Eglises d'Asie

Catholicisme et martyre au Japon : l’Église locale a marqué 400 ans depuis le massacre d’Edo de 1623

Publié le 06/01/2024




Récemment, Mgr Tarcisio Isao Kikuchi, archevêque de Tokyo, a célébré une messe dans l’église de Takanawa, un quartier de Minato dans la préfecture de Tokyo, afin de commémorer le martyre de 50 chrétiens japonais, le 4 décembre 1623 sur un pont du centre d’Edo, l’ancien nom de la capitale japonaise. Entre octobre 2022 et décembre 2023, l’Église japonaise a vécu 15 mois de commémorations des martyrs du Japon – un temps vu comme « une opportunité de raviver notre ferveur et de nous inspirer de leur force pour l’évangélisation ».

L’église d’Oura, ou basilique des Vingt-Six-Martyrs-du-Japon (Nagasaki), construite après l’abandon de la politique d’isolement en 1853, serait la plus ancienne église du Japon.

Au Japon, les catholiques ont enduré plusieurs siècles de persécutions. Aujourd’hui, la présence de l’Église japonaise, petite mais fervente, est bâtie sur le témoignage d’un nombre incalculable de martyrs, dont beaucoup sont morts en masse. Parmi eux, en novembre dernier, l’Église locale a célébré les 400 ans depuis que les autorités japonaises ont massacré un groupe d’au moins 50 chrétiens. Le 4 décembre 1623, ces derniers ont été brûlés vifs sur un pont au centre d’Edo – l’ancien nom de Tokyo, qui devait devenir une des plus villes les plus grandes et les plus influentes au monde.

Selon le site d’information philippin Radio Veritas Asia (RVA), Mgr Tarcisio Isao Kikuchi, archevêque de Tokyo, a célébré une messe spéciale le 19 novembre dans l’église catholique de Takanawa, et une cérémonie au site de Fuda-no-Tsuji, un ancien site d’exécutions. Un certain nombre de fidèles de Takanawa ont parcouru près de 3 km à pied depuis leur paroisse vers le site.

Ces deux évènements venaient conclure 15 mois de commémoration des martyrs du Japon, annoncés en octobre 2022 par les évêques du pays. Selon ces derniers, ces temps de commémorations étaient « une opportunité d’apprendre la spiritualité des martyrs, qui sont un héritage commun de l’Église au Japon, et de prier ensemble, de raviver notre ferveur afin d’imiter les vies des martyrs, et de nous inspirer de leur force pour l’évangélisation ».

Le témoignage des 26 Martyrs du Japon

L’Évangile est arrivé sur les côtes japonaises en 1549 avec saint François-Xavier, un missionnaire prolifique et contemporain de saint Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre jésuite. Les efforts du missionnaire ont entraîné la propagation de la foi au Japon, et quand il a commencé à pratiquer le japonais couramment, il a entraîné la conversion de dizaines de milliers de personnes, en instruisant la première génération de convertis catholiques japonais. Des missionnaires d’autres ordres religieux comme les augustiniens ou les dominicains ont suivi par la suite.

En deux générations, selon les statistiques de 1614 citées par les évêques japonais, on comptait cette année-là 150 membres du clergé pour plus de 650 000 fidèles, dont deux nobles. Mais même à l’époque, la persécution de la foi était déjà bien entamée à la suite de l’interdiction du christianisme imposée en 1587, à l’époque du dirigeant japonais Toyotomi Hideyoshi, deuxième des trois unificateurs du Japon.

Le 5 février 1597, un groupe de 26 chrétiens – trois jésuites japonais, six franciscains étrangers et plusieurs laïcs, dont quelques enfants – ont été crucifiés à Nagasaki après une marche forcée de presque 1 000 km vers leur mort. Ces 26 chrétiens auraient tenu bon avec bravoure, en chantant l’hymne de louange du Te Deum à leur arrivée sur la colline où ils allaient être crucifiés. Ils sont aujourd’hui connus comme les 26 Martyrs du Japon – ou saint Paul Miki et ses compagnons, d’après un meneur japonais du groupe, qui se formait pour devenir jésuite et qui a pardonné publiquement à ses persécuteurs.

Vue sur la mer d’Ariake depuis le château de Hara, un des « sites chrétiens cachés de la région de Nagasaki ».

Les « chrétiens cachés » de Nagasaki

Leur exemple a aidé à inspirer les chrétiens au Japon qui ont continué à se développer, avec beaucoup d’églises et de séminaires. Toutefois, l’interdiction du christianisme a conduit à beaucoup d’autres martyres, dont le grand martyre d’Edo de 1623, évoqué précédemment. À la suite de ces persécutions, les chrétiens japonais, durant une longue période entre les XVIe et XIXe siècles, ont vécu et conservé la foi en secret malgré les violences et les humiliations.

Les persécutions de cette période – qui ont entraîné le reniement de nombreux chrétiens menacés de morts violentes, notamment par crucifixion – ont été racontées par le roman historique Silence et par le film du même nom réalisé par Martin Scorsese. Les témoignages de beaucoup de ces « chrétiens cachés » – « kakure kirishitan » en japonais – sont racontés dans des lettres et documents restaurés au cours de la dernière décennie par les archives et la bibliothèque du Vatican.

