Eglises d'Asie – Vietnam
Crise économique : l’Église vietnamienne intervient auprès des victimes oubliées du Covid-19
Publié le 15/09/2020
Depuis sa boutique, devant chez elle, Marie Nguyen Thi Quang, âgée de 78 ans, vend des produits comme du sel, de la sauce nuoc-mâm, de l’huile de cuisson, des friandises ou des boissons, afin de survivre au quotidien. « Je gagne environ 100 000 dongs par jour [3,64 €], mais c’est insuffisant pour nous. Nous devons dépenser toutes nos économies, et nous n’avons pratiquement plus rien », explique-t-elle. Elle-même et son mari – âgé de 83 ans, celui-ci souffre de problèmes cardiaques – se contentent de ces faibles revenus depuis plusieurs mois. Ils n’ont que peu de clients en raison de la pandémie. Marie Quang, une Vietnamienne de la ville de Yen Bai, dans le nord-est du pays, ajoute que les autorités leur ont refusé des aides parce qu’ils possèdent cette boutique familiale. « Nous sommes âgés, et nous méritons de toucher une allocation, parce que nous n’avons pas d’autres revenus et nous subissons nous aussi les conséquences de la pandémie », souligne-t-elle. En avril, le Premier ministre vietnamien Nguyen Xuan Phuc a annoncé une aide de 62 mille milliards de dongs (2,26 milliards d’euros), afin de soutenir 20 millions de personnes démunies, particulièrement affectées par la crise.
Les personnes et les foyers concernés ont alors appris qu’ils auraient droit à des allocations mensuelles de 250 000 à 1,8 million de dongs (entre 9 et 65 euros) pendant trois mois, jusqu’en juin. Toutefois, le ministère du Travail, des Invalides et des Affaires sociales a annoncé en août que seuls 17,5 mille milliards de dongs (636,8 millions d’euros) avaient été distribués auprès de seulement 16 millions de personnes. Selon des experts, il est compliqué de vérifier que les bénéficiaires remplissent bien les conditions nécessaires, et pour eux, les autorités locales se sont renvoyé la balle en repoussant les délais, de peur d’être sanctionnées en cas d’erreurs. Ainsi, beaucoup de travailleurs à la journée ou sans contrat de travail, incapables de remplir les procédures compliquées exigées par les autorités, n’ont pas eu accès aux allocations. Pour les experts, ceux qui sont dans ce cas sont pourtant majoritaires parmi les victimes des conséquences économiques de la pandémie.
Corruption à Thanh Hoa
Le 25 août, Vietnamplus, le site web d’informations officiel de la Vietnam News Agency, l’agence de presse d’État, a rapporté que beaucoup de foyers démunis du village de Xuan La, en périphérie de Hanoï, n’avaient reçu aucune aide financière, tandis que d’autres familles plus aisées en avaient bénéficié. Certains travailleurs à la journée, qui ont perdu leur emploi durant la pandémie, auraient renouvelé leur demande à de nombreuses reprises, sans succès. Les autorités locales ont reconnu qu’elles n’étaient pas parvenues à identifier toutes les victimes de la crise dans le village de 4 000 habitants. En mai, quand des médias locaux ont accusé des fonctionnaires de la province de Thanh Hoa, dans le nord du Vietnam, de faire du porte à porte pour empêcher des milliers de familles pauvres de toucher les aides, le Premier ministre a interdit aux autorités locales de forcer les gens à refuser les allocations. Beaucoup de critiques ont accusé les autorités locales de forcer les victimes à refuser les aides afin de faire plaisir à leurs supérieurs ou pour se remplir les poches.
Le gouvernement prévoit de lancer un deuxième programme d’aides pour les commerces, les coopératives, les professionnels indépendants et les travailleurs frappés par la crise. La nouvelle aide est annoncée entre 70 et 90 mille milliards de dongs (entre 2,55 et 3,28 milliards d’euros), avec une distribution prévue au cours des quatre derniers mois de l’année 2020. Le ministère du Travail, des Invalides et des Affaires sociales a proposé que cette nouvelle aide profite également aux personnes qui doivent payer un loyer mensuel et qui ont des enfants de moins de six ans, mais qui ont perdu leur emploi ou dont le contrat a été suspendu temporairement. Les foyers concernés recevront 1 million de dongs (36 euros) par mois et par membre du foyer, pendant un maximum de trois mois.
