Eglises d'Asie – Inde
Économie : les écarts entre riches et pauvres se creusent en Inde, selon un nouveau rapport
Publié le 22/12/2021
En Inde, les pauvres se sont encore appauvris au fil des années : plus de 600 millions d’Indiens se partagent seulement 6 % des richesses nationales tandis que les 1 % les plus riches se partagent 33 % des richesses. « L’Inde se démarque comme un pays pauvre et très inéquitable, mais avec une élite très aisée », commente le Laboratoire sur les Inégalités Mondiales, basé à Paris, qui signale avec une tendance à l’accroissement des inégalités en Inde.
Le dernier rapport publié par l’organisation, dirigée par Lucas Chancel, président, et par l’économiste Thomas Piketty, indique par ailleurs que près d’1 % de la population indienne touche 21,7 % du revenu national total, tandis que la moitié inférieure gagne seulement 13,1 % de ce revenu. Ces conclusions contrastent fortement avec le fameux slogan du Premier ministre indien Narendra Modi, « Sabka Saath, Sabka Vikas », qui promet le développement et le soutien de tous, et qui l’a aidé à emporter le pouvoir en 2014.
Narendra Modi a suscité beaucoup d’espoir parmi les plus modestes en promettant de meilleurs revenus et des emplois pour tous, et en répétant un autre slogan lors des meetings politiques : « Acchey Din Aaane Wale Hain » (« Les beaux jours arrivent »). Le tableau présenté par le Laboratoire sur les Inégalités Mondiales semble pessimiste.
Un chômage record depuis 35-40 ans
« Si les classes moyennes se demandaient pourquoi les choses ne s’étaient pas améliorées malgré les promesses autour du slogan ‘Acchey Din’ de Modi, ce rapport est très clair », souligne Ramakanto Shanyal, un éducateur basé au Bengale occidental. Il cite de nombreux problèmes qui ont causé l’échec du modèle de gouvernance économique actuel du pays au fil des années. « L’Inde a besoin de produire au moins dix millions de nouveaux emplois chaque année. Ce n’est pas ce qui se passe en ce moment. Une grande partie de la population est engagée dans l’économie informelle tandis que plus de 60 % de la classe moyenne doit se débrouiller pour garder leur emploi et maintenir leurs revenus pour les six mois à venir », souligne-t-il.
Partho Chakravarty, un responsable du parti AITC (All India Trinamool Congress), estime que « le fait de démonétiser certaines unités monétaires [en les supprimant et en les remplaçant comme monnaies légales en 2016] s’est révélé désastreux ». « Aujourd’hui, le taux de chômage a atteint un niveau record depuis 35 à 40 ans », déplore-t-il. Le rapport indique également une forte augmentation des richesses privées des plus aisés, de 290 % en 1980 à 560 % en 2020 (il s’agit de l’ensemble des actifs financiers et non-financiers détenus par le secteur privé). Le rapport ajoute une tendance au capitalisme de connivence (une économie capitaliste où le succès en affaires dépend des relations étroites avec les représentants du gouvernement).
De leur côté, les autorités refusent de réagir immédiatement au rapport, en le considérant comme une étude non-officielle publiée par une organisation privée. Le gouvernement reconnaît pourtant que les choses se sont compliquées depuis la libéralisation de l’économie indienne en 1991. « Il y a eu un laxisme politique et une absence de vision. Depuis les années 1990, les flux d’investissements étrangers directs se sont principalement concentrés sur des métropoles déjà développés et dynamiques comme Mumbai, Delhi, Bangalore, Hyderabad et Chennai, et sur des États comme le Gujarat », explique un membre du ministère du Commerce.
Libéralisation et disparité économique
Narendra Modi, qui a été le ministre en chef du Gujarat de 2001 à 2014, aurait facilité le succès de capitaines d’industrie comme les frères Ambani ou encore Gautam Adani. Mais de telles affirmations sont de nature politique et ne peuvent être prouvées. Un responsable du BJP basé à Delhi a nié toute accusation de népotisme, tout en admettant que comparés à d’autres États indiens, le Gujarat et la ville de Mumbai offrent un climat d’affaires et de travail dynamique.
On peut citer d’autres constats amers concernant la gouvernance économique indienne, qui ont contribué à accroître les écarts entre les riches et les pauvres dans le pays. « Entre 1947 et 1991, l’économie était dirigée par des bureaucrates corrompus. Leurs ballades familiales étaient plus importantes que la croissance économie nationale. La libéralisation économique de 1991 a favorisé la prospérité, sans aucun doute, mais après cela, la disparité économique a aussi augmenté en Inde », souligne Naushad Khan, un trader de Delhi.
Les autorités affirment qu’après le retour au pouvoir de Narendra Modi en 2019, le gouvernement a annoncé une plus grande libéralisation de l’économie, en supprimant certaines restrictions sur les investissements étrangers directs dans de multiples secteurs, notamment concernant l’extraction du charbon et la production contractuelle. Ainsi, l’Inde a obtenu d’excellents classements selon l’Indice de la facilité de faire des affaires, un indicateur de la Banque mondiale. Le pays a été classé 63e sur 190 économies évaluées.
Pourtant, Adhir Chowdhury, du parti du Congrès, membre de l’opposition, assure que « l’Inde reste un pays difficile pour faire des affaires » et que « d’autres réformes économiques sont nécessaires ». Mais cette question reste controversée. Le 19 novembre, Narendra Modi a retiré trois lois agricoles de la réforme agricole votée en septembre 2020, et qui risquaient, selon les paysans indiens, de les forcer à brader leurs marchandises aux grandes sociétés pour les écouler. Le Premier ministre a fini par céder après avoir échoué à les convaincre des mérites ou des buts véritables de la réforme du secteur agricole national, en particulier concernant la commercialisation des produits agricoles.
(Avec Ucanews)