Eglises d'Asie

Le Japon sur les traces des « nikkeijin », anciens émigrés au Brésil, pour pallier un manque de main-d’œuvre

Publié le 04/01/2022




Le terme « nikkeijin », littéralement « personne d’origine japonaise », désigne de façon générale les émigrés japonais et leurs descendants. Face à un manque de main-d’œuvre dans de nombreuses usines dans diverses banlieues dépeuplées du pays, les jeunes préférant des emplois plus qualifiés en ville, le Japon se tourne vers les anciens émigrés, notamment vers la diaspora japonaise au Brésil. Outre le Brésil, on compte de nombreux autres pays d’origine comme les Philippines ou le Vietnam. Un programme élargi aux nikkeijin jusqu’à la troisième génération.

Au début du XXe siècle, plusieurs centaines de Japonais, fuyant la misère, sont partis pour les Amériques. Un premier groupe de 781 migrants japonais est arrivé en 1903 dans la ville portuaire de Santos, au Brésil. Ils se rendaient dans les plantations de café. À l’époque, certaines sociétés privées japonaises peu scrupuleuses parlaient de cette plante comme la « poule aux œufs d’or », et beaucoup de migrants japonais rêvaient de se faire de l’argent et de revenir au pays en ayant fait un bond dans la hiérarchie sociale. Sur 200 000 d’entre eux, seuls 7 % ont réussi, et les autres ont dû rester au Brésil. Aujourd’hui, les descendants de cette diaspora sont appelés nikkeijin, et ils forment près d’1,5 million de personnes au Brésil.

Depuis les années 1990, le pays du Soleil levant manque de main-d’œuvre dans différentes usines situées dans certaines banlieues inhabitées, alors que les jeunes Japonais préfèrent des emplois qualifiés et vivre en ville. C’est pourquoi le Japon a proposé aux héritiers de ces migrants japonais l’opportunité de revenir dans leur pays d’origine. La raison étant que dans leur « ADN » se trouverait encore, bien que « dilué », l’esprit du Yamato (ancien nom du Japon). Si, pour d’autres étrangers, le long processus menant à la résidence permanente et à un visa de travail au Japon semble particulièrement complexe, pour un nikkeijin, la longue attente avant de pouvoir résider au pays du Soleil levant n’est qu’une formalité.

« Mais vous devez prouver, sans aucun doute possible, que vos ancêtres étaient de vrais Japonais », explique Arthur, 28 ans. Né d’une mère japonaise et d’un père brésilien, il a dû retrouver toutes les traces et les preuves de ses origines japonaises. Dans son cas, ce sont ses arrière-grands-parents maternels qui ont quitté leur petit village dans la préfecture de Kumamoto. « Le processus est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Mon arrière-grand-père est arrivé à Sao Paulo en 1933, mais je devais montrer les documents d’origine. Et retrouver des photos a été bien compliqué », assure-t-il, en expliquant qu’il a pu dénicher une rare photo familiale datant du début des années 1930.

Un programme visant les nikkeijin jusqu’à la 3e génération

Pourquoi visent-ils particulièrement le Brésil ? Arthur évoque la théorie d’un vaste projet eugénique, parmi d’autres raisons possibles. Selon le sociologue Florestan Fernandes, après l’abolition de l’esclavage en 1888, le Brésil s’est efforcé d’accueillir davantage d’immigrés allemands, japonais et italiens – un programme soutenu par des subventions du gouvernement et des propriétaires des plantations de café. « C’est réussi si vous considérez la mosaïque ethnique qui constitue la population brésilienne aujourd’hui », conclut Arthur.

Seuls les nikkeijin jusqu’à la troisième génération peuvent prétendre bénéficier de ces « raccourcis » à l’entrée au Japon. Mais le gouvernement prévoirait déjà d’ouvrir le programme à la quatrième génération, soit les enfants des arrière-petits-enfants de la première vague. Une fois arrivés au Japon, le pays leur offre un emploi ouvrier dans une usine, comme dans la préfecture de Shimane dans une firme appelée Murata, qui produit des composants électroniques.

C’est là qu’Arthur a passé douze mois, malgré des douleurs à l’estomac et différents autres maux. « Non pas à cause de l’alimentation, la cafétéria est très bien, mais à cause du stress », souligne-t-il. Douze heures par jour, dont trois heures supplémentaires que personne, par contrat, ne peut refuser. « Au Brésil, ce serait illégal », assure-t-il. Une journée de travail typique est particulièrement rude. Il n’obtient une pause de 45 minutes qu’au bout de quatre heures de travail, puis il lui faut travailler encore trois heures avant une pause de 15 minutes, avant de poursuivre avec quatre heures supplémentaires. Arthur prévoyait de rentrer au Brésil pour y devenir enseignant, mais quinze jours avant son départ, il a rencontré sa femme, également brésilienne.

« La foi commune de la communauté est ce qui nous unit »

Shio, propriétaire d’un bar local, explique qu’il voit de nouveaux visages chaque semaine. « Même avec le Covid, la société Murata se développe sans cesse. » Outre les nikkeijin et les Brésiliens, qui sont déjà 3000, il cite aussi de nombreux immigrants venus d’Asie du Sud-Est. « À Manille, j’ai contacté une agence d’intermédiaires qui m’a présenté une liste d’occupations possibles avec diverses exigences requises », explique Lulu, une Philippine de 29 ans.

« Si vous voulez travailler chez Toyota, vous devez maîtriser un minimum de japonais, mais ici, à Izumo [préfecture de Shimane], ce n’était pas nécessaire, donc le choix était évident pour moi », ajoute-t-elle. Après avoir passé un an dans la firme de Murata, elle profite aujourd’hui de sa maîtrise de l’anglais pour enseigner dans une école locale. Elle reconnaît avoir renoncé à un meilleur salaire, mais pour une meilleure qualité de vie.

Chaque dimanche matin, dans l’église catholique locale, non loin de la gare centrale, une foule de fidèles de différentes communautés se rassemble pour la messe de 9h30. Comme les Brésiliens sont majoritaires, tous les quatrièmes dimanches du mois à 18 heures, une messe a lieu en portugais. Mais de nombreuses autres origines sont présentes, dont un petit groupe de Vietnamiens.

Arale, 22 ans, a quitté sa famille il y a quelques années, près de Nha Trang dans le centre du Vietnam, afin de partir gagner sa vie au Japon. Aujourd’hui, elle travaille dans une charcuterie au Good Day, une grande chaîne de supermarchés. « Quand je suis arrivée ici, j’étais un peu perdue parce que je ne connaissais personne. Donc j’ai immédiatement cherché une église et aujourd’hui, je viens ici tous les dimanches pour assister à la messe du père Kim », explique-t-elle, en évoquant un prêtre d’origine coréenne. « Comme la plupart d’entre nous, comme moi, il est venu seul au Japon. La foi commune de la communauté est ce qui nous unit tous et ce qui nous donne de la force. Ici, on peut vraiment compter les uns sur les autres », assure Arale.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Dennis P / Pixabay