Eglises d'Asie

Au Karnataka, flambée de tensions autour du port du hijab dans les universités et établissements scolaires

Publié le 12/02/2022




Cette semaine dans l’État du Karnataka, dirigé par le BJP (le parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde), des manifestations et tensions se sont amplifiées suite à un arrêté régional publié la semaine précédente, interdisant aux étudiantes musulmanes le port du hijab dans les établissements scolaires. La situation a dégénéré en crise ; les autorités, craignant que la situation s’aggrave, ont ordonné la fermeture des écoles pour la semaine, dans un État de près de 64 millions d’habitants dans le sud-ouest du pays.

Au Karnataka, dans le sud-ouest de l’Inde, les musulmans représentent 13 % de la population sur 64 millions d’habitants.

Dans l’État du Karnataka, dirigé par le parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde, manifestions et tensions se sont amplifiées cette semaine, suite à un arrêté régional publié la semaine précédente pour interdire aux étudiantes musulmanes le port du hijab dans les établissements. L’annonce a dégénéré en crise. Des étudiantes musulmanes ont accusé la mesure d’être discriminatoire, face à des étudiants hindous se mobilisant soudain à l’entrée des campus pour les dénoncer.

Craignant que la situation s’aggrave, les autorités ont ordonné la fermeture des écoles pour la semaine au Karnataka, État de 64 millions d’habitants. Le litige est désormais entre les mains de la Haute cour du Karnataka qui, dans l’immédiat, a interdit le port de tout « vêtement religieux » dans les établissements où l’uniforme scolaire est de mise.

La controverse a débuté le mois dernier, lorsque six étudiantes musulmanes d’un établissement du district d’Udupi, dans le Karnataka, ont été interdites d’entrer dans les salles de cours tant qu’elles portaient le hijab. Appuyées par leurs parents, elles ont alors décidé de ne pas accepter la nouvelle règle et de protester. Depuis le mois de septembre, le conflit enflait autour de cette question.

Le port du voile n’avait jamais été un problème au Karnataka

Par le passé, le port du voile n’avait jamais été un problème dans cet État du sud de l’Inde, où les musulmans forment 13 % de la population. D’autres lycées et universités ont à leur tour imposé l’interdiction. Une université a pour sa part autorisé les jeunes femmes voilées à suivre les cours, mais à la condition qu’elles se regroupent dans une salle, séparées de leurs camarades.

Des étudiants hindous se sont alors mobilisés à l’entrée d’une douzaine de campus du Karnataka, alors que des étudiantes musulmanes portant le hijab se rendaient à leurs cours. En représailles, ces jeunes se sont mis à porter des écharpes safran, couleur associée à l’hindouisme et devenue le symbole du nationalisme hindou.

D’après les médias indiens, au moins un groupe de l’extrême-droite hindoue a encouragé ces agitations. Mardi, les protestations ont tourné à la confrontation, obligeant la police à intervenir dans une université avec des gaz lacrymogènes afin de disperser la foule. Près de 40 étudiants et policiers ont été blessés. Ce jour-là, une vidéo a été largement diffusée sur les réseaux sociaux : une horde d’étudiants hindous aux écharpes orange entoure une étudiante portant le hijab, alors qu’elle se rend dans son établissement. À leur slogan glorifiant le dieu hindou Ram, elle lance à plusieurs reprises « Allahu Akbar » (Dieu est le plus grand) en levant le poing, avant d’être escortée par des responsables de l’université.

Les violences contre les minorités ont augmenté sous le gouvernement Modi

Face à la flambée de tensions, les écoles et universités du Karnataka ont été fermées jusqu’à la fin de la semaine. « J’appelle tous les étudiants, enseignants et personnels encadrants, ainsi que le peuple du Karnataka, à maintenir la paix et l’harmonie », a lancé le dirigeant de cet État, Basavaraj Bommai.

À présent, c’est à la Haute Cour du Karnataka de trancher sur la légalité de l’interdiction du hijab, en réponse à une pétition présentée par des étudiantes musulmanes. Vendredi, et dans l’attente d’un jugement final, cette haute juridiction a interdit le port de tout « vêtement religieux » dans les classes, « au nom de la paix et du calme ».

Elle a également demandé la réouverture des établissements à partir de lundi. La Cour Suprême a par ailleurs été approchée mais a refusé de considérer la requête comme « prioritaire ». Vendredi, les forces paramilitaires et policières ont patrouillé dans les rues de trois villes du Karnataka où les tensions restaient très vives.

L’affaire soulève l’indignation d’une partie de la minorité musulmane, qui se sent de plus en plus ciblée depuis l’arrivée au pouvoir, en 2014, du gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi. Le Campus Front of India (CFI), une organisation d’étudiants musulmans du sud de l’Inde, a dénoncé « une conspiration nationale », « exécutée par les groupes d’extrême-droite hindoue pour déshumaniser les femmes ».

À l’échelle de l’Inde, les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent une discrimination perpétrée par les nationalistes hindous contre les minorités religieuses. Elles affirment également que les violences contre les musulmans ont augmenté sous le gouvernement de Narendra Modi.

Les critiques y voient une stratégie électorale du BJP

Dans ce climat tendu, la controverse du hijab touche aux droits des minorités. Priyanka Gandhi, figure du principal parti d’opposition du Congrès, a fait valoir mercredi la primauté du « droit d’une femme à décider ce qu’elle veut porter ». « Ce droit est garanti par la Constitution indienne », a-t-elle ajouté. Autre personnalité importante du parti du Congrès, le député Shashi Tharoor a rappelé quant à lui, sur Twitter, que la Constitution indienne autorise le port des voiles à l’école. « Hijab, turban sikh, écharpes hindoues et croix chrétienne sont interdits dans les écoles publiques françaises, mais pas en Inde », a-t-il estimé.

Dans le camp du parti nationaliste hindou du BJP (Parti du peuple indien), le ministre de l’Éducation du Karnataka s’est prononcé en faveur de la neutralité vestimentaire. Il est soutenu par nombre de ses collègues. Et, depuis quelques mois, les tensions religieuses montaient déjà au Karnataka, avec l’introduction d’une loi anti-conversion, adoptée dans dix autres États de l’Inde, qui criminalise les hommes musulmans et chrétiens voulant épouser des femmes hindoues.

Les événements qui se sont déroulés cette semaine au Karnataka ont attiré l’attention internationale. « Refuser de laisser des filles portant le hijab aller à l’école est horrifiant », s’est indignée, mercredi, le Prix Nobel de la paix Malala Yousafzai. Sur Instagram, le footballeur français Paul Pogba a partagé une vidéo accusant les hordes hindoues « de harceler les filles musulmanes allant à l’université en Inde ».

Dans le pays, le débat soulevé intervient à une période d’importants scrutins régionaux, alors que cinq États passent aux urnes ce mois-ci. Les critiques y voient une stratégie électorale du BJP visant à stigmatiser les musulmans, dans un contexte où les discours de haine et les violences sont de plus en plus présents sur la scène politique.

(EDA / A. R.)


CRÉDITS

USAID / Pixnio