Eglises d'Asie – Inde
Interview exclusive de Mgr Palliparambil, postulateur de la cause des pères Krick et Bourry
Publié le 07/06/2023
Après la proclamation des pères Krick et Bourry comme « serviteurs de Dieu » en 2010, le début du travail de la commission d’enquête diocésaine a été ouvert officiellement en 2019 par le diocèse de Miao, dans l’Arunachal Pradesh (dans l’extrême nord-est de l’Inde). Mgr Palliparambil, religieux salésien et premier évêque de Miao, né en 1954 dans l’État du Kerala, a suivi le processus en tant que postulateur de la cause en béatification des deux missionnaires MEP, partis rejoindre la mission au Tibet au XIXe siècle et assassinés près de la frontière. L’évêque, qui a servi cette région frontalière avec la Chine et la Birmanie durant plus de 40 ans, se confie sur ces deux figures centrales pour l’Église locale.
Mgr Palliparambil, en tant que postulateur de la cause des pères Krick et Bourry, pouvez-vous rappeler leur histoire ?
Le père Krick était déjà prêtre, et il avait une expérience pastorale en France, avant son départ pour l’Inde et le Tibet. Donc il y a beaucoup d’écrits sur lui. Mais le père Bourry est parti immédiatement après son ordination rejoindre la mission au Tibet. Comme leur mission finale était au Tibet, le père Krick a effectué un premier voyage en 1851, avec l’aide de tribus vivant dans l’Arunachal Pradesh, où se trouve notre diocèse.
Il a rejoint le Tibet, un royaume appelé Rima, et il a eu des échanges très positifs avec le roi. Puis il est revenu. En 1854, pour son second voyage, il était accompagné du père Bourry, et ils ont été tués durant ce voyage. Nous avons la dernière lettre écrite par le père Krick, le 31 juillet 1854, dans laquelle il dit : « Je vais bien, mais mon compagnon est malade. Je pense qu’il ira bien d’ici deux jours et nous pourrons continuer. »
Cette lettre a été écrite depuis un village appelé Sommeu, où vivait la tribu Mishmi. Après cela, il n’y a plus eu d’autres lettres. Donc nous estimons qu’ils ont été tués le 2 août. Les nouvelles sont parvenues en septembre à l’administration britannique, qui a lancé des actions contre les personnes qui les ont tués. Voilà ce que nous savons historiquement. À l’époque, tous les journaux anglophones en Inde en ont parlé, l’archevêque de Calcutta a informé les Missions Étrangères de Paris, puis ils ont été pratiquement oubliés. Mais dans notre région, les missions ont continué de parler d’eux.
Les gens sont restés attachés ?
Oui, en fait, quand nous étions novices, il y avait un petit fascicule sur eux, et nous l’avons étudié. Tous ceux qui étaient en formation en Assam, dans le nord-est de l’Inde, ont entendu ces noms, Krick et Bourry, mais nous n’en avions qu’une vague idée. Puis en 1991, avec Mgr Thomas Menamparampil, évêque de Dibrugarh en Assam, nous avons décidé d’effectuer un pèlerinage sur les traces de leur voyage.
Nous avons été surpris d’apprendre qu’il y avait toujours des gens qui se souvenaient d’eux, parce que leurs histoires étaient transmises oralement. Ces récits racontaient que deux étrangers sont venus, qu’ils ont été tués et enterrés au village de Sommeu avec tous leurs biens. Une des choses qu’ils avaient était un goupillon pour asperger l’eau bénite, et les gens disent qu’il y a une source qui coule toujours depuis le goupillon.
Malheureusement, aujourd’hui, ce village est situé au Tibet, en Chine, donc aucun prêtre ne peut s’y rendre. Mais les gens qui ont pu s’y rendre ont assuré que la tombe est toujours intacte. Nous attendons qu’un jour, quelqu’un puisse aller là-bas pour vérifier cela, pour prendre des photos et peut-être prendre un peu de boue et en rapporter en Inde.
