Eglises d'Asie

La longue et riche vie scientifique du père Henri Fontaine (1924-2020)

Publié le 06/02/2020




« Quand j’étais jeune, très jeune, un prêtre m’avait dit ‘Pour être prêtre, il faut savoir chanter et prêcher’. Je n’ai ni une bonne langue ni une belle voix, mais je veux consacrer ma vie au service des autres. » Ainsi, le père Henri Fontaine a tracé son chemin. Il est né le 20 juillet 1924 à Saint-Fraimbault, dans l’Orne en Normandie, dans une famille de fermiers. Aîné de trois frères, il souhaitait devenir prêtre au milieu des villageois et proche de la nature, quelque part en Asie ou en Afrique. Après avoir étudié au Petit Séminaire, puis quelques mois au Grand Séminaire de Sées (entre octobre 1943 et février 1944), il est entré aux Missions Étrangères de Paris en mars 1944. Il a été ordonné prêtre le 29 juin 1948. Le père Henri Fontaine est décédé le vendredi 31 janvier. Ses funérailles ont été célébrées le lundi 3 février à Paris, dans la chapelle des MEP.

Thaïlande, P. Henri Fontaine et la Princesse Sirinthorn

Avec une telle vie devant lui, le père Henri Fontaine n’avait pas besoin de diplôme universitaire ni de doctorat ès sciences. Pourtant, il a obtenu plusieurs diplômes universitaires, en devenant expert aux côtés d’une organisation scientifique internationale et spécialiste éminent des coraux fossiles dans le Sud-Est asiatique. Humble de caractère, il n’avait certainement pas envisagé tout cela. Pourtant, plusieurs évènements majeurs successifs ont modifié, malgré lui, le cours de sa vie tout en réalisant son vœu : vivre au service des autres.

Obtenir sa licence en 1951 a été le premier tournant majeur, non seulement pour le père Henri Fontaine, mais aussi pour les MEP. Ayant voulu un niveau universitaire pour les jeunes prêtres, le supérieur général de l’époque, le père Charles Joseph Lemaire (1900-1995), avait décidé d’envoyer trois jeunes à l’université de Lille, dont le père Henri Fontaine qui avait choisi les sciences naturelles. Ce dernier a reçu sa licence en 1951. En septembre de la même année, il a été envoyé en mission au Nord Vietnam, dans un village non loin de Hanoï.

Un deuxième évènement majeur est survenu quand l’évêque de Hanoï l’a rappelé dans la capitale vietnamienne pour enseigner au Petit Séminaire. Le père Henri Fontaine quittait ainsi définitivement la campagne dont il rêvait. Un troisième tournant majeur s’est produit quand des collègues anti-français l’ont empêché d’avoir des contacts avec leurs étudiants en dehors des cours. Le père Henri Fontaine s’est alors rendu au Service géologique de l’Indochine où il a rencontré son chef, le Dr. Edmond Saurin, qui l’a encouragé à étudier des coraux fossiles disponibles au Service et à s’inscrire à l’université de Hanoï. Il a obtenu son diplôme d’études supérieures de géologie en 1954. Cette rencontre a été l’un des évènements les plus marquants : c’est ainsi qu’il a commencé à embrasser la géologie.

Un quatrième évènement majeur est survenu avec la séparation du Vietnam en 1954. Les MEP ont alors décidé de garder leurs membres plus âgés au Nord, et d’envoyer au Sud les jeunes, dont le père Fontaine. Un cinquième évènement s’est ensuite produit avec la reconstruction de la nouvelle République du Vietnam, qui avait besoin, entre autres, de ressources naturelles : le charbon pour produire l’énergie, les calcaires pour le ciment… Suite à la demande du gouvernement via les MEP, le père Henri Fontaine a donc pris la direction du Service Géologique de 1955 à 1957. À partir de cette période, il s’est attaché à la géologie pour toujours. Il est rentré en France durant deux ans, entre 1976 et 1977, pour finaliser sa thèse sur des coraux fossiles du Cambodge, du Laos, du Vietnam et du Yunnan. Il a obtenu son doctorat ès sciences à la Sorbonne en 1959. L’année suivante, il est retourné au Vietnam en devenant expert du Service de Coopération Technique, qui dépendait du Ministère français des Affaires étrangères.

Sixième évènement majeur : en s’intéressant à la préhistoire, il est ensuite devenu le premier archéologue français de la République du Vietnam, quand deux sœurs catholiques d’une léproserie lui ont montré des outils en pierre découverts lors de la construction de la léproserie par des lépreux blanchis (c’est-à-dire des lépreux guéris mais restant sous contrôle). Cette léproserie se trouvait proche de Saïgon. Enfin, un septième évènement tout aussi important est survenu à la fin des années 1960, quand le Service géologique de Saïgon a lancé un projet de recherche de gaz et de pétrole sur le plateau continental, dans l’est du pays. Pour se renseigner sur la géologie du Vietnam, plusieurs experts de grandes compagnies de pétrole et de gaz internationales ont pris contact avec le père Henri Fontaine, dont Maurice Mainguy, de la société Total. Ce dernier était également représentant du gouvernement français auprès de la CCOP (Coordinating committee for geoscience programmes in east and southeast Asia), un organisme fondé en 1966 sous l’égide des Nations unies. Le contact avec Maurice Mainguy a permis de soutenir la carrière scientifique internationale du père Henri Fontaine.