Vers la moitié du XIXe siècle, les prêtres des Missions Étrangères de Paris ont tenté une nouvelle entrée au Japon. Aujourd’hui, le pays compte toujours une large présence de divers ordres religieux qui ont évangélisé le pays, comme les franciscains. L’empereur Meiji, qui a régné de 1867 à 1912, a permis la réouverture du Japon à la liberté religieuse en 1889. En février 2023, l’Église locale a célébré le 150e anniversaire depuis le retrait (en 1873) de l’interdiction du christianisme. Le premier diocèse du pays a été créé en 1904 (on en compte aujourd’hui seize), et en 1960, Mgr Pierre Tatsuo Doi, alors archevêque de Tokyo, a été créé cardinal.

Le catholicisme au Japon aujourd’hui

Au cours des dernières décennies, après avoir été présent massivement aux Philippines durant des siècles, le christianisme s’est développé dans d’autres pays asiatiques voisins du Japon comme le Vietnam ou encore dans la ville de Hong-Kong. La Corée du Sud en particulier, qui compte aujourd’hui près d’un tiers de chrétiens, et où les catholiques représentent environ 11 % de la population totale. L’essor du catholicisme en Corée du Sud a contribué au choix de Séoul pour les prochaines JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) de 2027.

Par comparaison, aujourd’hui, le Japon reste majoritairement non religieux, et les chrétiens forment toujours environ 1 % de la population. Les efforts de l’Église catholique locale pour évangéliser la population japonaise se sont fréquemment confrontés à des blocages comme une culture riche et fortement sécularisée ou l’affaiblissement de l’identité catholique dans certaines des écoles du pays, selon Mgr Kikuchi, archevêque actuel de Tokyo.

Pourtant, les témoignages des nombreux martyrs japonais au fil des siècles restent une force évangélisatrice importante. « Tant que nous mettons notre confiance en Dieu, nous n’avons à craindre aucun mal. Au contraire, les temps de crise sont de bonnes opportunités pour accueillir la grâce de Dieu », a écrit l’an dernier Mgr Paul Yoshinao Otsuka, évêque de Kyoto et président de la Commission des évêques japonais pour la promotion des canonisations.

Des pèlerins japonais attendent le pape François, place Saint-Pierre à Rome en octobre 2014, avant l’audience générale du mercredi.

« Alors qu’ils étaient persécutés, les chrétiens de l’âge des persécutions ne se terraient pas en osant à peine respirer. Même en étant recherchés par les autorités, les chrétiens s’occupaient des malades, des veuves et des orphelins, ils tendaient la main aux pauvres », a-t-il souligné. « Regardons les martyrs qui ont témoigné de leur amour au milieu des difficultés, et trouvons un nouveau rayon d’espoir pour les 50 prochaines années », a-t-il conclu.

Les hommages des papes aux Martyrs du Japon

Au fil des années, les papes ont également salué le témoignage des Martyrs du Japon. Saint Jean-Paul II, dans une homélie prononcée durant sa visite historique au Japon en 1981, a évoqué les nombreux martyrs chrétiens du pays comme « une multitude glorieuse, comme celle des chrétiens des premiers siècles ». « Avant leur mort, comme tous ceux qui sont justes aux yeux de Dieu, ils étaient pauvres en esprit, doux, tolérants, assoiffés de justice, miséricordieux, ils avaient le cœur pur ; c’étaient des artisans de paix », avait-il déclaré. « L’amour généreux et les activités zélées des martyrs peuvent toutes être expliquées par la force de l’Esprit Saint qui a travaillé eu eux… Ils sont devenus pour tous un exemple de fidélité au Christ, dont le retour est attendu avec espérance et amour. »

« Par la grâce de Dieu, les chrétiens au Japon ont médité l’Évangile à travers les mystères du Rosaire. Ils savaient qu’il y avait un homme loin de leur pays appelé pape. Aujourd’hui, il vient rendre hommage à la tradition des chrétiens de Nagasaki afin de dire personnellement à leurs descendants qu’il les aime dans le cœur du Christ Jésus », avait poursuivi Jean-Paul II dans son homélie.

Plus récemment, le pape François a également évoqué les martyrs japonais durant son voyage de 2019. En tant que jeune jésuite, lui-même espérait être envoyé au Japon comme missionnaire, mais cela n’a pas pu se faire pour des raisons de santé. Le pape a pris la parole au mémorial de la colline de Nishizaka à Nagasaki, où saint Paul Miki et ses compagnons sont morts, ainsi que plusieurs centaines d’autres chrétiens au fil des années. « N’oublions jamais leur sacrifice héroïque ! » a lancé le pape en parlant des centaines de martyrs qui ont « sanctifié la terre par leur souffrance et leur mort ».

(Avec Jonah McKeown / CNA)


CRÉDITS

Catholic News Agency ; japan-guide.com ; Chabu / CC BY-NC 4.0 DEED