Eglises d'Asie

Le manque de soins en cause en Paouasie

Publié le 20/11/2018




La province indonésienne de Papouasie, dans l’est de l’archipel, souffre d’un manque de médecins qui entraîne des milliers de décès dans la région. On compte seulement 12 000 personnes travaillant dans le secteur au sein de la province, alors qu’il en faudrait au moins trois fois plus selon les experts. Entre 2013 et 2017, selon une enquête, 2 393 patients sont morts au sein du même hôpital. Le gouverneur de la province, Lukas Enembe, cite la corruption et un manque de déontologie parmi les facteurs en cause.

Benjamin Lagowan restera toujours hanté par la mort de son cousin, qui a été diagnostiqué à tort d’infection intestinale et qui a fini par mourir à cause d’un traitement inadapté, dans sa ville d’origine dans les montagnes de Papouasie. En août 2018, Alex Molama, 27 ans, a été amené en urgence, sur une civière, à l’hôpital de Wamena, la capitale de la région Jayawijaya, après s’être plaint de maux d’estomac. Sa famille l’y a amenée du mieux qu’elle pouvait en l’absence de moyens de transport disponibles, dans ce coin reculé du monde où les ambulances sont considérées comme un luxe rare. Le médecin a expliqué à la famille Molama qu’Alex semblait souffrir d’une infection intestinale avant de le confier à un spécialiste. Toutefois, ce dernier n’était pas en ville, et les infirmières se sont démenées, avec peu de moyens et une formation limitée, pour le soigner, alors que ses proches voyaient sa situation empirer. « Son estomac enflait et de la bile sortait de sa bouche », raconte son cousin. Le 24 août, il fut envoyé dans un autre hôpital à Jayapura, la capitale de la province, mieux équipé. « Les médecins nous ont dit qu’il ne souffrait pas d’une infection intestinale mais d’une insuffisance rénale sévère », poursuit-il. Il est mort cinq jours plus tard, mais la famille n’était pas au bout de ses peines. Quand ses proches ont voulu retirer le corps du défunt, ils ont dû supporter la frustration et le délai imposés par l’absence de personnel médical pouvant signer les papiers adéquats.

Marcelina Matuan a vécu une histoire similaire. Sa belle-sœur, Yuliana Lagowan, 37 ans, a dû essayer des herbes et des médecines traditionnelles pour soigner des maux de tête, parce qu’aucun spécialiste exerçant à l’hôpital de Wamena n’était capable d’identifier le problème. Yuliana Lagowan a été envoyée dans un autre hôpital de la ville quelques jours plus tard après avoir eu un malaise. Une fois sur place, le médecin a informé la famille qu’elle souffrait d’une hémorragie cérébrale et qu’elle devait être envoyée en urgence à l’hôpital de Jayapura. « Le problème est que cela a pris une semaine avant d’obtenir la lettre de recommandation du médecin pour pouvoir l’envoyer là-bas », raconte Marcelina. Quand la famille est arrivée à Jayapura, les médecins n’ont pas pu l’opérer malgré l’urgence de sa situation, parce qu’ils devaient atteindre le chirurgien en chef qui devait arriver depuis Jakarta. À cause du manque de médecins, c’était le seul chirurgien disponible à cet hôpital les vendredis et samedis. « Ils nous ont demandé d’être patients », poursuit Marcelina. Yuliana est morte avant l’arrivée du chirurgien.

Sepit Boma, 18 ans, a lui aussi une histoire à ajouter à cette série de drames et de familles en deuil, après avoir vu son grand frère mourir à cause des manques de moyens de l’État en matière de santé publique. Simon Boma, 23 ans, a été emmené à l’hôpital local d’Abepura le 24 septembre après s’être plaint de douleurs à la poitrine et de troubles urinaires. Le médecin a suggéré qu’il soit hospitalisé pour pouvoir recevoir un meilleur traitement. « Mais personne ne s’est occupé de lui correctement. Le médecin lui a juste donné du paracetamol pour la douleur, et sa santé ne s’est jamais améliorée », regrette Sepit. Comprenant qu’ils pouvaient s’occuper de lui aussi bien voire mieux à la maison, la famille l’a ramené au village où il est mort le 1er octobre.

Le manque de personnel qualifié en cause

On compte des milliers d’exemples similaires de Papouasiens qui sont morts à cause de la mauvaise qualité des soins dans la région. Beaucoup décèdent dans les hôpitaux publics qui sont pourtant considérés comme les meilleurs de la province. Il y a trois mois, un document sur des patients morts à l’hôpital public de Jayapura a circulé parmi les journalistes de la région, indiquant qu’entre 2008 et 2012, 1 275 patients sont morts. Une enquête similaire a été publiée en février par Tempo, un magazine hebdomadaire, rapportant qu’entre 2013 et 2017, 2 393 patients sont morts au sein du même hôpital – soit deux fois plus que durant la période précédente. Le Dr Aloysius Giyai, chef du département de la santé pour la province, confie que le nombre de décès de patients de l’hôpital est le plus élevé du pays. « Ces chiffres sont très inquiétants. Le nombre moyen de décès de patients dans les hôpitaux du pays est de 120 par an », ajoute-t-il.

Il souligne qu’il y a beaucoup de facteurs qui sont en cause, mais que le plus problématique est le manque de personnel qualifié. Le personnel médical en Papouasie compte environ 12 000 membres, mais selon les experts, il en faudrait au moins trois fois plus pour pouvoir répondre aux besoins de la population. Un autre facteur cité par le Dr Giyai vient des croyances des gens, en particulier dans les communautés rurales isolées, en la magie noire ou dans les pratiques de shamans et autres guérisseurs considérés comme des charlatans par la médecine occidentale. « Quand une personne tombe malade, on pense souvent que quelqu’un lui a jeté un sort, ou qu’une forme ou une autre de sorcellerie est responsable », ajoute-t-il. « Le patient est alors emmené auprès du shaman du village plutôt qu’à un médecin qualifié dans un hôpital. » Trop souvent, poursuit-il, le patient est emmené en urgence auprès d’un véritable centre médical quand il est pratiquement mourant, et qu’il est trop tard pour que le personnel médical puisse faire grand-chose pour lui.

De son côté, le gouverneur de la province, Lukas Enembe, dénonce ce trop grand nombre de décès en affirmant qu’il y a un manque de déontologie de la part du personnel médical et des directeurs d’hôpitaux, dont beaucoup sont originaires d’autres régions. Il ajoute que trop souvent, ils se préoccupent avant tout de s’enrichir eux-mêmes, sans s’assurer que les malades et les blessés reçoivent le meilleur traitement possible. « Diriger un hôpital est une lourde responsabilité. Et il y a beaucoup d’argent à se faire. Trop de gens ne se préoccupent pas assez du sort des Papouasiens », souligne Lukas Enembe, qui a été réélu gouverneur en juin. Il estime que beaucoup de centres médicaux de la région sont mal gérés. L’une de ses priorités est de régler les problèmes liés à la carte médicale KPS (Papua Health Card). Le système a été inauguré pour aider les communautés défavorisées de la région, incapables de payer les frais de médecine, de chirurgie ou autres soins médicaux, ce qui, pour le gouverneur, ouvre la voie aux abus des praticiens peu scrupuleux. « Nous devons employer des gens qui sont réellement déterminés à servir les Papouasiens », demande-t-il, ajoutant qu’il prévoit de construire plus d’hôpitaux qui embaucheront exclusivement des médecins et des infirmiers locaux.


CRÉDITS

Benny Mawel / Ucanews