Eglises d'Asie

Le Japon s’éloigne peu à peu de son pacifisme et renforce son rôle en matière de défense

Publié le 13/12/2022




Bien que le Japon continue de se dire « attaché à sa Constitution » pacifiste, le Premier ministre japonais Fumio Kishida défend un « pacifisme plus proactif » en voulant augmenter le budget de défense du pays de 1 à 2 % du PIB et en rejoignant les principaux pactes en matière de sécurité dans la région Indo-Pacifique. De son côté, l’Église catholique au Japon continue d’appeler à préserver le pacifisme japonais et le Vatican cite souvent le pays en exemple en soutenant la nécessité d’un désarmement nucléaire mondial.

Tokyo, octobre 2010, lors d’un défilé des Forces japonaises d’autodéfense.

Le Japon, 77 ans après les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, se détache peu à peu de ces souvenirs dramatiques et songe à enterrer sa Constitution pacifiste, afin de s’armer pour faire face aux trois puissances voisines détenant l’arme nucléaire. Depuis le début de la guerre en Ukraine en février dernier, le Japon a demandé une hausse de son budget de défense tout en imposant des niveaux de sanctions économiques sans précédents contre la Russie. Des dépenses et des mesures qui visent aussi la Chine communiste et le régime de Kim Jong-un, en Corée du Nord.

Ce n’est qu’une question de temps avant que le Parti libéral démocrate (PLD), qui exerce une influence considérable dans la société japonaise et qui détient les deux tiers des sièges des deux chambres de la Diète nationale (Kokkai, le parlement bicaméral du Japon), propose des amendements de la Constitution pacifiste du pays et transforme les Forces d’autodéfense en une armée à part entière. Un tel changement correspondrait au nouveau niveau d’agression adopté par le Japon, le seul pays à avoir été attaqué par l’arme atomique, et cela renforcerait son rôle dans la sécurité asiatique.

Aux côtés des États-Unis, du Canada, de l’Australie, de la Grande-Bretagne et de l’Union européenne, le Japon s’est efforcé de limiter la capacité de financement de l’invasion en Ukraine en imposant des sanctions sur les exportations russes pétrolières et gazières. Ainsi, le Japon a été parmi les principales puissances à soutenir le plafonnement des prix du pétrole brut russe transporté par voie maritime, décidé par le G7 le 5 décembre dernier.

Tokyo veut renforcer son rôle dans la sécurité du bassin Indo-Pacifique

Le Japon, troisième puissance économique mondiale, a également gelé plusieurs dizaines de milliards de dollars d’actifs détenus par Moscou dans la Banque centrale du Japon. Le gouvernement du Premier ministre Fumio Kishida a aussi imposé un niveau sans précédent de sanctions contre la Russie, en se joignant aux pays occidentaux dans leur décision d’exclure certaines banques russes de la plateforme Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), rouage essentiel de la finance mondiale.

Par ailleurs, le Japon a évoqué son contentieux avec la Russie concernant la souveraineté des îles Kouriles du Sud, aussi connues comme les « territoires du Nord ». Les quatre îles sont situées en mer du Japon et abritent des populations indigènes isolées, clandestines et apatrides. Le contentieux remonte à la Seconde Guerre mondiale, quand l’URSS a annexé les îles Kouriles ; depuis, la Russie les considère comme son territoire.

Craignant que les États-Unis aident le Japon à reprendre les îles Kouriles (afin d’assurer le soutien de Tokyo en cas d’affrontement futur éventuel avec la Chine, et de renforcer l’unité affichée entre l’Europe, les États-Unis et le Japon contre la guerre en Ukraine), la Russie a à son tour déployé le système de missiles de défense côtière « Bastion » dans l’île de Paramushir (archipel des Kouriles).

Contenir l’influence de la Chine dans la région

En prenant toutes ces mesures, le gouvernement japonais songe également à la force nucléaire chinoise et aux tensions renforcées dans le détroit de Taïwan, ainsi qu’à la Corée du Nord qui a revendiqué ouvertement la réussite de son programme d’armement atomique. Le Japon devrait aussi se joindre aux États-Unis et à l’Australie dans des exercices militaires prévus en Australie, dans le cadre d’efforts conjoints prévus pour tenter de contenir l’influence à court terme de la Chine dans la région.

L’objectif est aussi d’initier et d’intégrer un Japon inexpérimenté dans des exercices associés dans le bassin Indo-Pacifique, ce que l’ancien Premier ministre Shinzo Abe (décédé dans un assassinat le 8 juillet dernier) a lui-même reconnu en 2007. En octobre, le Japon et l’Australie ont signé un pacte de sécurité permettant aux Forces japonaises d’autodéfenses de s’entraîner en Australie dans ce but.

