Eglises d'Asie

Le soutien de l’Église locale face à la misère des vétérans vietnamiens

Publié le 25/06/2022




Près de 50 ans après la fin de la guerre du Vietnam, de nombreux anciens soldats, devenus invalides, peinent à s’en sortir faute d’emploi stable et de revenus. Face à la misère de certains vétérans blessés, le père Jean-Baptiste Le Quang Quy, dans la province de Quang Tri, souligne que les soldats des deux côtés doivent être traités équitablement. « Autrefois, ils se sont battus les uns contre les autres, confie également sœur Anna Tran Thi Hien, des Amantes de la Croix à Dong Ha, mais aujourd’hui ils sont bons camarades et ils ont besoin des uns des autres. »

Joseph Le Duy Hien, un soldat vétéran vietnamien, blessé durant la guerre en 1972, vend des balais en paille avec sa femme dans une rue de Dong Ha.

Par un soleil brûlant, Joseph Le Duy Hien, qui est totalement aveugle, transporte des balais en paille faits maison avec sa femme, à l’aide d’un chariot, afin de les vendre dans les rues de Dong Ha. Ils parcourent ainsi la ville tous les mercredis et samedi. Les autres jours, ils doivent récolter et sécher la paille pour fabriquer les balais. « Nous essayons de travailler dur et nous gagnons environ 3,5 millions de dongs [143 euros] par mois. C’est notre seule source de revenus », confie Joseph, âgé de 70 ans, à l’aspect pâle et maigre.

Durant la pandémie de Covid-19, le couple a survécu grâce aux aides humanitaires des religieuses catholiques et autres bienfaiteurs, alors qu’ils ne pouvaient plus vendre leurs produits et qu’ils n’avaient plus de quoi payer les factures d’eau et d’électricité. Leurs trois enfants et leurs cinq petits-enfants vivent loin d’eux dans les provinces du sud du Vietnam.

Joseph, ancien soldat du Sud-Vietnam alors soutenu par les Américains, a perdu ses yeux dans une bataille contre les forces communistes du Nord, il y a 50 ans dans la province de Quang Tri, où des combats sanglants ont eu lieu durant des mois en 1972. Cette période a été surnommée « l’été de feu ». Au début, les forces communistes ont attaqué des cibles dans la province située sur le front, où le 17e parallèle séparait le Nord et le Sud, et ils en ont pris le contrôle en mai 1972. Les États-Unis et les forces du Sud ont repris le contrôle de la région en septembre. Plusieurs milliers de soldats sont morts dans de durs combats.

« Je n’ai rien fait de mal, je suis seulement une victime de la guerre »

Les parents de Joseph Hien ont été tués par des tirs d’artillerie sur la route nationale, alors qu’ils accompagnaient plusieurs dizaines de milliers d’autres cherchant à fuir à Hué. Quand le Sud a été contrôlé par les communistes, Joseph et plus de 400 autres soldats blessés ont été forcés de quitter une maison de convalescence à Hué. Il est alors retourné dans sa ville natale de Dong Ha afin de vivre avec son oncle. Il s’est ensuite mis à fabriquer des balais en paille durant la journée, tout en étant forcé d’apprendre les nouvelles règles du gouvernement le soir. Il a rejoint un groupe local de personnes malvoyantes en 1983 et il s’est marié à une femme malentendante l’année suivante.

« Nous n’avions pas de travail et les sœurs Amantes de la Croix nous ont donné de l’argent pour que nous puissions acheter un chariot et du matériel pour fabriquer des balais », explique Joseph Hien d’une voix calme. « La guerre a pris mes yeux et aujourd’hui je suis âgé, mais je dois travailler tous les jours pour que nous ayons de quoi manger. Je n’ai rien fait de mal, je suis seulement une victime de la guerre. »

« Nous devons énormément aux sœurs pour leur aide »

Phan Dinh Thuan, un autre ancien soldat de la marine du Sud-Vietnam, raconte de son côté qu’il a perdu ses jambes dans une attaque, en juin 1972 à Quang Tri. Phan Thuan, 72 ans, explique qu’il vit dans la misère et qu’il n’a reçu aucune aide du gouvernement depuis que le pays a été réunifié. « Je vis seul et je dois vendre des billets de loterie dans la rue et dans les marchés pour survivre », ajoute-t-il, en précisant qu’il a déjà été volé par des jeunes. « J’ai une santé fragile et je suis désespéré face à l’avenir. J’ignore comment je vais pouvoir m’en sortir si je suis trop faible pour travailler. »

