Eglises d'Asie

Des écoles de fortune pour les enfants Rohingyas réfugiés au Cachemire

Publié le 15/03/2019




Parmi les quelque 1 219 familles Rohingyas, soit 5 107 personnes, qui habitent aux camps de réfugiés de la région de Jammu, dans l’État de Jammu et Cachemire, quelques jeunes ont monté de petites écoles maternelles afin de permettre aux enfants de recevoir une éducation. Ainsi, avec l’aide de l’ONG Sakhawat Centre qui leur a fourni des uniformes, des livres et d’autres fournitures scolaires, ils sont 50 à 100 par jour à venir à l’école improvisée. Une initiative qui redonne espoir à la communauté, face aux refus des écoles locales d’accueillir des enfants Rohingyas sous la pression de plusieurs groupes hindous qui ont demandé leur départ auprès du gouvernement.

Alors que leurs parents luttent pour trouver de la nourriture et des emplois à mi-temps, des centaines d’enfants Rohingyas reçoivent une éducation sommaire dans un camp de Bathandi, près de Jammu dans l’État de Jammu et Cachemire. Ces dernières années, des centaines de milliers de musulmans Rohingyas ont fui les persécutions militaires en Birmanie en trouvant refuge au Bangladesh, mais une poignée d’entre eux est allée jusqu’en Inde. Selon les chiffres du gouvernement, 1 219 familles Rohingyas, soit 5 107 personnes, vivent au Cachemire. Parmi eux, 4 912 réfugiés détiennent des cartes délivrées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Parmi ceux qui ont trouvé refuge au Cachemire indien se trouve la famille de Mohammad Tahir, un musulman réfugié de 22 ans. Aujourd’hui, il fait la classe aux enfants qui, comme lui, ont été forcés de quitter leur pays et d’abandonner l’école. Mohammad explique qu’il a été recommandé par un contact de New Delhi qui lui a permis de venir jusqu’au Cachemire afin de rejoindre la jeune communauté qui s’y est installée. « On nous a dit que le climat d’ici était supportable, et que nous aurions des salaires décents, donc nous avons décidé de ‘planter notre tente’ ici », confie-t-il. Durant l’un des cours donnés aux jeunes enfants, Mohammad Thir leur a par exemple demandé de réciter les noms des différents fruits en anglais. « Vous voyez ? Ils les ont déjà mémorisés », ajoute-t-il en souriant. « Ils reconnaissent aussi les noms des couleurs en anglais, et ils ont appris l’alphabet. »

Assise au premier rang dans la classe de fortune, Tasleema Akhtar, une fillette Rohingya de quatre ans, essaie de prononcer correctement des mots anglais comme « papaya », « orange » ou « guava ». Tasleema fait partie des milliers d’enfants qui ont accompagné leurs parents afin de fuir les violences et les discriminations. Elle ne connaît sa région d’origine qu’à travers des berceuses et des histoires racontées par sa mère. En classe, elle est capable de décrire l’État d’Arakan (Rakhine) comme une terre « pleine de fruits, de rivières et de poissons ». Sa famille a quitté la Birmanie en 2012, cinq ans avant la répression militaire qui a éclaté en 2017, entraînant la fuite de près de 700 000 réfugiés Rohingyas. Tasleema est née deux ans après la fuite de sa famille, en 2014, dans un camp de réfugiés au Cachemire. « Ce n’est que sa première semaine à l’école, mais elle nous a tous étonnés avec son sens de l’humour. Elle se débrouille très bien en maths et sa mémoire est impressionnante », raconte Mohammad Tahir, qui se souvient des persécutions que sa communauté a subies dans l’État d’Arakan. Il avait 19 ans quand sa famille est partie. Il a voyagé pendant des jours à travers un terrain difficile, avec ses deux frères et ses parents, avant d’atteindre l’Inde.

50 à 100 élèves par jour

Pourtant, les choses ne sont pas non plus au beau fixe aujourd’hui. Plusieurs groupes hindous ont demandé au gouvernement de les renvoyer. Ils affirment que le véritable nombre des réfugiés dans les régions comme le Cachemire est bien plus élevé que ce qui a été annoncé, estimant que plusieurs milliers de réfugiés ont infiltré la région illégalement. Le camp a été attaqué par des foules hindoues à plusieurs reprises. Des groupes pro hindous ont appelé le public à s’élever contre les réfugiés pour les forcer à partir. Mohammad Tahir explique que peu après le lancement de ces campagnes, les écoles locales ont commencé à fermer leurs portes aux enfants Rohingyas. Les enseignants expliquaient que les parents indiens n’étaient pas prêts à les laisser venir. « Quand nous avons protesté, ils ont évoqué l’excuse de la barrière de la langue », ajoute Mohammad. Ce dernier, qui a été jusqu’au lycée, a donc recherché d’autres personnes du camp qui ont également reçu une éducation secondaire, afin de trouver une solution. « Nous avons échangé beaucoup d’idées, et nous avons décidé de monter quelques petites écoles maternelles. Quand les élèves maîtriseront les bases, les écoles de la région n’auront plus aucune raison de les rejeter », insiste-t-il. Le Centre Sakhawat, une ONG, aide également les réfugiés en fournissant des uniformes, des livres et d’autres fournitures scolaires. Habituellement, la classe accueille entre 50 et 100 élèves, explique Mohammad Ashraf, un cadre de l’ONG. Les écoles publiques auraient accepté d’accueillir les enfants Rohingyas capables de parler et d’écrire correctement, mais « nous ne savons pas jusqu’où nous pouvons aller », ajoute Mohammad Tahir.

Masood Ahmad, 19 ans, enseigne également au camp. Il explique que les enseignants sont déterminés à « tout faire pour que la nouvelle génération ne traverse pas ce que nous avons vécu ». « Nous avons vu, vécu et supporté suffisamment de souffrances. C’est parce que notre communauté ignorait ses droits que nous avons été massacrés et que nos maisons ont été incendiées », ajoute-t-il. Il estime que ce serait un crime de laisser les enfants des camps sans éducation, parce que cela ne ferait que répéter un cercle vicieux dans lequel beaucoup de familles Rohingya se sont retrouvées. « L’éducation, c’est la seule arme efficace que nous avons pour nous élever contre les injustices et pour des droits équitables. Même si cela nous prend vingt ans avant de pouvoir retourner en Birmanie, ces enfants doivent tous repartir en ayant reçu une bonne éducation, en comprenant leurs droits », poursuit Masood. Noor Alam, un musulman Rohingya d’une cinquantaine d’années vivant au camp, estime que l’école a donné à sa communauté l’espoir d’un meilleur avenir. « Grâce à l’éducation, nos enfants ne pourront pas être humiliés, ridiculisés, torturés ou persécutés comme nous l’avons été », affirme-t-il.

(Avec Ucanews, Srinagar)


CRÉDITS

Umar Manzoor Shah / Ucanews