Après 1978, il est devenu expert au sein de la CCOP en participant à un projet d’étude du potentiel du gaz et du pétrole dans les roches du prétertiaire, (âgées de plus de 60 millions d’années). Le père Henri Fontaine a alors mené des études géologiques sur le terrain afin d’identifier ces roches. Avec le soutien des services géologiques des pays membres de la CCOP, il est allé travailler en compagnie des géologues nationaux, quelques mois par an. Il a conduit des recherches géologiques et participé à de nombreuses conférences dans une dizaine de pays de l’Est et du Sud-Est asiatique : Vietnam, Cambodge, Laos, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie, Philippines, Corée du Sud et Chine. À l’orée de ses 89 ans, son état de santé ne lui permettait pas de prendre l’avion. Avec regret, il a dû cesser ses activités de recherche, en laissant derrière lui beaucoup d’études réalisées ou à compléter.

Contributions scientifiques

Durant près de 65 ans de carrière, le père Henri Fontaine a apporté de nombreuses contributions scientifiques. Il a publié plus de 300 articles et livres, avec la collaboration d’une centaine de géologues à travers l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Il a entretenu une correspondance avec plusieurs centaines de scientifiques à travers le monde. Ses publications couvrent divers domaines, entre la paléontologie, la stratigraphie, l’archéologie et les eaux minérales. L’exploitation de la source Dangun (au sud du Centre Vietnam) a permis de mettre en vente des bouteilles d’eau minérale, marquées de l’étiquette de marque Laska, sur laquelle est indiqué le nom d’Henri Fontaine comme découvreur. Ce dernier a inventé une centaine de noms de genres et d’espèces de coraux fossiles. Une dizaine de noms de fossiles lui ont également été dédiés par ses collègues scientifiques à travers le monde.

Il a créé plusieurs collections d’échantillons de roches et de fossiles, dont la plus riche est la collection « T » (comme Thaïlande), regroupant plus de 11 000 échantillons qui sont conservés dans différents services, universités et musées en Thaïlande. Il a rassemblé des milliers d’outils préhistoriques en pierre, en fer, en jade, en cornaline, en verre et en poterie… Ces objets ont été exposés aux Musées du jardin botanique et du Service géologique de Saïgon. Il a également créé le département de géologie de l’université de Hué, donné des cours et dirigé des thèses, dont la mienne. Je présente ma profonde gratitude à mon professeur bien aimé et adoré. Le père et docteur Henri Fontaine était membre de la Société géologique de France depuis 1953, membre du conseil de la Société des Études Indochinoises avant 1975, et membre à vie de la Société géologique de Malaisie.

Il a reçu différentes médailles du Vietnam du Sud et le prix André Bonnet de l’Académie des sciences française. Tout récemment, la revue française Annales de Paléontologie, qui existe depuis 1905, a publié deux volumes spécialement dédiés au père / Dr. Henri Fontaine, dont le premier volume contient un article sur sa longue et riche vie scientifique. Cette longue carrière scientifique a été rendue possible grâce à une coopération internationale efficace et à l’entente cordiale entre des géologues de différentes nations, générations et religions, et indirectement, grâce au soutien des MEP qui l’ont accompagné tout au long de sa vie religieuse.

Le père Henri Fontaine était quelqu’un d’extrêmement doux, humble, gentil et serviable avec tout le monde ; toujours calme, il ne haussait jamais la voix. Il s’adaptait toujours aux circonstances avec un courage silencieux et beaucoup de volonté. Il acceptait tout ce que l’on lui offrait, dans un bol ou sur une feuille de bananier, un lit ou une natte sur le sol. Il ne se plaignait jamais, même des douleurs vives qu’il ressentait à la poitrine durant ses dernières années. Il aimait vivre simplement et adorait son travail de recherche. À 96 ans, il est resté lucide, courageux et optimiste jusqu’à la fin. « Je me sens bien », me disait-il six heures avant son dernier souffle. Il s’est éteint à 2h30 du matin, le vendredi 31 Janvier à L’Haÿ-les-Roses, en banlieue sud de Paris.

(Hoang Thi Than)

Le Dr Hoang Thi Than est la première diplômée du Département de Génie géologique de l’université de Laval (Québec, Canada), et la première femme vietnamienne ingénieur géologue et archéologue. Elle a travaillé aux côtés du père et Dr Henri Fontaine, qui a été son directeur de thèse de 1971 à 1973.

Voir aussi :
– Thi Than Hoang 2019- Scientific Life of a French catholic missionary: Henri Fontaine (1924-?). Annales de Paléontologie 105, 173-190.

CRÉDITS

MEP