Eglises d'Asie

Kalimantan oriental : les coûts humains de la nouvelle capitale indonésienne, Nusantara

Publié le 26/02/2022




Le 18 janvier dernier, le gouvernement indonésien a adopté une nouvelle loi approuvant la relocalisation de la capitale indonésienne, Jakarta, vers la future ville de Nusantara, située au Kalimantan oriental sur l’île de Bornéo. Deux facteurs clés sont évoqués derrière ce projet : d’un côté, un affaissement de la zone côtière de Jakarta et une pollution problématique, et de l’autre, un développement centré sur l’île de Java et favorisant les écarts socio-économiques avec les régions défavorisées de l’est de l’archipel. La première étape de la relocalisation est prévue pour 2024.

La Banque centrale d’Indonésie, à Jakarta. Le gouvernement a officialisé la relocalisation de sa capitale, avec une nouvelle loi votée en janvier.

Deux facteurs clés ont poussé le gouvernement indonésien à déplacer la capitale du pays au Kalimantan, à Bornéo. Le premier cherche à redistribuer plus équitablement les richesses entre l’ouest privilégié et les régions défavorisées de l’est de l’archipel. Des fossés socio-économiques importants ont été provoqués par une gouvernance centralisée que certains ont appelée « Java-centrisme ».

Cette expression évoque un développement centré sur l’île de java, où se trouve l’actuelle capitale de Jakarta, qui compte près de 56 % de la population indonésienne. Malgré ces écarts qui commencent à se réduire en raison de l’introduction de la décentralisation après la chute du régime Suharto, il manquait encore une « issue révolutionnaire » – et c’est ainsi qu’est vue la relocalisation de la capitale.

La seconde raison de ce changement est la situation dramatique dans laquelle se retrouve Jakarta, fortement polluée et encombrée, sans compter le fait que la mégapole côtière sombre peu à peu dans l’océan. Selon des experts, la côte nord de Jakarta sera submergée d’ici 2050, voire plus tôt encore.

Certaines études, dont une publiée par l’Association indonésienne des urbanistes et planificateurs régionaux, concluent que la capitale devient de plus en plus inhabitable à cause des conditions sanitaires précaires et du manque d’eau potable et d’accès aux transports publics. La qualité de l’air à Jakarta est considérée comme l’une des pires au monde. Des études montrent également que la capitale indonésienne n’est pas suffisamment respectueuse envers la liberté religieuse ; la ville a été classée parmi les villes les plus intolérantes d’Indonésie – une situation peu idéale pour la capitale d’un pays censé être laïc et démocratique.

32 milliards de dollars et 256 000 hectares

C’est pourquoi le président Joko Widodo a annoncé le plan de relocalisation en 2019, accueilli avec enthousiasme par le public. La nouvelle loi pour le changement officiel de la capitale indonésienne a été votée en janvier 2022, en favorisant légalement une accélération du processus. Toutefois, l’euphorie liée à la future nouvelle capitale n’est pas forcément partagée par les populations indigènes dans la province du Kalimantan oriental, où la ville sera construite.

Le projet de 32 milliards de dollars US couvre près de 256 000 hectares et comprend des barrages, des centrales électriques et d’autres infrastructures comme des bases militaires. Il couvrira les districts de Penajam Paser du Nord et de Kutai Kartanegara. Le gouvernement affirme que le projet sera respectueux de l’environnement, mais certains craignent les conséquences éventuelles sur plusieurs dizaines de milliers d’indigènes. Les militants pour les droits de l’homme signalent les pertes de gains inévitables pour eux, alors que beaucoup d’entre eux vivent comme fermiers sur les terres ciblées par la future capitale.

L’Alliance des personnes indigènes de l’archipel estime que plus de 20 000 d’entre eux risquent d’être chassés de leur territoire pour permettre la construction de la nouvelle ville, qui sera appelée Nusantara. Le groupe représente au moins 2 370 communautés indigènes, dont près de 30 % qui vivent au Kalimantan, notamment dans les districts où Nusantara sera construite. Ces communautés n’ont pas été pleinement impliquées dans les négociations précédant la phase de construction. Elles sont inquiètes à propos de l’expropriation de leurs terres ancestrales, et craignent d’être considérées comme criminelles si elles tentent de défendre leurs droits.

Un projet qui risque d’affecter l’écosystème au Kalimantan

Les écologistes se méfient également de la précipitation des débats autour de la loi sur la nouvelle capitale, votée le mois dernier, sans véritable consultation des habitants ni étude de faisabilité. Ils suspectent que des accords secrets ont été passés entre le gouvernement et des corporations qui possédaient déjà des concessions là où sera située Nusantara. Ce n’est pas une affirmation sans fondements puisque plusieurs centaines de concessions minières et plantations couvrent 180 000 hectares dans la région visée pour la future ville. Plus de 90 sites miniers s’y trouvent également. Les écologistes parlent d’une sorte de compromis, sans quoi les corporations en question ne se contenteraient pas de partir sans compensations.

Selon eux, le gouvernement ne dépensera pas encore davantage pour les rembourser ; à la place, des concessions foncières leur seront accordées à proximité. Mais ceci se fera au détriment des populations indigènes, et cette menace s’étend donc au-delà de la région de la nouvelle capitale. Le projet, s’il n’est pas géré correctement dès le début, risquera d’affecter l’écosystème au Kalimantan, déjà abîmé par l’activité minière et les plantations. Cela se fera également au détriment de la noble intention affichée d’éliminer les inégalités géographiques. Les communautés indigènes sont fragiles, démunies et peuvent être renversées facilement. Elles sont souvent ignorées et vues comme ennemies par les corporations. Beaucoup d’indigènes ont également été victimes de règles injustes.

La fin des travaux prévue pour les 100 ans de l’indépendance en 2045

La construction de la nouvelle mégapole se fera par étapes et devrait être achevée quand l’Indonésie célébrera les 100 ans de son indépendance en 2045. Le président Joko Widodo pense déménager dans le nouveau palais présidentiel en 2024. L’espoir est que le mandat du nouveau président qui sera élu cette année-là puisse y être inauguré. Le gouvernement doit agir différemment des sociétés abusives face aux communautés indigènes, et assurer les droits des personnes affectées par le projet avant le début des travaux. Il ne s’agit pas que de compensations pour leurs terres ; mais d’assurer que la nouvelle ville soit aussi bénéfique pour les communautés indigènes.

La relocalisation de la nouvelle capitale supposera également l’installation de près d’1,5 millions de fonctionnaires avec leurs familles. Cela peut créer des problèmes. D’un côté, leur présence peut soutenir l’économie locale. Toutefois, d’un autre côté, les écarts socio-économiques peuvent aussi s’aggraver. Beaucoup espèrent que la nouvelle capitale représente et soutienne une nouvelle identité indonésienne. Par conséquent, le gouvernement doit s’assurer que les communautés locales soient soutenues pour optimiser leur potentiel, à moins de répliquer des problèmes déjà existants à Jakarta.

(Avec Ucanews / Siktus Harson)