Eglises d'Asie

Économie : l’Église philippine face aux inégalités grandissantes dans l’archipel

Publié le 03/02/2023




Le mois dernier, dans une lettre pastorale, Mgr Jesse Mercado, de la Commission pour la vie familiale, a évoqué l’écart qui continue de se creuser entre les plus aisés et les plus démunis aux Philippines, en appelant à se tourner « vers le Seigneur qui lui seul peut nous donner tout ce dont nous avons besoin ». Malgré une croissance économique de 8,3 % au premier trimestre 2022, beaucoup de foyers du Grand Manille vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 42 000 pesos par mois (710 euros) pour une famille de cinq personnes.

Caritas Manille a soutenu de nombreuses familles durant les confinements en distribuant des colis alimentaires.

Jose Toribio, un chauffeur de taxi de Manille, se lève tous les jours à cinq heures du matin, avant de prendre un café et du pandesal, ou « pain de sel », une variété connue comme le « pain du pauvre » aux Philippines. Parfois, il mange aussi du gruau de riz invendu de la veille. Sa femme, Lisa, lui prépare aussi un déjeuner, une omelette et du riz. « Il y a toujours des œufs et du riz, parfois avec des sardines ou du corned-beef, parce que c’est trop cher de manger à l’extérieur. C’est plus rentable d’apporter ma propre nourriture et de l’eau quand je suis dans mon taxi », explique-t-il.

À six heures, il commence à vérifier son taxi avant de parcourir les rues encombrées de la capitale. « C’est un boulot dangereux », confie-t-il. Il raconte avoir été agressé à trois reprises par des hommes prétendant être des passagers. Une fois, ils ont volé tout ce qu’il avait sur lui, y compris de l’argent qu’il avait économisé pour payer les frais de scolarité de ses quatre enfants. « Quand vous êtes chauffeur de taxi, vous avez déjà un pied dans la tombe. C’est toujours risqué d’accepter des passagers la nuit à Manille, parce qu’on ne peut pas savoir à coup sûr leurs intentions. Mais j’ai besoin de travailler pour vivre », poursuit Jose.

De retour chez lui, il ne se repose pas toute de suite. Son logement est situé près d’une station de bus très fréquentée où des chauffeurs attendent avant leurs horaires de départ. « Je vends des œufs durs et du gruau de riz jusqu’à tard le soir. » Ainsi, il travaille 17 à 18 heures par jour pour nourrir les six membres de sa famille. Deux de ses enfants étudient à l’université, et deux autres sont au lycée. Sa femme gagne moins de 8 000 pesos (135 euros) par mois en travaillant dans une laverie du quartier. À eux deux, ils gagnent à peine 20 000 pesos (340 euros) par mois.

C’est bien inférieur au seuil de 42 000 pesos par mois estimé comme revenu minimum vital pour une famille de cinq personnes à Manille, selon un rapport de l’agence Neda (National Economic and Development Authority) publié en 2021. On compte plusieurs millions d’autres habitants comme eux dans le Grand Manille et ailleurs dans le pays.

Le taux de pauvreté était de 18,1 % en 2021

Selon un rapport de 2021 sur l’incidence de la pauvreté aux Philippines, le taux de pauvreté était alors de 18,1 %, soit 19,99 millions d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté, selon l’Autorité nationale des statistiques. « Presque 20 millions de Philippins sont pauvres et ne peuvent payer une éducation supérieure pour leurs enfants », estime Claira Mapa, une statisticienne philippine.

Jose et Lisa Toribios, catholiques, confient pourtant que leur famille s’estime « bénie » d’avoir des opportunités de travail. « Le Seigneur est miséricordieux parce que nous avons du travail. Il y a beaucoup de gens qui n’ont aucune source de revenu », assure Jose.

C’est aussi le sentiment partagé par Marina Cruz, qui vit dans la rue et qui gagne de l’argent en vendant des vieux vêtements à Quezon City. Elle explique qu’elle dort sous le pont Tandang Sora de Quezon, et qu’elle fouille les restes laissés par les restaurants. Durant les confinements, durant la pandémie, elle a eu du mal à trouver à manger parce qu’elle ne pouvait même pas quitter son abri pour mendier de la nourriture. Depuis, elle a survécu grâce aux dons de plusieurs groupes catholiques comme le projet Vincentien baptisé « Vincent Helps ». « Sans cela, je n’aurai rien eu à manger. Ils sont venus me voir dans ma petite cabane pour me donner de la nourriture durant les confinements, et je suis vraiment reconnaissante pour cela », confie-t-elle.

« L’inégalité est plus importante que jamais aux Philippines »

Malgré de telles situations, l’économie du pays a pourtant enregistré une croissance de 8,3 % durant le premier trimestre 2022. Il faut aussi noter que neuf des milliardaires les plus riches des Philippines ont plus de ressources que la moitié de la population, selon Oxfam International. « L’inégalité est plus importante que jamais aux Philippines », a déclaré la directrice d’Oxfam Philippines, Erika Geronimo, en citant le classement Forbes des milliardaires.

Parmi les plus riches du pays, on compte le clan des Sy, propriétaires des centres commerciaux SM Malls estimé à près de 12,6 milliards de dollars US, ainsi que Manuel Villar, ancien parlementaire et magnat de l’immobilier dont la valeur nette est d’environ 7,8 milliards de dollars.

Face au fossé grandissant entre les plus riches et les plus pauvres de l’archipel, la Conférence épiscopale philippine a exprimé sa solidarité avec les plus démunis en appelant les plus aisés à se montrer généreux. « Je voudrais vous assurer que nous continuons d’offrir nos prières pour que vous trouviez de l’aide dans votre situation et que vous puissiez être libérés de vos épreuves. À ceux qui ont plus dans la vie, s’il vous plaît, aidez ceux qui sont dans le besoin », a déclaré Mgr Jesse Mercado, de la Commission pour la vie familiale, dans une lettre pastorale publiée le mois dernier.

« En ces temps difficiles, tournons notre regard vers le Seigneur qui lui seul peut nous donner tout ce dont nous avons besoin. Mettons-nous à l’œuvre comme représentants de Dieu après des pauvres, en faisant savoir que nous sommes là les uns pour les autres », a-t-il ajouté.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Ucanews