Eglises d'Asie

Avec l’effondrement de l’économie et l’échec du confinement, la pauvreté gagne du terrain en Inde

Publié le 15/10/2020




En Inde, la crise sanitaire du Covid-19 s’est doublée d’un effondrement de l’économie. Le choc du confinement, l’un des plus stricts de la planète, a fragilisé et appauvri le pays, dans un contexte économique déjà laborieux. Le confinement n’a pas freiné pour autant la progression de l’épidémie. L’Inde est aujourd’hui le deuxième pays le plus touché au monde par le Covid-19, avec plus de 7 millions de cas. En quelques mois, le chômage et la pauvreté ont aussi gagné du terrain. Avec plusieurs millions de personnes menacées de plonger dans la pauvreté, le bond en arrière est sans précédent.

Le père Thomas Mukthi, dans l’État de l’Andhra Pradesh, distribue de la nourriture à des familles démunies dans le cadre du mouvement national « Mother Meal ».

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’Inde a enregistré une baisse de son produit intérieur brut de 23,9 % entre avril et juin, au premier trimestre de l’année fiscale indienne. Jamais un tel effondrement ne s’était produit depuis 1996, année de l’implémentation du modèle actuel des statistiques de la croissance. Avant l’arrivée du coronavirus, la croissance économique de l’Inde augmentait cependant moins rapidement depuis quelques années : elle était passée de 8,2% en 2016-2017 à 4,2 % en 2019-2020, pour atteindre sa plus faible progression en vingt ans.  L’an dernier, les experts alertaient également sur l’insuffisance des emplois créés pour absorber les jeunes arrivant sur le marché du travail. Dans ce contexte, l’épidémie du coronavirus et son cortège de conséquences ont porté un coup violent à la santé économique de la troisième puissance d’Asie. Car l’Inde est durement affectée par le Covid-19 : deuxième pays le plus touché après les États-Unis, elle comptabilise aujourd’hui plus de 7 millions de cas. L’Inde a également dépassé la barre des 100 000 décès liés au Covid-19, après les États-Unis et le Brésil. Parmi les mesures imposées pour faire barrage à l’épidémie, un confinement extrêmement strict, mis en place le 25 mars, a d’abord frappé les plus pauvres. Le Premier ministre Narendra Modi, réélu triomphalement l’an dernier sous les couleurs de son parti nationaliste hindou, n’avait alors laissé que quatre heures à 1,3 milliard de citoyens pour s’y préparer. Durant près de 70 jours, l’Inde a été entièrement paralysée, avec la suspension des transports, la fermeture des frontières des États, et l’arrêt quasi-total de l’activité.

Exode des travailleurs journaliers

Perçu comme le plus strict de la planète, ce confinement a fauché des millions d’emplois. Du jour au lendemain, les travailleurs journaliers ont été privés de leurs ressources, dans un pays où le secteur informel est roi. Le sort de ces Indiens vulnérables a été drastiquement négligé par les autorités. Durant plusieurs semaines, l’Inde a été le théâtre d’une véritable crise humanitaire, avec de gigantesques migrations de pauvres cherchant à rentrer dans leurs villages natals. De tels mouvements de population n’avaient pas été observés depuis la Partition de l’Inde, en 1947. Le Premier ministre Narendra Modi a attendu le mois de mai pour annoncer un plan de relance d’un montant de 245 milliards d’euros, ,afin d’empêcher l’économie de dérailler. Les critiques l’ont alors jugé tardif et inadapté face à des enjeux décuplés. Mais les travailleurs journaliers ne sont pas les seuls à avoir été touchés par les impacts du confinement. Les ondes de choc se sont propagées à tous les secteurs, de l’industrie au tourisme, à la seule exception de l’agriculture qui a bénéficié cette année de bonnes conditions météorologiques. La perte des moyens de subsistance a fait vaciller nombre de familles indiennes et la consommation des ménages, moteur de la croissance, s‘est en particulier effondrée.

