le stress ou la détresse des parents peuvent se transmettre à leurs enfants, d’autant plus si ces derniers manquent de vie sociale hors de la maison, quand les écoles sont fermées et que les activités extrascolaires sont impossibles.

Bien que le Japon ait enregistré une chute des suicides au cours de la dernière décennie, la tendance est au contraire à la hausse chez les moins de vingt ans. En Asie, cette tendance pourrait être aggravée par une certaine stigmatisation sociale des problèmes de santé mentale, par rapport aux sociétés occidentales. Au Japon, par exemple, il y a une pression sociale qui incite à dissimuler ses sentiments et sa vraie personnalité. Au début de la pandémie, pourtant, le nombre de suicides dans le pays a continué de chuter, alors que le gouvernement imposait un état d’urgence contre la propagation du virus. Il y a également eu une véritable solidarité, similaire à ce qui peut être constaté en cas de catastrophes naturelles. Mais quand les activités économiques ont commencé à reprendre, certaines parties de la population ont été laissées de côté – comme les nouveaux demandeurs d’emploi ou ceux qui étaient toujours confinés chez eux. Au Japon, les écoles ont été rouvertes en juin, après trois mois de fermeture, avec des stress importants liés aux rattrapages et au harcèlement scolaires. « Les enfants se sentent encore plus sous pression face au retard à rattraper dans les programmes scolaires », confie Hiroyuki Nishino, responsable de Tamariba, une ONG qui vient en aide aux enfants en difficulté.

Le gouvernement japonais renforce son budget pour la prévention du suicide

Les troubles causés par la pandémie ont également exacerbé le phénomène des futoko – des enfants qui ne vont pas à l’école pour diverses raisons (absentéisme, phobie scolaire, refus d’aller à l’école…). Ces enfants sont particulièrement vulnérables aux tendances suicidaires. « Nous avons entendu des enfants très jeunes, certains âgés de cinq ans, parlant de mourir ou de vouloir disparaître », confie Hiroyuki Nishino. Selon Lifelink, une ONG basée à Tokyo qui tient une ligne d’assistance téléphonique contre le suicide, près de 20 % des appels reçus entre mai et août 2020 provenaient d’enfants en primaire, au collège ou au lycée. Selon Yasuyuki Shimizu, responsable de l’ONG Lifelink, les systèmes de messageries en ligne ont également été efficaces pour inciter les enfants à demander de l’aide, certains d’entre eux étant susceptible d’utiliser les réseaux sociaux en l’absence de leurs parents. En juillet, le gouvernement japonais a alloué un budget supplémentaire d’1,1 milliard de yens (8,82 millions d’euros) pour la prévention du suicide, en plus d’une première somme de 2,6 milliards de yens (20,85 millions d’euros) approuvée en avril dernier. Selon un Sud-Coréen travaillant au Korea Suicide Prevention Centre, les gouvernements japonais et sud-coréens, malgré les tensions qui les opposent concernant leurs droits commerciaux et territoriaux, échangent régulièrement leurs idées sur les meilleures stratégies de prévention du suicide. De fait, selon les experts, il est nécessaire d’investir dans des infrastructures et des services de santé mentale afin de prendre en charge les populations les plus vulnérables, particulièrement dans le sillage du Covid-19. Selon l’OMS, les services de santé mentale manquent souvent de financement – alors que des études indiquent que le fait d’investir contre la dépression et l’anxiété peut justement favoriser la productivité économique. « Le soutien financier du gouvernement est important, mais il faut également que l’on puisse reconnaître que la santé mentale est un problème fondamental », confie Yasuyuki Sawada, de la Banque asiatique de développement. « Les mesures contre les problèmes de santé mentale devraient être un des piliers de la politique de santé publique. »

(Avec Asianews, Tokyo)