Du nord au sud du Vietnam, les vocations sont nombreuses et de qualité, les religieuses jeunes et nombreuses. Ces jeunes générations n’ont pas connu les persécutions. Les prêtres sont nombreux et entreprenants, portés et respectés par leurs communautés, elles-mêmes fortes de fidèles très pratiquants, généreux et organisés. Cette Église familiale vit dans une société filiale, fondée sur le culte des ancêtres et des morts, sur le respect des anciens.
Au Vietnam, l’Église ne se cache pas, pas plus à Hanoï qu’ailleurs. À la périphérie de cette mégapole de huit millions d’habitants, en développement constant, le grand séminaire de Co Nhué, immense bâtisse moderne construite en 2006, accueille, en ce début septembre, la messe de rentrée. Plus de 300 jeunes hommes en soutane noire se pressent dans un joyeux brouhaha. Au Nord Vietnam, deux autres grands séminaires, à Bui Chu et Thai Binh, accueillent, eux aussi, respectivement 174 et 70 étudiants. C’est l’évêque jésuite du diocèse voisin de Bac Ninh, Mgr Cosma Hoang Van Dat, qui donne la leçon inaugurale. Cet ancien étudiant du Centre Sèvres, à Paris, propose une méditation sur la porte étroite. Mais c’est plutôt un vaste portail qu’ont franchi ces jeunes gens. Issus de familles nombreuses catholiques, ils ont choisi cette voie, portés par leurs familles, leurs paroisses et leurs prêtres. Derrière la houle vigoureuse des chants, entonnés à tue-tête, comme dans toutes les célébrations vietnamiennes, transparaît la tranquillité d’une vie sereinement choisie.
Saïgon : 1 000 prêtres, 300 séminaristes, 7 000 religieuses
Ainsi Joseph Nguyen Van Tanh, 26 ans : « Quand j’étais lycéen, mon curé m’a posé la question de la vocation. J’ai dit oui. Ma famille me soutient pleinement. Pour moi, être prêtre, c’est obéir aux ordres de l’évêque ! » Son voisin, Joseph Luong Vanh Huan, a 29 ans. Il était étudiant en agronomie, ancien enfant de chœur : « J’aime bien la vie consacrée, sa sincérité. Je veux vivre l’amour pour le Christ. » Aucun d’entre eux n’a rencontré le moindre problème avec les autorités. « Cette génération n’a pas connu les difficultés et les persécutions vécues par leurs prédécesseurs », constate leur professeur de philosophie, le P. Joseph An Vu Cong. À l’opposé du sort vécu par le recteur du séminaire depuis 2006, Mgr Laurent Chu Van Ninh, âgé bientôt de 75 ans, évêque auxiliaire d’Hanoï : il a dû attendre trente années l’autorisation d’entrer au séminaire…
Le clergé vietnamien, s’il est aujourd’hui prospère, souffre ainsi d’un « trou de génération » : entre 1954 et les années 2000, c’est au compte-gouttes que les autorités communistes, après avoir fermé les séminaires et confisqué les bâtiments, délivraient les autorisations de formation et d’ordination. Plus rien de tel depuis une dizaine d’années. Pourtant, les recteurs de séminaire sont bien conscients des limites de cette période féconde. Mgr Laurent Vaan Ninh le reconnaît : « Quand la vie est facile, il y a moins de vocations. » Son homologue de Ho-Chi-Minh-Ville (1 000 prêtres, 300 séminaristes, 7 000 religieuses), le P. Joseph Trac, constate : « Les familles catholiques font moins d’enfants. Nous aurons donc moins de vocations. » À ses côtés, le P. Nguyen Thanh Sang, enseignant en théologie morale, désigne la mégapole riche et survoltée qui entoure le havre de paix du séminaire : « Avec l’argent roi, les meilleurs peuvent devenir très riches. Autrefois, ils entraient au séminaire. Aujourd’hui, c’est moins évident. »
« Pourquoi sommes-nous catholiques ? »
À une heure d’autoroute de Ho Chi Minh Ville, le grand séminaire de Xuan Loc dresse ses imposants bâtiments au cœur du delta du Mékong, où ont afflué, après 1954, des centaines de milliers de catholiques fuyant le communisme au Nord. Plus de 400 séminaristes y préparent leur ordination. Mais Mgr Joseph Dinh Duc Dao, qui fut recteur de ce séminaire avant d’être évêque, se veut lucide : « Nos vocations viennent des familles du Nord. Mais notre diocèse rural devient urbain. Le vent de la sécularisation, de l’attrait des richesses, souffle ici comme ailleurs. » Pour l’instant, se rassure-t-il, « paroisses et familles sont les deux réalités vitales de la foi. » Pour combien de temps encore ? Les évêques vietnamiens ne se voilent pas la face. D’où l’ambitieux projet du tout nouvel Institut