Comment a début le processus en béatification ?
Nous avons commencé à parler de ces missionnaires parce que notre Église est très jeune, dans toute la région. Mais leur venue dans le Nord-Est en 1854 et dans l’Assam en 1851 nous donne une histoire, et des martyrs. Nous essayons donc de raviver leur mémoire pour montrer que notre Église a vraiment grandi avec le sang des martyrs, et que ce n’est pas juste une Église nouvelle. Les gens l’ont accueilli très favorablement, ils en sont très fiers. Quand nous en avons parlé au conseil des évêques du nord-est, ils nous ont immédiatement autorisés à poursuivre le processus.
Après notre voyage en 1991, Mgr Thomas a écrit un article « Sur la trace des martyrs ». Il a été publié en anglais et plus tard en italien, et le père Raymond Rossignol, qui était alors supérieur général des MEP, l’a lu et nous a contactés. Il est venu avec Mme Françoise Fauconnet-Buzelin, qui était historienne et chargée de recherche ici aux MEP. Elle a écrit sur la vie de Krick et Bourry – Les porteurs d’espérance, la mission du Tibet-Sud (1848-1854) – et cela a été traduit en anglais sous le titre The mission and the martyrdom (La mission et le martyre).
Cela a été très apprécié et nous avons donc décidé d’essayer d’introduire la cause en béatification. Je suis allé à Rome quand j’ai été nommé évêque, et ils nous ont autorisés à ouvrir la cause. Nous avons perdu trois ans à cause du Covid-19, mais finalement nous avons terminé de collecter tous les documents requis, et nous avons conclu la phase diocésaine le 30 avril.
Quelles sont les prochaines étapes du processus ?
Toute la région prie et espère que la béatification pourra avoir lieu bientôt. Nous en sommes très fiers et heureux. D’ici la fin du mois, nous remettrons les documents à la nonciature, ensuite cela peut prendre du temps ; mais j’ai pu parler avec le précédent préfet de la congrégation pour la cause des saints (aujourd’hui dicastère), et selon lui, cela ne devrait pas prendre longtemps. Comme ils sont martyrs, il n’y a pas besoin de rechercher de miracles.
L’Arunachal Pradesh a longtemps été interdit aux missionnaires, jusque dans les années 1990 ?
En effet, moi-même je n’ai pu m’y rendre qu’à partir de 1992. Et Mère Teresa n’a pas pu venir avant 1993. Mais les gens ont décidé d’essayer de la faire venir, et elle est venue. Les chrétiens ont vraiment souffert. Des églises ont été incendiées, beaucoup de chrétiens ont été emprisonnés. Donc pour eux, ces missionnaires sont une grande source d’inspiration et un exemple. Aujourd’hui, il y a entre 37 et 40 % de chrétiens, et mon diocèse compte environ 100 000 catholiques.
Un vrai lien s’est développé entre la communauté locale et les pères Krick et Bourry ?
Oui, vraiment, il y a même une auteure non chrétienne de l’Arunachal qui a entamé des recherches à Calcutta et ici aux archives des MEP, après en avoir entendu parler, et elle a écrit un livre. Il y a aussi une femme musulmane qui m’a contacté en me disant : « Monseigneur, je voudrais en faire un film. » Et certains de nos catholiques ont nommé leurs nouvelles boutiques en mémoire des pères Krich et Bourry. Quand nous avons créé un nouvel hôpital dans notre diocèse en 2015, nous l’avons aussi baptisé d’après eux.
Aujourd’hui, leurs histoires sont connues et nous avons publié leur vie dans de nombreuses autres brochures. Bien sûr, il y a des gens qui se demandent pourquoi nous soutenons leur cause alors qu’ils ne sont pas venus pour être missionnaires en Arunachal Pradesh mais au Tibet. Mais je leur réponds que dans l’Église catholique, la sainteté est universelle. Une personne peut être sainte en Inde, mais c’est pour toute l’Église.
(Propos recueillis par EDA)
CRÉDITS
Diocèse de Miao