Eglises d'Asie – Inde
En Inde, le décès en détention du père Stan Swamy, âgé de 84 ans, soulève l’émotion
Publié le 09/07/2021
Le décès de Stan Swamy, né en 1937 sous le nom de Stanislaus Lourduswamy au Tamil Nadu, suscite une forte vague d’émotions en Inde. Âgé et malade, le prêtre jésuite s’est éteint le lundi 5 juillet des suites d’une infection pulmonaire liée au Covid-19, après avoir été placé sous respirateur artificiel. Sa santé était préoccupante depuis le début de son incarcération. Mais les autorités pénitentiaires de la prison de Taloja, à Mumbai, et les magistrats en charge de son dossier ont traité sa situation avec peu d’humanité, lui refusant ses demandes de remise en liberté sous caution, tardant à examiner ses requêtes et, enfin, à le transférer au mois de mai dans un hôpital de Mumbai. Il est décédé alors qu’il attendait une audience pour une nouvelle demande de libération sous caution déposée par ses avocats, pour raisons médicales. Les conditions de ses derniers mois en prison et le peu de considération qui lui aura été accordée soulèvent les réactions et l’indignation de dirigeants politiques, de militants des droits de l’homme et de nombreux Indiens.
Parmi ces réactions se distingue celle de l’historien Ramachandra Guha, qui a qualifié sa mort de « cas de meurtre judiciaire ». Le chef de l’opposition politique, Rahul Gandhi, a quant à lui estimé que le jésuite « méritait justice et humanité ». « Un gouvernement impitoyable et sans cœur qui l’a privé de sa dignité de son vivant a du sang sur les mains. Absolument choquée et consternée. Que son âme repose en paix », a déclaré, sur Twitter, Mehbooba Mufti, ancienne dirigeante du Jammu-et-Cachemire. Des représentants de l’Union européenne et des Nations unies ont également vivement réagi. « L’emprisonnement de défenseurs des droits humains est inexcusable », a déclaré Mary Lawlo, rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme aux Nations unies. « La mort du père Stan Swamy est un rappel brutal des flagrantes persécutions en cours des minorités religieuses de l’Inde », a pour sa part dénoncé Nadine Maenza, de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF).
Le jésuite a toujours nié les accusations dont il faisait l’objet
En octobre dernier, le père Stan Swamy a été arrêté pour, entre autres, sédition et terrorisme, dans un coup de filet des autorités qui ont placé en détention 16 militants, avocats, intellectuels et universitaires de renom, tels que le militant Anand Teltumbde ou le journaliste Gautam Navlakha. Le jésuite était le plus âgé du groupe ciblé. En vertu d’une loi draconienne contre le terrorisme (Unlawful Activities Prevention Act, UAPA), tous ont été accusés dans l’affaire dite « Bhima-Koregaon » du 1er janvier 2018, quand des violences entre castes dominantes et dalits (anciennement « intouchables ») ont éclaté à Koregaon lors d’un évènement commémoratif. Le père Swamy a été accusé d’avoir encouragé à ce rassemblement et aux violences qui en ont découlé, et d’avoir entretenu des liens avec la rébellion maoïste active dans les forêts du centre de l’Inde. Les interpellations principales contre les accusés ont été lancées en avril 2020, alors que l’Inde était paralysée par la crise sanitaire et un confinement strict.
Soutenu par les organisations de défense des droits de l’homme, le jésuite a toujours nié les accusations dont il faisait l’objet, estimant que les autorités le ciblaient pour son travail en faveur de la reconnaissance des terres et des droits des aborigènes. Le père Stan Swamy avait dénoncé une chasse aux sorcières menée par le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi. « De nombreux militants, juristes, écrivains, journalistes, leaders étudiants, poètes et intellectuels qui se posent en défenseurs des minorités tribales, des dalits et des marginaux sont pris pour cible par le pouvoir », avait-il alerté.
Salué pour une vie exemplaire au service des pauvres et des opprimés
Par ailleurs, le jésuite avait accusé les enquêteurs de l’unité spéciale en charge de l’affaire (National Investigation Agency, NIA), d’avoir installé des preuves « fabriquées » de toutes pièces sur son ordinateur. « Ils ont produit des textes prétendument extraits de mon ordinateur qui indiqueraient mes liens avec les maoïstes », avait-il déclaré. Ces soupçons vont dans le sens des analyses indépendantes réalisées par la société américaine Arsenal Consulting : cette dernière a démontré que les documents pro-maoïstes trouvés dans les ordinateurs de certains des accusés de l’affaire « Bhima-Koregaon » n’étaient pas originels. Dénonçant le « meurtre institutionnel » du jésuite, dix coaccusés ont entrepris, mercredi, une grève de la faim en signe de protestation à la prison de Taloja, demandant l’ouverture d’une enquête indépendante sur les responsables de l’agence NIA et les autorités pénitentiaires.
Le père Stan Swamy avait vu venir sa fin. Tout au long de sa détention, il avait alerté sur des conditions pénitentiaires extrêmement difficiles, alors que sa santé se détériorait, ne lui permettant plus de s’alimenter ou de se laver par lui-même. « Plutôt que de souffrir, je préfère mourir ici le plus tôt possible si cela doit continuer ainsi », avait dit l’homme épuisé. Les autorités pénitentiaires ne lui avaient pas permis l’accès à des besoins basiques, comme un gobelet et une paille pour s’alimenter. « Fournir une paille et un gobelet à un malade de cet âge atteint de Parkinson peut-il créer une menace pour la sécurité nationale ? », s’était insurgé, sur les réseaux sociaux, Shashi Tharoor, politicien de l’opposition.
Les autorités indiennes ont pour leur part défendu les actions en cours. « Le père Stan Swamy a été arrêté et détenu par la NIA, en application régulière de la loi », a ainsi déclaré un porte-parole du ministère des affaires étrangères. Mais les voix sont nombreuses à s’élever pour réclamer justice. « Les responsabilités de ce meurtre en détention doivent être établies », a lancé Rahul Gandhi sur Twitter. Le quotidien The Indian Express a estimé que cette mort « dépréciait les plus hautes institutions de la justice indienne », et y voit « la main de fer de l’État, un système judiciaire insensible et un système pénitentiaire non-fonctionnel ». Hemant Soren, dirigeant de l’État du Jharkhand où travaillait le jésuite, a déclaré que le gouvernement de Narendra Modi « devrait être tenu responsable de l’apathie absolue » dont ont fait preuve les autorités pénitentiaires. Aujourd’hui, le père Stan Swamy, salué pour sa vie exemplaire au service des pauvres et des opprimés, devient le symbole de l’acharnement du gouvernement de Narendra Modi contre les voix critiques et les militants des droits de l’homme.
(EDA / A. R.)
CRÉDITS
Ucanews