Beaucoup de soldats des anciennes forces communistes du Nord, qui ont participé aux combats de Quang Tri cette année-là, sont également en difficulté. Vo Dinh Huong, ancien caporal de la 304e division, confie que son œil droit a été blessé et que sa main droite a été brisée à cause de l’explosion d’un obus. Après sa défection de l’armée en 1977, il a construit une hutte près d’une rivière dans son district natal de Da Krong, et il a élevé des canards pour gagner sa vie. Il s’est marié en 1980 et il a reçu un terrain de 100m² du gouvernement pour pouvoir construire une maison. Les cinq membres de la famille ont vécu dans la hutte de 10m² et ils ont dû s’abriter dans les écoles locales pour éviter les inondations annuelles.

Ils n’ont pas eu de quoi construire une maison avant 2005, quand les Filles de Marie Immaculée leur ont donné de l’argent pour qu’ils puissent construire une maison de briques. « Nous devons énormément aux sœurs pour leur aide financière. Sans elles, nous serions toujours dans un abri de fortune au bord de la rivière », salue le père de trois enfants, âgé de 74 ans, reconnaissant. Le soldat vétéran, qui gagne seulement 25 000 dongs (1,02 euro) par jour en gonflant des pneus de vélos et de motos, ajoute qu’il reçoit une aide mensuelle du gouvernement de 2 150 000 dongs (88 euros), qu’il utilise pour soigner sa femme qui souffre de cirrhose depuis douze ans. Il explique que beaucoup de soldats blessés vivent dans la pauvreté et sans emploi stable. Ils survivent seulement grâce au soutien de leurs enfants et des bienfaiteurs.

« Ils ont besoin des uns des autres »

Simon Tran Quang Binh, de la paroisse de Tam Toa, dans la province de Quang Binh, raconte qu’en juillet 1972, son unité militaire, en garnison dans une église au sanctuaire de Notre-Dame de La Vang, a été lourdement bombardée par les forces du Sud. L’église s’est effondrée et beaucoup de ses camarades sont morts ou ont été blessés, mais Simon confie qu’il a survécu : « Je crois que Dieu m’a sauvé. » Simon Binh, qui a dépassé 70 ans, ajoute qu’après avoir été congédié de l’armée en 1978, il est retourné chez lui où il a rejoint le conseil paroissial. Ce père de deux enfants ajoute qu’il a ensuite pêché pour soutenir sa famille, alors que les institutions d’État refusaient de lui donner du travail à cause de son catholicisme. « Dieu nous aime et nous bénit, et jusqu’à ce jour, nous avons pu vivre décemment », confie-t-il, en ajoutant qu’il visite souvent le sanctuaire de La Vang pour remercier Dieu et la Vierge Marie pour avoir survécu.

Le père Jean-Baptiste Le Quang Quy, responsable d’activités caritatives dans la province de Quang Tri, explique que la longue guerre meurtrière a pris fin il y a presque un demi-siècle et que les soldats des deux côtés doivent être traités équitablement et avec le même respect. Pour lui, ils sont innocents et sont tous frères. Le père Quy confie qu’il rassemble près de 200 anciens soldats à Noël, tous les ans, afin de leur offrir de la nourriture, des cadeaux et une animation musicale, pour qu’ils puissent tisser des liens fraternels et abandonner les hostilités derrière eux. « Ils se rendent visite chaque fois qu’il y a des mariages et des enterrements, et ils apportent un soutien moral et matériel à ceux qui sont en difficulté. »

Le prêtre appelle aussi des bienfaiteurs à donner des fauteuils roulants et des cannes aux soldats handicapés pour qu’ils puissent se déplacer par eux-mêmes. Au couvent de Dong Ha, sœur Anna Tran Thi Hien, des Amantes de la Croix, confie de son côté que les religieuses travaillent avec les autorités sanitaires afin d’apporter des soins et des médicaments à près de deux mille soldats vétérans tous les ans. Sœur Hien ajoute que tous les mois, les sœurs apportent aussi des aides alimentaires et des bourses d’étude à leurs enfants. « Autrefois, ils se sont battus les uns contre les autres, mais aujourd’hui ce sont de bons camarades et ils ont besoin des uns des autres. »

(Avec Ucanews)


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Ucanews