Eglises d'Asie

La présidente sortante de Taïwan soutient l’appel du pape François à réguler l’intelligence artificielle

Publié le 17/02/2024




Le 1er janvier le pape a consacré son message pour la 57e Journée mondiale de la paix à « l’intelligence artificielle et la paix ». Dans sa réponse au Saint-Père, la présidente sortante taïwanaise Tsai Ing-wen partage cet appel à réguler l’IA et réaffirme l’engagement de Taipei à « soutenir la paix et améliorer la qualité de vie de l’ensemble de l’humanité » : « Nous nous attelons à exercer une bonne gouvernance technologique, à maintenir l’harmonie et la stabilité sociale et à créer conjointement un avenir pacifique pour l’humanité ».

La présidente Tsai Ing-wen avec des représentants de la Conférence régionale des évêques chinois (nom officiel de la Conférence épiscopale taïwanaise).

Dans une lettre adressée récemment au pape François, la présidente sortante taïwanaise Tsai Ing-wen a développé la position de la nation insulaire vis-à-vis de l’intelligence artificielle en assurant que le pays est « désireux de travailler avec la communauté internationale afin de bâtir une société plus stable ». Cette lettre a été publiée en réaction au message du Saint-Père pour la 57e Journée mondiale de la paix, publié le 1er janvier dernier, jour de la solennité de Marie Mère de Dieu, et axé sur le thème « Intelligence artificielle et paix ».

Dans sa réponse, Tsai Ing-wen en a profité pour rappeler la position de Taïwan comme « leader mondial de l’industrie des puces électroniques ». « Alors que l’IA gagne le monde entier, Taïwan poursuivra ses efforts afin d’être un partenaire hautement fiable, efficace et sûr pour la communauté internationale », poursuit-elle.

Taïwan est un acteur essentiel du développement global de l’IA, notamment en raison de la croissance de la demande d’Accélérateurs d’IA (une catégorie de puces électroniques produites par la société Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, la deuxième entreprise la plus importante du secteur mondial des puces électroniques).

Cette situation a contribué à alimenter la relance économique de l’île, selon Bloomberg. Par ailleurs, l’investissement et le développement d’outils liés à l’IA jouent un rôle critique afin de maintenir l’appareil de sécurité national de Taïwan, face aux menaces croissantes d’intervention militaire et de sanctions économiques de la part de Pékin.

« Orienter la recherche technico-scientifique vers la paix et le bien commun »

Dans sa lettre, Tsai Ing-wen a souligné ces thèmes et réaffirmé les considérations éthiques liées au développement des technologies émergentes. « Comme l’a averti Votre Sainteté, l’étendue grandissante des utilisations de l’IA et leurs conséquences pour les valeurs humaines engendrent de graves risques éthiques, comme l’atteinte à la vie privée, la gestion de données et la surveillance illégale, qui ont toutes des conséquences sérieuses pour des sociétés libres et démocratiques », a-t-elle écrit.

« Pour Taïwan, comme pour d’autres démocraties, les campagnes de désinformation ont été un défi majeur », a-t-elle ajouté. « Taïwan compte approfondir sa coopération avec le Saint-Siège dans de nombreux domaines, alors que nous nous attelons à exercer une bonne gouvernance technologique, à maintenir l’harmonie et la stabilité sociale et à créer conjointement un avenir pacifique pour l’humanité. »

Le pape François, dans sa lettre du 1er janvier sur « l’intelligence artificielle et la paix », appelle les législateurs et les acteurs internationaux à « élargir » leur regard et « orienter la recherche technico-scientifique vers la paix et le bien commun, pour le service du développement intégral de l’homme et de la communauté ». Dans sa lettre, le Saint-Père souligne les risques posés par la recherche sur les technologies émergentes dans le domaine des « systèmes d’armes létales autonomes », « l’utilisation belliqueuse de l’intelligence artificielle » étant « un grave sujet de préoccupation éthique ».

Des systèmes fragmentaires qui ne peuvent qu’imiter certaines fonctions de l’intelligence

Il évoque d’autres réserves en soulignant que « la fiabilité d’un demandeur de prêt bancaire, l’aptitude d’un individu à un emploi, la possibilité de récidive d’une personne condamnée ou bien le droit à recevoir l’asile politique ou l’aide sociale pourraient être déterminés par des systèmes d’intelligence artificielle ». Dans ces cas-là, l’absence de divers niveaux de médiation « expose particulièrement à des formes de préjugés et de discriminations » selon lui. « Les erreurs systémiques peuvent facilement se multiplier, produisant non seulement des injustices dans des cas individuels, mais aussi, par effet domino, de véritables formes d’inégalités sociales. »

Le Saint-Père préfère parler au pluriel de « formes d’intelligence » afin d’insister sur « le fossé infranchissable » entre les systèmes d’IA et la personne humaine : pour lui, il s’agit de systèmes « fragmentaires » qui ne peuvent « qu’imiter ou reproduire certaines fonctions de l’intelligence humaine ». Selon lui, « la capacité humaine exclusive de jugement moral et de décision éthique est plus qu’un ensemble complexe d’algorithmes, et cette capacité ne peut être réduite à la programmation d’une machine qui, bien qu’“intelligente”, reste toujours une machine ».

Taipei-Vatican : 80 ans de relations diplomatiques officielles

La recherche de repères éthiques et d’une orientation vers le bien commun en matière d’IA est un thème courant du pontificat du pape François depuis quelques années. Lors d’une audience du 20 février 2023 avec l’Académie pontificale pour la vie, le pape a invité les membres de l’académie à étudier les technologies émergentes afin d’assurer que les progrès scientifiques et technologiques aillent toujours plus de pair avec « un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience » (Laudato Si, n°105).

Le Saint-Siège est toujours un partenaire diplomatique essentiel pour Taipei, en tant qu’unique entité souveraine européenne maintenant des relations diplomatiques avec l’île gouvernée démocratiquement. Des relations diplomatiques officielles entre la République de Chine (nom officiel de Taïwan) et le Saint-Siège ont été établies en 1942. Toutefois, après la fin de la Guerre civile chinoise en 1949 et l’établissement de la République populaire de Chine (RPC), la République de Chine s’est établie sur l’île de Taïwan, située à 160 km des côtes sud-est chinoises.

Actuellement, le Saint-Siège ne maintient pas de relations diplomatiques officielles avec la RPC (avec Pékin). De son côté, Taïwan, ou la République de Chine, maintient des relations diplomatiques avec douze États – depuis que l’île de Nauru, dans le Pacifique, a coupé ses relations avec Taipei le 15 janvier dernier (deux jours après les élections présidentielles taïwanaises, durant lesquelles a été élu Lai Ching-te, actuel vice-président et vif défenseur de la souveraineté taïwanaise).

(Avec Matthew Santucci / CNA)