En gardant la Chine à l’œil, le Japon a également renforcé ses liens militaires avec les Philippines. Deux avions de chasse japonais ont ainsi atterri dans la base aérienne de Clark, le 6 décembre dernier aux Philippines, alors que l’archipel philippin est lui-même engagé avec la Chine dans un conflit territorial de longue date en mer de Chine méridionale.

Selon l’agence Kyodo News, le lieutenant général Connor Anthony Canlas, à la tête de l’armée de l’air philippine, a salué la première visite d’avions de chasses japonais dans le pays. Le Japon fait également partie de la « Quad », une alliance avec deux puissances nucléaires, les États-Unis et l’Inde, et avec l’Australie qui a signé le pacte de défense baptisé Aukus (avec le Royaume-Uni et les États-Unis, contre l’expansionnisme chinois dans l’Indo-Pacifique).

Le Japon augmente ses dépenses militaires de 1 à 2 % du PIB

Le parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima (ici en novembre 2018).

Les dépenses militaires chinoises ont atteint 230 milliards de dollars US cette année, contre 60 milliards en 2008, selon le centre CSIS (Center for Strategic and International Studies) basé à Washington. En 2021, le budget de défense des États-Unis (principal allié du Japon en raison des relations économiques et militaires étroites entre les deux pays) s’élevait à presque 770 milliards de dollars. Le Japon prévoit quant à lui un budget de défense de presque 287 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, contre 39,66 milliards pour l’année fiscale en cours (qui se termine en mars 2023 dans le pays).

Le Japon, qui ne dépense pas plus d’1 % de son PIB dans la défense habituellement, ne veut plus rester à la traîne par rapport aux dépenses militaires de ses rivaux, d’où la demande du Premier ministre Kishida, lors d’une réunion récente avec le ministre des Finances Shunichi Suzuki et le ministre de la Défense Yasukazu Hamada, d’augmenter le budget à 2 % du PIB au cours des cinq prochaines années.

Cette hausse placera le pays en phase avec les objectifs des membres de l’Otan, dont le Japon ne fait pas partie, malgré des liens rapprochés et une participation, en juin dernier, à un sommet de l’alliance atlantique en tant qu’observateur. Fumio Kishida est ainsi devenu le premier Premier ministre japonais à prendre part à un sommet de l’Otan.

« Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire »

En rejoignant les principaux pactes de défense initiés par l’Occident et par l’Otan et en renforçant ses défenses militaires, le Japon cherche-t-il à jouer un rôle majeur en tant que superpuissance en Asie, soutenu par les États-Unis et l’Otan ? De son côté, l’Église catholique au Japon a toujours défendu la paix en raison des conséquences dévastatrices des armes atomiques, et le Vatican cite souvent le Japon en exemple en soutenant fermement l’objectif d’un monde libéré de l’arme nucléaire. Saint Jean-Paul II et le pape François ont tous deux visité les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, attaquées par les États-Unis en 1945.

Quand le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, visant à interdire l’utilisation, le développement, la production, les essais, le stationnement, le stockage et la menace d’utilisation de telles armes, a été ratifié par 50 États le 22 janvier 2021, l’Église japonaise a demandé au gouvernement de repenser sa position sur les armes nucléaires et d’agir comme un pont entre les puissances nucléaires et ceux qui ne possèdent pas l’arme atomique.

Tous les ans, l’Église locale célèbre « dix jours de prière pour la paix », du 6 au 15, août en mémoire des attaques d’Hiroshima et de Nagasaki du 6 et du 9 août 1945. L’événement a été lancé en 1982, après l’appel de saint Jean-Paul II durant son voyage apostolique au Japon. Cette année, durant la campagne de prière pour la paix, Mgr Isao Kikuchi, archevêque de Tokyo et président de la Conférence épiscopale japonaise (CBCJ), a tenu à signaler les nouvelles menaces contre la paix et la sécurité, notamment vis-à-vis de la guerre de la Russie contre l’Ukraine.

Comme l’a fait remarquer Mgr Kikuchi, le Japon s’est éloigné encore un peu plus de sa mentalité pacifiste après le déclenchement de l’invasion russe, cette fois-ci de manière plus agressive. Dans les faits, le pacifisme constitutionnel du Japon est remis en question, malgré les assurances du Premier ministre Kishida qui affirme que le pays reste « attaché à sa Constitution » tout en soutenant un « pacifisme plus proactif ».

« Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire », a répété le pape François à plusieurs reprises, notamment le 24 novembre 2019, au parc de la paix de Nagasaki lors de son voyage au Japon. Il l’a également répété dans son message envoyé lors de la première rencontre des États signataires du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), organisée à Vienne du 21 au 23 juin dernier.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Rikujojieitai Boueisho (CC BY-SA 3.0) ; Geoff Whalan (CC BY-NC-ND 2.0)