Eglises d'Asie

Le dénouement de la crise des otages sud-coréens en Afghanistan amène les Eglises protestantes à se déclarer plus « prudentes » dans leur travail missionnaire à l’étranger

Publié le 18/03/2010




A Séoul, l’annonce, le 28 août dernier, d’un accord en vue de la libération des 19 otages sud-coréens encore détenus en Afghanistan a été accueillie avec joie et soulagement. Dès le lendemain, les organismes réunissant le principal des dénominations protestantes du pays ont déclaré qu’ils se plieraient à l’engagement du gouvernement sud-coréen de faire cesser toute activité missionnaire chrétienne sud-coréenne en Afghanistan et que la crise provoquée par cette affaire allait les amener à réviser leurs manières d’agir.
« A travers cet incident, nous allons nous pencher sur laide humanitaire et le travail missionnaire menés par les Eglises coréennes à létranger. Nous prenons ceci comme une opportunité pour rendre notre œuvre plus efficace et plus sûre », a déclaré le Rév. Kwon Oh Sung, président du Conseil national des Eglises (protestantes) en Corée. Le Conseil chrétien de Corée, une autre organisation représentant les Eglises protestantes du pays, s’est pour sa part dit « désolé » de la crise ainsi créée et a affirmé que les Eglises devaient désormais se montrer plus « prudentes » dans leur travail missionnaire lorsqu’il est entrepris dans des régions dangereuses.

 

Pour un grand nombre de Sud-Coréens, dans un pays où les chrétiens représentent presque un tiers de la population (9 % de catholiques et environ 20 % de protestants), la crise des otages représente le prix que le pays paye pour le travail qu’un grand nombre de ses Eglises, notamment issues des milieux évangéliques, réalisent à l’étranger. En 2004, un interprète sud-coréen, qui aspirait à devenir pasteur, a été décapité dans des conditions atroces en Irak. En Chine, des missionnaires sud-coréens ont été – et sont encore – détenus en prison pour être venus en aide à des Nord-Coréens ayant fui leur pays et cherchant à gagner la Corée du Sud. Selon des informations difficiles à confirmer, l’un d’eux a été kidnappé en Chine par des agents nord-coréens en 2000 et serait mort en Corée du Nord. Selon l’Association coréenne des missions dans le monde, les Eglises protestantes sud-coréennes ont envoyé, en 2006, 14 086 missionnaires à l’étranger. En août 2006, à Kaboul, un groupe protestant, l’Institut pour la culture asiatique et le développement, avait cherché à organiser une « manifestation pour la paix » à Kaboul, mais avait renoncé après que le gouvernement afghan avait menacé d’expulser les quelque 1 200 Sud-Coréens qui s’étaient rendus dans la capitale afghane pour ce qu’ils décrivaient être une « rencontre culturelle ».

 

Dans les journaux sud-coréens, outre la compassion manifestée à l’égard des otages et de leurs familles, les critiques n’ont pas manqué pour dénoncer l’imprudence des Eglises évangéliques et leur empressement à envoyer certains de leurs membres en mission sans beaucoup de discernement. « Dans les Eglises sud-coréennes, laccent est mis sur la croissance et lexpansion, a expliqué Lee Won Gue, professeur au Séminaire théologique méthodiste de Séoul. Les Eglises se livrent à une compétition féroce – tant et si bien que la réputation dun pasteur ou de son Eglise dépend souvent du nombre de missionnaires quil a pu envoyer à létranger et du nombre déglises qui y ont été construites. »

 

Dans le cas des otages sud-coréens en Afghanistan, leur pasteur, le Rév. Bae Hyung Kyu, qui, ainsi qu’un de ses coreligionnaires, a été tué par ses ravisseurs, était âgé de 41 ans. Il avait fondé son Eglise, « la Communauté de Saemmul (Samuel) », il y a neuf ans, dans un quartier prospère de Séoul, à Seongnam, quittant pour cela un emploi de cadre. Organisé par la Fondation coréenne pour l’aide dans le monde, une ONG caritative chrétienne, le voyage des 23 chrétiens sud-coréens ne devait durer que dix jours, du 13 au 23 juillet ; âgés d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, majoritairement féminins, les chrétiens emmenés par le pasteur Bae devaient apporter du matériel médical et fournir des services éducatifs. Le 19 juillet, lors du voyage de Kaboul à Kandahar, effectué en bus public, ils ont été kidnappés.

 

L’accord du 28 août entre les négociateurs sud-coréens et les émissaires des ravisseurs soulève des questions. Les talibans ont abandonné leur revendication principale (la libération de plusieurs des leurs, prisonniers du gouvernement afghan) et le gouvernement sud-coréen a annoncé le retrait des 200 soldats sud-coréens déployés au sein de la coalition dirigée par les Etats-Unis – un retrait qui était déjà programmé pour la fin 2007. L’interdiction des activités missionnaires chrétiennes sud-coréennes en Afghanistan est le seul « succès » remporté par les talibans. Que ce soit à Kaboul ou à Séoul, les spéculations vont bon train quant à une importante rançon payée par la Corée du Sud aux ravisseurs. Un ministre afghan a qualifié le règlement de la crise de « dangereux précédent », craignant que les talibans ou d’autres groupes ne se saisissent de nouveaux otages pour en monnayer la libération.