La classe moyenne exposée

Aujourd’hui, les conséquences de l’épidémie du coronavirus continuent de fragiliser le pays. Les inégalités se sont creusées. Il n’est pas aisé d’évaluer l’ampleur des dégâts, au niveau sanitaire comme au niveau économique, en raison des questions liées aux chiffres disponibles. Ainsi, le dernier rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté alerte sur l’absence d’estimations fiables en Inde, avec des chiffres officiels qui, dans ce domaine, remontent à plusieurs années. Nombre d’Indiens dépendent du secteur informel et ne bénéficient pas de la sécurité de l’emploi ni de la protection sociale. Dès le mois d’avril, l’Organisation internationale du travail a annoncé que 400 millions de travailleurs du secteur informel risquaient d’être happés par la pauvreté. Des pans de la classe moyenne, qui se sont extrait de la pauvreté au fil des deux dernières décennies, sont eux aussi menacés de replonger vers la précarité. Près de 21 millions d’emplois salariés ont été perdus entre le mois d’avril et le mois d’août, d’après le Centre pour la surveillance de l’économie indienne.

Des migrants internes patientant à la frontière entre les États indiens de l’Uttar Pradesh et du Ghazipur, le 16 mai 2020.

Plusieurs millions de jeunes sortis des nouvelles universités doivent aussi revoir leurs attentes à la baisse. Tous les mois, un million de nouveaux entrants arrivent sur le marché du travail, et l’Inde est aujourd’hui incapable de les absorber. Enfin, les impacts sociaux de la pandémie se déclinent sur bien des fronts. Par exemple, les enfants ne sont pas retournés sur les bancs de l’école depuis le mois de mars, et en conséquence, le nombre de mineurs qui travaillent en Inde gagne du terrain. L’opposition dénonce « une tragédie économique » et fustige les décisions du premier ministre Narendra Modi et de son gouvernement face à la pandémie. Figure de l’opposition indienne, Rahul Gandhi a notamment accusé M. Modi d’avoir « détruit » le secteur de l’économie informelle.  « Le confinement n’était pas une attaque contre le coronavirus, a-t-il dit. C’était une attaque contre les pauvres de l’Inde. »

Des décennies de progrès mises à mal

Malgré la situation, l’image du premier ministre ne semble pas s’écorner. M. Modi avait pourtant été élu en 2014 pour ses promesses économiques. Face à l’épidémie, il se félicite d’avoir pris les « bonnes décisions au bon moment ». Sa gigantesque base électorale s’est disciplinée autour de sa personnalité et le perçoit en leader charismatique. Ce dernier travaille son image de dirigeant paternaliste et responsable avec autorité. Par ailleurs, M. Modi a su exploiter le contexte de la crise sanitaire et de la paralysie ambiante. Ces derniers mois ont été marqués par les nombreuses arrestations de ses opposants politiques. La création d’un fonds colossal d’aide dédié à la crise du coronavirus, le « PM Cares », est très critiquée pour son manque de transparence. La crise a également été propice à des législations préoccupantes, qui affaiblissent notamment les droits des ouvriers, les protections environnementales, ou encore le cadre de la vente des produits agricoles. Les fortes tensions militaires à la frontière chinoise, dans l’Himalaya, assombrissent plus encore la situation actuelle en Inde.

Alors que l’Inde est en passe de devenir le nouvel épicentre du coronavirus dans le monde, les dernières prévisions économiques immédiates ne sont pas sereines. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), la croissance de l’Inde devrait se contracter de 10,3 % pour l’année budgétaire en cours, soit plus que les 4,5% envisagés en juin ou que les 9,5 % envisagés par la Banque centrale indienne au début du mois. Selon le FMI, la chute serait plus importante que celle subie par le Bangladesh, par exemple. Cependant, le FMI prévoit un fort rebond de 8,8 % en 2021 pour l’économie indienne, plus important que celui estimé pour la Chine. Dans l’immédiat, la pandémie éprouve durement l’Inde et met à mal des décennies de progrès.

(EDA / A. R.)


CRÉDITS

Bijay Kumar Minj / Ucanews