Eglises d'Asie

La lutte des jeunes enseignants face à la jungle de l’éducation vietnamienne

Publié le 12/06/2019




En 2018, le Vietnam comptait 1,16 million d’enseignants dans les écoles primaires et les collèges. Même si l’éducation vietnamienne a besoin de près de 76 000 enseignants supplémentaires, le secteur reste peu attractif en raison du faible niveau des salaires comparé aux autres secteurs. Les jeunes qui sortent de l’université reçoivent une moyenne de 3 millions de dongs (114 euros) mensuels, les salaires de la profession étant basés sur l’ancienneté, ce qui pousse beaucoup d’enseignants à assumer un deuxième emploi. Les jeunes subissent également la pression de la corruption, certains fonctionnaires n’hésitant pas à « vendre » des postes d’enseignants en échange de pots-de-vin.

Le soir, après ses journées de travail en tant qu’enseignant, Francis Tran Dinh Loi est chauffeur de mototaxi. Face au fossé grandissant entre ses dépenses et ses revenus, cette activité lui permet d’arrondir ses revenus et de vivre correctement. « Mon salaire d’enseignant n’est pas suffisant pour survivre », explique Francis Loi, qui enseigne dans une école primaire d’Hô-Chi-Minh-Ville. Il gagne un salaire mensuel de 4 millions de dongs (151 euros), mais doit dépenser entre 6 et 7 millions de dongs (227-265 euros) entre son loyer et ses autres charges mensuelles. À ses débuts en tant qu’enseignant en 2016, le jeune Vietnamien de 25 ans continuait de recevoir une aide financière de ses parents. Faute de temps et d’argent. « Même si j’essaie de gagner ma vie honnêtement, je suis obligé de porter un masque quand je conduis, pour cacher mon visage à mes élèves et à leurs parents », confie Francis Loi, qui a commencé son deuxième emploi l’an dernier. « J’aurais honte s’ils me voyaient travailler comme chauffeur de mototaxi. » Il ajoute que ces derniers sont souvent vus comme des travailleurs manuels sans éducation. « Si on apprend mon deuxième emploi, je ne serai pas respecté dans ma profession d’enseignant », assure-t-il. Même si les Vietnamiens considèrent la profession d’enseignant comme un métier noble, les amis de Francis Loi qui sont sortis du lycée gagnent entre 8 et 9 millions de dongs par mois comme ouvriers, et ils gagnent mieux leur vie. « Je suis vraiment déçu par ce salaire, même si je suis heureux et fier d’avoir trouvé un emploi qui correspond à mes compétences. »

Anna Pham Thi Chi, qui enseigne dans une école primaire de la province de Kien Giang depuis quinze ans, gagne un salaire mensuel de 8 millions de dongs, insuffisant pour faire vivre sa famille. Anna Chi, 40 ans et mère célibataire de deux enfants, vend également en ligne des vêtements et des yaourts au soja, ce qui lui rapporte 2 millions de dongs supplémentaires par mois. « Quand nous sommes en difficulté, nous devons demander de l’aide financière à ma sœur, qui travaille pour une agence immobilière », explique-t-elle. Les enseignants qui sortent tout juste de l’université, reçoivent un salaire mensuel moyen de 3 millions de dongs, un niveau de salaire bien plus faible que la moyenne comparé aux autres secteurs. Même s’ils ne peuvent vivre décemment avec leur salaire, ils sont obligés de supporter de lourdes charges de travail. Quand ils doivent prendre un deuxième emploi, leurs obligations en tant qu’enseignants ont tendance à en pâtir. Les salaires des enseignants sont basés sur l’ancienneté. Les enseignants plus âgés sont bien mieux payés que les jeunes, même quand ils ont moins de travail. Certains suggèrent que les enseignants aient le même niveau de salaire que les fonctionnaires de l’armée ou de la police, pour leur assurer un meilleur niveau de vie et attirer des personnes qualifiées dans la profession.

Les jeunes enseignants victimes de la corruption

Savior Phan Van Tai, diplômé en 2017, a refusé de payer 200 millions de dongs (7 571 euros) à des fonctionnaires corrompus pour pouvoir enseigner l’anglais dans un lycée de la province de Kien Giang. Savior Phan Tai, 23 ans, estime qu’il n’a pas à payer pour pouvoir travailler et recevoir un faible salaire. De plus, sa famille ne possède pas une telle somme. « Les pots-de-vin créent une situation injuste pour les enseignants. Les fonctionnaires corrompus reçoivent de l’argent et embauchent des débutants, en transférant d’autres enseignants ailleurs ou en les renvoyant », affirme Savior Tai, qui travaille aujourd’hui comme interprète pour un bureau d’études international basé à Hô-Chi-Minh-Ville. « Je suis profondément choqué par l’ampleur de la corruption dans l’éducation. Devoir verser un pot-de-vin pour accéder à un poste d’enseignant, c’est totalement inacceptable. » En 2002, Thérèse Nguyen Thi Hoai, 42 ans, a emprunté 30 millions de dongs pour pouvoir « acheter un poste » comme professeur d’anglais dans un collège près de chez elle, ce qui lui a permis de rester près de ses parents âgés pour s’occuper d’eux. Ses parents ont également dû emprunter de l’argent pour payer ses études à l’université. « Le soir, après les études, je devais donner des cours de soutien à des élèves pour gagner de l’argent et rembourser la dette », ajoute Thérèse Hoai, mère d’un enfant. « Aujourd’hui, je donne toujours des cours de soutien pour soutenir ma famille, parce que mon salaire est très bas. » Elle affirme que certains enseignants forcent des élèves à suivre des cours de soutien illégalement. « C’est immoral de les forcer ainsi, mais de quoi les enseignants peuvent-ils vivre ? » demande-t-elle. Les enseignants qui donnent des cours particuliers en anglais, en maths, en physique-chimie et en littérature ont de bons revenus, contrairement à ceux qui enseignent d’autres matières moins populaires, et qui sont obligés de trouver d’autres petits boulots. En 2018, le Vietnam comptait 1,16 million d’enseignants dans les écoles primaires et les collèges. Il manque environ 76 000 enseignants au système éducatif du pays. « J’essaie de dépasser les difficultés et de continuer mon activité d’enseignant pour ne pas décevoir mes parents », confie Francis Loi, dont la famille travaille dans l’éducation depuis plusieurs générations.

(Avec Ucanews, Hô-Chi-Minh-Ville)


CRÉDITS

Ucanews