Eglises d'Asie

L’Église contre les dangers de l’alcool frelaté dans les plantations de thé

Publié le 09/03/2019




Le 3 mars, des habitants de l’État d’Assam, à l’extrême nord-est du pays, manifestaient contre les dangers de l’alcool dans les plantations de thé de la région, une semaine après la mort de 160 personnes après avoir bu de l’alcool frelaté, le 20 février. Une tragédie qui a frappé un total de 500 victimes, rendant de nombreuses personnes aveugles ou atteintes de problèmes rénaux ou du foie. Le père Caesar Henry, du diocèse de Dibrugarh dont dépend la région affectée, confie que l’Église cherche à combattre ce fléau profondément enraciné, notamment aux côtés des responsables hindous et musulmans, afin de protéger la population.

Sunil Kira, un père de famille, fait partie des 500 victimes de la tragédie qui a frappé l’État d’Assam le mois dernier, dans le nord-est de l’Inde. Le 20 février, alors qu’il profitait du clair de lune après une dure journée de travail dans une plantation de thé, Sunil n’avait pas idée de ce qui allait lui arriver. Ce jour-là, 160 personnes sont mortes après avoir bu de l’alcool frelaté. D’autres ont perdu la vue ou ont été gravement atteintes par des problèmes rénaux ou du foie. Sunil, quant à lui, est devenu aveugle. « Aujourd’hui, je suis dans le noir. Je dois reconnaître les gens à leur voix », explique ce catholique de 38 ans, qui vit dans le district de Jorhat, qui dépend du diocèse de Dibrugarh. Cela s’est produit seulement deux semaines après une autre tragédie dans deux autres États indiens, début février, au cours de laquelle cent personnes sont mortes, et dont les victimes ont bu de l’alcool frelaté qui avait été fabriqué à partir de désinfectants domestiques et de produits antigel. Près de six millions de personnes travaillent dans les plantations de thé de l’État d’Assam, soit environ 17 % des 31 millions d’habitants de l’État, selon les évêques catholiques de la région. Le 20 février, huit catholiques du diocèse de Dibrugarh ont perdu la vie. Anil Kiro, 39 ans, catholique et chef de village, explique de son côté que le diocèse ne connaît pas encore le nombre de personnes qui ont été rendues aveugles par la boisson toxique.

Le danger des liqueurs de contrebande

Les ouvriers de la plantation de thé, selon les rapports des médias locaux, faisaient la fête après avoir reçu leurs salaires. La boisson en question – un alcool local connu sous le nom de « sulai » et brassé à partir de jaggery (sucre non raffiné) et d’éthanol (alcool éthylique) – a été produite par une femme âgée, Dhraupadi Oran, et son fils de trente ans, Sanju Oran, originaires de Golaghat. Ils auraient remplacé l’éthanol par du méthanol (alcool méthylique), un produit particulièrement toxique. Sunil, qui témoigne depuis son lit d’hôpital, confie avoir bu deux verres ce soir-là, expliquant que c’est une coutume répandue dans les plantations de thé. Il se souvient d’avoir bien dormi ensuite, mais à son réveil, le lendemain, il s’est mis à vomir et il a perdu connaissance. Il a été emporté d’urgence dans un hôpital local, avant d’être envoyé dans un centre médical universitaire du gouvernement, raconte son beau-frère, Sunil Tirkey. Sunil est marié et a trois enfants. Les deux aînés, âgés de dix et douze ans, étudient dans un internat catholique, et le plus jeune est en maternelle. Leur père, non qualifié, ne pourra plus travailler dans la plantation de thé maintenant qu’il est aveugle. « Je ne sais pas comment je vais pouvoir nourrir ma famille », déplore-t-il. Sunil et sa femme, Meera, travaillaient tous deux dans les plantations où ils gagnaient 340 roupies (5 dollars) par jour.

La tragédie d’Assam risque de plonger des centaines de familles dans la misère, explique le père Caesar Henry, de Dibrugarh dans la région affectée. « Des centaines de victimes souffrent de lésions hépatiques ou d’autres complications graves, qui les rendront incapables de mener une vie normale », ajoute le prêtre. Beaucoup de familles de la région vivent déjà dans des conditions très précaires. Ce poids supplémentaire risque d’être fatal pour beaucoup. Des groupes catholiques ont répondu à l’appel en rendant visite aux familles des victimes et en les aidant à trouver une aide médicale. Ils ont également organisé des programmes de sensibilisation du public, comme des rassemblements contre l’abus d’alcool, explique Sumila Xaxa, 39 ans, qui anime un groupe de femmes catholiques dans la région. Les volontaires catholiques ont également aidé la police à détruire les restes de l’alcool frelaté, qu’ils ont trouvés dans les maisons et dans les boutiques. Le père Henry explique que les catholiques ont déjà sollicité la police dans le passé à propos des liqueurs domestiques frelatées. « Mais ils ne nous ont jamais pris au sérieux, et maintenant, nous avons perdu tant de vies », regrette-t-il. Sumila Xaxa ajoute que les communautés indigènes avaient l’habitude de boire de la bière de riz artisanale, « mais après cette tragédie, nous avons arrêté ».

800 millions de kg de thé par an

Les Anglais ont introduit le thé en Inde au XVIIe siècle, et ils ont fondé des plantations dans les collines d’Assam afin de concurrencer le monopole chinois sur ce marché. Ils ont trouvé une main-d’œuvre peu chère parmi les communautés indigènes. Depuis, leurs descendants continuent d’y travailler. Aujourd’hui, Assam est considérée comme la plus vaste région de plantations de thé au monde, avec 800 grandes plantations et des milliers de plantations plus petites, pour une production moyenne annuelle de 800 millions de kilogrammes de thé. La réalité épuisante de ce travail et le manque de loisirs « poussent facilement les gens à boire après le travail, c’est devenu une habitude », confie Sumila Xaxa. « Mais nous essayons de mettre fin à ces pratiques », ajoute-t-elle. Avec l’approche des élections générales, les critiques se demandent pourquoi la situation des ouvriers des plantations de thé, dont les votes peuvent s’avérer décisifs pour au moins quatorze sièges parlementaires, est toujours ignorée. « Ils manquent toujours de l’essentiel, comme des logements décents ou l’eau potable », dénonce Anil Kiro. Le père Henry, quant à lui, explique qu’il cherche à collaborer avec les responsables hindous et musulmans afin de combattre « le problème profondément enraciné de l’alcoolisme parmi les ouvriers des plantations de thé ». « Les premiers échanges ont été très positifs. Eux aussi sont d’accord avec l’urgence de protéger les vies des populations indigènes », ajoute le prêtre. L’État d’Assam, à l’extrême nord-est du pays, compte 1,1 million de chrétiens, soit moins de 4 % de la population de l’État. Une proportion légèrement supérieure à celle des chrétiens en Inde, qui représentent environ 2,3 % de la population totale.

(Avec Ucanews, New Delhi)


CRÉDITS

Diocèse de Dibrugarh