Eglises d'Asie

L’archidiocèse de Jakarta crée une pièce de théâtre en mémoire des émeutes de mai 1998

Publié le 08/06/2019




Afin de faire mémoire des violences liées aux émeutes des 12 et 13 mai 1998, survenues à Jakarta et ayant entraîné au moins 1 200 morts, l’archidiocèse de Jakarta a lancé une pièce de théâtre appelée « Kemuning – la mariée en deuil », en association avec l’hôpital catholique Saint-Carolus. Bien que les émeutes en question ont mis fin à 31 ans de dictature de Suharto et ouvert une nouvelle ère démocratique, l’archidiocèse de Jakarta a voulu rappeler cet épisode douloureux, en racontant l’histoire d’une femme d’origine chinoise, Mawar et de sa fille Kemuning. Une pièce jouée par une équipe d’acteurs de toutes confessions, dirigée par le Matheus Harry Sulistyo.

Les émeutes anti Suharto de mai 1998 sont un chapitre douloureux de l’histoire indonésienne, au cours duquel au moins 1 200 personnes ont trouvé la mort. Même si elles ont mis fin au règne de Suharto – un dictateur qui avait provoqué un état de détresse économique dans le pays durant ses 31 années au pouvoir – et entraîné une nouvelle ère démocratique, les violences étaient souvent de nature raciale, et tournées principalement vers la communauté d’origine chinoise. Les sentiments antichinois sont toujours profondément enracinés en Indonésie, avec l’idée que la communauté chinoise reste loyale à la Chine. Selon les derniers rapports, vingt et un ans plus tard, la mémoire des atrocités commises durant cette période, dont le viol d’au moins 168 femmes, a tendance à se perdre. L’Église catholique en Indonésie, de son côté, appelle à ne pas oublier ces évènements, qui doivent rappeler à la population ce que peut devenir un tel communautarisme fanatique. C’est dans ce but que l’archidiocèse de Jakarta, en association avec l’hôpital Saint-Carolus, a créé une pièce de théâtre jouée récemment au centre Ciputra Artpreneur de la ville (l’une des plus grandes salles de Jakarta). La pièce, intitulée « Kemuning – la mariée en deuil », raconte l’histoire d’une femme d’origine chinoise du nom de Mawar, violée après le meurtre sauvage de sa famille, durant les émeutes des 12 et 13 mai 1998 à Jakarta. Tombée enceinte, elle est devenue suicidaire, songeant à se donner la mort. La pièce explique que Mawar a fini par y renoncer avec l’aide d’un prêtre et du personnel de l’hôpital Saint-Carolus. Après la naissance de sa fille qu’elle a appelée Kemuning, elle est venue habiter aux États-Unis pour y démarrer une nouvelle vie, comme beaucoup de victimes. La pièce de trois heures a été jouée devant des spectateurs de toutes origines religieuses, dont beaucoup en sont sortis profondément remués.

Faire mémoire

Le père Matheus Harry Sulistyo, le directeur de la pièce, explique que le but était de rappeler aux gens de ne pas oublier ce qui s’est passé durant ces évènements tragiques. « Cette pièce a été créée afin de sensibiliser les gens, pour éviter que d’autres drames similaires surviennent à nouveau à l’avenir », explique le prêtre. Beaucoup de crimes et d’abus commis à l’époque restent non résolus, malgré de nombreuses enquêtes menées depuis. Selon le père Sulistyo, qui dirige également la commission des communications sociales de l’archidiocèse de Jakarta, le drame évoque les trois piliers de l’hôpital catholique Saint-Carolus : les prêtres, les religieuses et les médecins. La pièce fait en effet partie des initiatives lancées pour soutenir la mission de l’hôpital, qui célèbre ses cent ans cette année. « À travers les personnages principaux, Mawar et Kemuning, la pièce explique aux gens comment elles ont pu survivre et se relever malgré les épreuves qu’elles ont traversées », explique le père Sulistyo. Mgr Ignatius Suharyo, archevêque de Jakarta, ajoute que la pièce illustre également les valeurs chrétiennes vécues au sein de l’hôpital. « Elle nous encourage à faire le bien », poursuit l’archevêque. Une équipe de recherche a été créée par le gouvernement et la commission nationale des droits de l’homme afin d’enquêter sur les violences de 1998, notamment sur les affaires de viols. Ita Nadia, militante et membre de l’équipe de recherche, explique qu’il s’agissait de violences raciales, expliquant qu’abuser de ces femmes chinoises était le moyen le plus facile de semer la terreur au sein de leurs communautés.

Collaboration interreligieuse

Les acteurs, de toutes confessions, espèrent que la pièce parviendra à diffuser un message percutant. Yatty Surahman, une actrice chrétienne de 61 ans, qui joue une religieuse dans la pièce, confie qu’elle s’est laissé convaincre d’y participer pour ne pas laisser de tels évènements tomber dans l’oubli. « C’est une bonne mission », ajoute-t-elle. Widya Wijaya, une bouddhiste, souligne que la pièce enseigne le respect de l’autre, de première importance dans les relations humaines. Widi Dwinanda, une artiste musulmane de 31 ans, estime que les jeunes devraient retirer une leçon utile de cette pièce. « Cela fait prendre conscience, surtout parmi les jeunes, que notre histoire contient des périodes bien sombres, et que nous devons tout faire pour éviter de tomber dans les mêmes pièges. »

(Avec Ucanews, Jakarta)


CRÉDITS

Konradus Epa / Ucanews