« Le gouvernement doit simplifier les procédures »
Maria Pham Thuy Tinh, propriétaire d’un petit restaurant à Yen Bai, estime que le gouvernement devrait simplifier les procédures administratives pour pouvoir venir en aide à un maximum de personnes dans le besoin. Maria Tinh ajoute que le second programme d’aide annoncé doit se concentrer sur ceux qui sont les plus affectés par la pandémie. Elle-même a reçu une aide de seulement 1 million de dongs (36 euros) en juillet. Dans le cadre du premier programme d’aides, elle ajoute qu’elle aurait dû toucher 3 millions de dongs sur trois mois. Maria Tinh explique qu’elle gagne aujourd’hui environ 150 000 dongs par jour (5 euros) contre au moins 500 000 dongs (18 euros) dans le passé. « Ce n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins de ma famille », confie-t-elle, alors que sept personnes vivent sous son toit. « Nous sommes déçus par les premières aides reçues, parce que beaucoup de gens dans le besoin n’ont rien reçu », dénonce Maria, en ajoutant que beaucoup de personnes étaient incapables de fournir les documents demandés pour bénéficier d’une allocation.
John Nguyen Ngoc Hong, âgé de 20 ans, explique qu’avant la pandémie, il travaillait comme ouvrier à la journée dans une boutique de menuiserie, et qu’il gagnait environ 3 millions de dongs par mois (109 euros). « Je suis au chômage depuis plusieurs mois, parce que la pandémie a également touché les ventes dans le secteur, mais je n’ai encore rien reçu du gouvernement », regrette John Hong, qui vit chez ses parents. « J’étais payé à la journée et je n’avais aucun contrat d’embauche. Comment montrer les documents nécessaires pour obtenir les aides, dans ce contexte ? Si le gouvernement ne simplifie pas les procédures, beaucoup de gens sans emploi comme moi vont en pâtir. » John Hong s’attend à voir le taux de chômage continuer de grimper dans les prochains mois.
Le soutien de l’Église
Sœur Marie Do Thi Quyen, membre de la congrégation des Amantes de la Croix, dans la province de Lai Chau, confie que les villageois Hmong se sont retrouvés complètement désœuvrés durant la crise. Ils se sont retrouvés sans travail, faute de pouvoir aller travailler ailleurs ou en Chine. La religieuse explique qu’en mai, trois filles Hmong sont mortes tragiquement après avoir mangé des champignons vénéneux. Leurs parents et leurs proches étaient alors absents. Les catholiques de la région ont aidé leurs familles à organiser les funérailles. Sœur Marie Quyen explique que beaucoup, parmi eux, sont forcés de ramasser des fruits et des légumes dans les forêts pour se nourrir, en attendant les récoltes. Peu d’aides financières arrivent localement, les bienfaiteurs habituels étant eux-mêmes affectés par la situation. Les religieuses se retrouvent donc sans rien pour nourrir les plus démunis. « Que Dieu mette fin bientôt à cette pandémie, pour que les bienfaiteurs puissent nous visiter et fournir ce dont nous avons besoin pour les communautés locales », espère la religieuse.
Le père Joseph Nguyen Tien Lien, curé de la paroisse de Mai Yen, dans la province de Son La, où vivent plusieurs groupes ethniques minoritaires, explique que dans les hôpitaux de la région, beaucoup de patients manquent de nourriture. Le prêtre ajoute que des groupes de catholiques viennent tous les jours dans les hôpitaux pour distribuer des repas gratuits aux patients et à leurs proches. Le père Joseph ajoute avoir besoin de bienfaiteurs pour couvrir les frais de l’opération. Le prêtre emmène également des catholiques visiter et soutenir d’autres familles démunies face à la crise et aux inondations récentes. De son côté, le père Vincent Vu Ngoc Dong, directeur de la Caritas dans l’archidiocèse de Hô-Chi-Minh-Ville (Saïgon), a lancé un appel aux dons dans le cadre du festival de la mi-automne, qui tombe le 1er octobre. Le prêtre ajoute que Caritas prévoit d’organiser des festivités à cette occasion pour les enfants en difficultés, en particulier auprès des plus affectés par la pandémie. Mgr Joseph Nguyen Nang, archevêque de Hô-Chi-Minh-Ville, a également appelé les catholiques à s’engager localement et à offrir une aide matérielle et psychologique aux malades et aux plus démunis. « Nous devons montrer que nous sommes les disciples de Jésus en faisant la charité avec générosité, et en manifestant notre solidarité », a-t-il ajouté. L’archevêque a également appelé à prier pour le monde face à la pandémie, en soulignant que la religion est l’âme de la vie humaine. « Sans religion, les êtres humains perdront leurs repères et ne sauront plus où aller. »
(Avec Ucanews, Hanoï)
CRÉDITS
caritasvietnam.org