Eglises d'Asie

La journée nationale des migrants contre l’exportation de la main-d’œuvre

Publié le 15/03/2019




Lors de la Journée nationale des migrants, célébrée le 10 mars aux Philippines, Mgr Ruperto Santos, de la commission épiscopale de la pastorale des migrants et des personnes itinérantes, évoquait le problème des nombreux Philippins qui partent chercher du travail à l’étranger. Ainsi en 2017, le pays a reçu près de 28,1 milliards de dollars provenant des quelque 10 millions de Philippins travaillant à l’étranger. Selon les critiques, le problème ne vient pourtant pas du manque d’emplois dans le pays, mais d’un programme national d’exportation de la main-d’œuvre problématique et de nombreux permis de travail à l’étranger accordés par le gouvernement philippin.

Emer de lina, 59 ans, pensait trouver, à son retour aux Philippines, des routes rénovées, de meilleures infrastructures et des prix à la consommation relativement stables. Mais après avoir passé près de la moitié de sa vie à l’étranger comme domestique, elle ne s’attendait pas à être si déçue. Elle a plutôt constaté que la qualité de la vie avait baissé dans son pays natal. « Je suis partie travailler à l’étranger parce que je n’arrivais pas à trouver de travail suffisamment bien payé aux Philippines », raconte-t-elle. « Aujourd’hui, je suis confronté au prix du riz qui ne cesse de grimper. » Emer de Lina fait partie des nombreuses expatriées de l’archipel philippin. Selon l’Agence philippine de l’emploi à l’étranger (Philippine overseas employment agency), les hommes philippins représentent moins de 40 % des quelque 10 millions de Philippins partant travailler à l’étranger. Une étude récente de l’ONG philippine Center for Women’s Resources (CWR) affirmait que l’emploi à l’étranger était devenu la seule option viable pour beaucoup de femmes philippines. Parce qu’elles soutiennent l’économie philippine, elles sont souvent évoquées par le gouvernement philippin comme des héroïnes modernes. Ainsi en 2017, les Philippins ont reçu près de 28,1 milliards de dollars provenant des Philippins travaillant à l’étranger. Le gouvernement a également profité du paiement des frais obligatoires que doivent verser les migrants philippins qui veulent partir travailler à l’étranger.

Comme beaucoup de ses pairs, Emer de Lina a soutenu sa famille restée au pays en envoyant de l’argent durement gagné. Elle a d’abord travaillé à Singapour, mais la paie était à peine suffisante pour ses propres besoins. Après trois ans, elle a déménagé à Hong-Kong en 1993 où elle est restée vingt ans avec un salaire plus élevé. En 2013, elle a travaillé à Macao avant de retourner aux Philippines en 2017. Emer raconte que, durant sa carrière, son travail commençait généralement à l’aube. « Il n’y avait pas moyen de se reposer ni même de s’asseoir. Il fallait toujours être à la merci de votre employeur. » Elle évoque aussi une autre épreuve, celle des nuits blanches passées à penser à ses propres enfants restés aux Philippines. « Ce sont mes enfants, mais ils sont devenus des étrangers pour moi », explique-t-elle. « Ils m’ont reproché de n’avoir pas été là pour les guider. » Le programme national d’exportation de la main-d’œuvre (Labor export policy) a forcé de nombreuses Philippines à supporter les difficultés à l’étranger afin de soutenir leur famille. Outre les travaux domestiques, d’autres partent à l’étranger pour toutes sortes de fonctions, comme gérantes d’hôtel, infirmières, cuisinières, massothérapeutes… Mais Migrante International, une organisation de travailleurs migrants philippins, affirme que la plupart d’entre eux occupent des professions peu qualifiées, comme la domesticité ou les tâches ménagères.

Journée nationale des migrants

Selon l’organisation Gabriela, un groupe de femmes philippines, très peu de salariées philippines sont protégées par les syndicats. Mgr Ruperto Santos, chef de la commission épiscopale de la pastorale des migrants et des personnes itinérantes aux Philippines, assure de son côté que le pays ne manque pourtant pas d’opportunités d’embauche. « Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas de travail ici », déclarait l’évêque le 10 mars, durant la célébration de la Journée nationale des Migrants. « Le problème, c’est qu’on ne donne pas la priorité aux Philippins. Les emplois locaux sont donnés à d’autres », a confié Mgr Santos. L’évêque a également cité une annonce du département du travail, selon lequel au moins 400 000 permis de travail étrangers et près de 180 000 titres de séjour spéciaux ont été délivrés par le gouvernement philippin. Après être restée loin de chez elle durant plusieurs dizaines d’années, Emer de Lina est revenue les mains vides. Tout le fruit de son travail a servi à soutenir ses enfants et ses proches. Aujourd’hui, sa vie se résume surtout à tenter d’utiliser au mieux ses ressources limitées.

(Avec Ucanews, Manille)


CRÉDITS

Karl Romano / Ucanews