On n’échappe pas à Noël aux Philippines, surtout à Manille, même pour Rorelyn Mandacawan, 18 ans, qui n’en sait pratiquement rien. Elle fait partie d’un groupe de 70 étudiants membres des populations tribales de Mindanao, venu dans la capitale en juin 2017 afin de défendre la cause de leurs communautés frappées par les conflits armés. Rorelyn et son groupe sont venus chercher refuge dans la capitale suite à des menaces de mort envoyées par des soldats, qui accusent les minorités de soutenir les rebelles communistes. Lors d’une rencontre organisée dans une université catholique de Manille, Rorelyn s’est vue demander ce qu’elle voulait pour Noël. « Je veux seulement rentrer chez moi », a-t-elle répondu. Mais au fond, pourtant, elle sait que c’est impossible, surtout depuis que le gouvernement a prolongé la loi martiale à Mindanao d’une nouvelle année. « Je ne savais rien sur Noël, explique-t-elle. Mais nos enseignants nous ont parlé de ce que cela voulait dire. » Rorelyn ajoute qu’ils leur ont parlé de la naissance de « Jésus le sauveur » et de « tout le bien » que les gens pourraient faire, comme défendre la paix. Elle confie que quand elle entend parler de Noël, elle songe à son village de Nasilaban, à Talaingod, à Mindanao dans la province de Davao del Norte, une région toujours touchée par les conflits. « Si Noël est symbole de paix, alors cela n’existe pas chez nous », ajoute-t-elle.
La loi martiale prolongée d’un an
Les épreuves de Rorelyn ont commencé le 29 juin 2017, quand un militaire de l’armée philippine a tué un enseignant de l’école de son village. « C’était terrifiant, se souvient-elle. Il a aussi pointé son arme vers nous. » En août 2017, la jeune philippine est venue à Manille pour parler du sort de son village. Elle y est retournée en mars, avant de fuir deux jours plus tard quand des combats ont éclaté entre l’armée et la guérilla. Le gouvernement a fermé toutes les routes vers Nasilaban et a accusé les enseignants et les élèves d’avoir organisé les attaques. Rorelyn et l’un de ses enseignants ont dû marcher neuf heures de nuit afin de pouvoir s’échapper. Les autochtones de Talaingod ne sont pas les seules minorités indigènes à avoir dû fuir les combats dans le sud de l’archipel. Le groupe Save our schools Network a déjà enregistré 535 attaques contre des écoles tribales à Mindanao, depuis le début de la loi martiale en mai 2017. Au moins 58 écoles ont été fermées depuis que le président Rodrigo Duterte est arrivé au pouvoir en juillet 2016. Le groupe confie que les civils, sous la loi martiale à Mindanao, ont subi « d’innombrables violations des droits de l’homme, dans le cadre du programme du gouvernement contre les révoltes ». L’armée a cependant repoussé ces accusations. Le président Duterte a déclaré la loi martiale dans le sud des Philippines suite à l’attaque terroriste de Marawi l’année dernière, qui a mis presque un demi-million de personnes à la rue.
Lutte pour la paix
Afin d’améliorer la situation des enfants des communautés tribales, un réseau de groupes chrétiens a organisé des activités afin de leur permettre de vivre les fêtes de Noël malgré tout. « Nous voulons les aider à oublier les conflits, même si c’est juste pour un moment », explique le prêtre rédemptoriste Teodulo Holgado, porte-parole du groupe Sandiwa. Des célébrations de Noël sont organisées auprès des communautés religieuses afin d’aider les enfants « à vivre comme des enfants, ne serait-ce que pour une journée ». « Nous voulons simplement qu’ils puissent rire, jouer, chanter, danser… Les confits les ont privés de leur enfance », souligne le prêtre. Dans son message de Noël, Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, à Mindnao, a appelé les catholiques à « partager l’esprit de Noël » avec les victimes des conflits. « Faites que cette année, les célébrations de Noël puissent nous aider à résoudre les problèmes qui sont à la racine de ces conflits armés, pour que la paix puisse s’établir dans la région », a demandé Mgr Ledesma.
(Avec Ucanews, Manille)
CRÉDITS
Mark Saludes / Ucanews