Eglises d'Asie – Inde
En Odisha, des familles chrétiennes expulsées de leurs villages par les castes hindoues
Publié le 29/06/2021
Dans ce district de l’Odisha, les tensions auraient débuté en novembre dernier, lorsque deux familles chrétiennes du village de Chichinga ont été ostracisées par les hindous dominants en raison de leur religion et sommées de quitter leurs maisons. Plus récemment, six familles chrétiennes d’un autre village, Sikarpai, ont également été la cible d’attaques orchestrées par les habitants issus des hautes castes hindoues. Ces derniers se sont opposés au déroulement d’un mariage chrétien, puis ont prohibé l’accès du puits commun aux femmes chrétiennes et ont interdit à la minorité de pratiquer les rites chrétiens dans le village. « Malgré les menaces, ces chrétiens restent fermes dans leur foi qu’ils exercent depuis quatorze ans », a commenté le père Purushottam Nayak, de l’archidiocèse de Cuttack-Bhubaneswar, à l’agence catholique Ucanews. Fin mai, les six maisons des chrétiens de Sikarpai ont été vandalisées et endommagées, poussant les victimes à fuir et à trouver refuge dans la jungle. D’après le site d’information Morning Star News, qui alerte sur les atteintes aux droits de l’homme visant les chrétiens, ces familles ont été rejointes par cinq autres du village avoisinant de Kotlanga, où les chrétiens ont également été victimes, le 7 juin, de menaces proférées à leur encontre.
Aujourd’hui, ils seraient 57 hommes, femmes et enfants à avoir ainsi été déplacés. Les minorités chrétiennes de trois autres villages, Siripai, Kona et Tongapai, feraient également face à des intimidations, d’après les informations communiquées aux agences par le pasteur Upajukta Singh. Celui-ci a expliqué que le progrès social réalisé par l’ensemble de ces familles chrétiennes d’origine aborigène n’aurait pas été toléré par les hindous dominants. À ce jour, face à ces tensions, la police n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger la minorité, et cela en dépit de plaintes déposées, le 15 mars et le 10 mai, auprès du commissariat local de Singhpur. « Les chrétiens ont continué à faire face à de l’opposition en raison de leur foi », a rapporté le pasteur Upajukta Singh. D’après Morning Star News, les autorités locales ont rendu visite, le 22 juin, aux réfugiés établis dans la jungle, et leur auraient demandé de renoncer à leur religion pour apaiser les conflits. L’enquête de la police est toujours en cours.
Un sens absolu d’impunité généré lors du confinement
Ces tensions localisées ont mis en alerte les cercles chrétiens. « Les cycles de violence et de haine dans le district de Rayagada sont des signes inquiétants de sectarisme », a ainsi dénoncé Sajan K. George, président du Conseil mondial des chrétiens indiens, auprès de l’agence Ucanews. « Nous demandons instamment au ministre de l’Odisha de prendre des mesures efficaces pour lutter contre les groupes extrémistes dans notre société, afin d’assurer la sécurité de tous. » La situation des minorités dans l’État de l’Odisha est particulièrement sensible. Chacun a gardé en mémoire la flambée de violences antichrétiennes perpétrées en août 2008, à l’appel de fondamentalistes hindous après l’assassinat d’un de leurs leaders à Kandhamal. Les émeutes avaient fait plus de 100 morts et près de 300 églises avaient été détruites.
À l’échelle de l’Inde, le contexte politique ravive les tensions interreligieuses depuis l’arrivée au pouvoir, en 2014, du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi. Si l’Inde était, en 2013, à la 31e place des pays où les chrétiens sont le plus persécutés, d’après le classement de l’organisation chrétienne Open Doors, le pays a pris la dixième place de ce classement en 2020 et en 2021. Depuis l’an dernier, la crise sanitaire et les restrictions qui lui sont liées ont ralenti les mécanismes de défense des minorités ciblées. Selon le militant catholique John Dayal, cité par Ucanews, les discriminations contre la minorité chrétienne et l’impunité des groupes extrémistes hindous sont en augmentation. « Le sens absolu d’impunité généré par l’appareil administratif de l’Inde lors du confinement, et l’absence de la société civile dans les rues ou les tribunaux, a aggravé la haine et la violence contre les chrétiens », a-t-il estimé.
La liberté religieuse pâtit de la promotion du projet d’une nation hindoue
Les données communiquées par les organisations chrétiennes vont dans ce sens. La Evangelical Federation of India’s Religious Liberty Commission et d’autres agences chrétiennes relaient différents incidents, qui font notamment état de cinq meurtres, d’églises incendiés et de cas d’exclusion sociale ciblant les communautés chrétiennes durant la crise du Covid-19. D’après le United Christian Forum, une organisation dotée d’une ligne téléphonique gratuite pour répondre aux appels à l’aide des chrétiens discriminés, 127 incidents ont été répertoriés au cours des cinq premiers mois de 2021. « Le quasi-effondrement des médias et l’incapacité des militants à enquêter dans les villages éloignés en raison des restrictions liées au confinement ont sévèrement limité la collecte de données plus précises concernant les violences ciblées », a déploré John Dayal.
Le militant dénonce un climat préoccupant lié à la mise en œuvre de l’idéologie nationaliste hindoue par le gouvernement. Il cite en particulier le recours au Freedom of Religion Act, une loi anti-conversion désormais implémentée dans huit États du pays, qui vise les minorités chrétiennes et musulmanes. « Avec ces lois anti-conversion, les minorités religieuses peuvent désormais être aisément ciblées, en particulier par les milices qui ont été impliquées dans les violences de ces dernières années contre l’abattage des vaches », a-t-il expliqué. Dans la foulée, l’État d’Uttar Pradesh, dirigé par le moine intégriste Yogi Adityanath, a notamment pris des dispositions, en octobre dernier, pour lutter contre le « love jihad », théorie qui accuse les musulmans d’épouser des femmes hindoues dans le seul but de vouloir les convertir. « En Inde, la liberté religieuse pâtit de la promotion du projet d’une nation hindoue avec la mise en place de lois qui ciblent les minorités », a dénoncé John Dayal.
(EDA / A. R.)
CRÉDITS
Bijay Kumar Minj / Ucanews