catholique du Vietnam, né il y a trois ans à Hô Chi Minh ville, dont l’évêque de Xuan Loc est aussi le recteur. Tout juste autorisé par le pouvoir communiste, jusque-là plus que réticent à toute incursion de l’Église dans le domaine de l’enseignement, a fortiori supérieur, il veut répondre à une nécessité vitale pour l’avenir de l’Église, pointée par Mgr Dinh Duc Dao : « Après les guerres, le communisme, le temps est venu de développer ce que nous n’avons pas développé auparavant. Car tous les pays sont exposés à tous les courants d’idées : nous devons encourager nos prêtres, nos fidèles, à réfléchir plus. La tradition seule n’est pas suffisante. Nous devons entrer en dialogue avec les mouvements culturels, avec les institutions culturelles contemporaines, nous consacrer à la recherche. Les acteurs de la pastorale n’ont pas le temps pour cela. La vie a changé, notre ‘foi pastorale’ doit également changer. Nous devons pouvoir nous interroger : pourquoi sommes-nous catholiques ? »
Cette question, les prêtres vietnamiens ne se la posent pas encore, tant la réponse est aujourd’hui évidente. À 35 km au sud de Hanoï, le P. Joseph Dao Ba Thuyet est responsable de la paroisse de Hoang Nguyen. Dans ce delta du Fleuve Rouge où le P. Théophane Vénard, l’une des figures de proue des Saints Martyrs du Vietnam où a vécu, été arrêté puis exécuté, le curé quadragénaire affiche sa fierté d’être « un héritier de Théophane Vénard, qui a laissé ici une paroisse pleine de vertus ». Dans cette plaine rizicole où les clochers piquent l’horizon des rizières, il a terminé en 2012 la construction d’une nouvelle église. Sobre, celle-ci n’a coûté que 650 000 dollars : « Les fidèles ont donné beaucoup d’heures de travail gratuit ! » se réjouit le curé. Et ils ont également été généreux. Sa paroisse compte 5 300 baptisés « pratiquants à 95 % » sourit-il. Responsable de la Caritas du secteur, il entretient de bonnes relations avec les autorités, qui ont facilité la création d’une maison d’accueil pour une trentaine de personnes handicapées. Elle est animée par des Filles de la charité. « Un curé, au Vietnam, n’est jamais seul, conclut l’un de ses confrères et voisin. Il est toujours entouré d’équipes pastorales actives, de religieuses, de séminaristes. Il y a un très grand respect pour notre personne », explique-t-il.
6 000 Amantes de la Croix
De fait, sans les religieuses, l’Église du Vietnam ne serait pas ce qu’elle est. Face à l’archevêché de Hanoï, une école maternelle pimpante accueille chaque matin deux cents enfants de 2 à 5 ans. Ces établissements, animés par des religieuses, ici les Amantes de la Croix, sont nombreux à travers le pays. Pour cette tranche d’âge, les autorités ne disposent pas d’un réseau suffisant pour répondre à la demande. Elles laissent donc l’Église développer son savoir-faire. Sœur Thérèse Vu Thi Dinh, membre du Conseil de la Congrégation, est la supérieure de cette communauté, l’une des quarante présentes dans le diocèse de Hanoï, regroupant 600 religieuses, dont 200 novices. Les Amantes de la Croix ont été fondées en 1670 par Mgr Lambert de La Motte, l’un des fondateurs des Missions Etrangères de Paris. Aujourd’hui, elles sont 6 000 dans tout le Vietnam, jeunes pour la plupart, à l’œuvre dans le service aux plus pauvres, les écoles maternelles, les dispensaires, auprès des minorités ethniques, le soin aux malades, la catéchèse.
En un mot, Sœur Thérèse résume : « Nous faisons tout ce que les évêques et les prêtres demandent. » Pour son établissement, la demande est si forte que les sœurs ont mis en œuvre un vaste programme immobilier de rénovation. « Le gouvernement ne nous pose plus de problème », constate Sr Thérèse. « Les difficultés viennent plutôt de la société. » Pourtant, même si celle-ci est gagnée par le culte de l’argent facile, elle reste, à ce jour, fondée sur les valeurs traditionnelles de l’univers confucéen : le respect dû aux aînés, aux ancêtres, à la famille. Ainsi, Joseph, jeune cadre à Saïgon et catholique pratiquant, veille-t-il, chaque année, à célébrer comme il se doit l’anniversaire de ses aïeux décédés. Avec l’autel des ancêtres, qui figure en bonne place à son domicile, il marque ainsi son appartenance à une harmonie universelle dans laquelle le christianisme, fondé sur la filiation, incarnée et spirituelle, trouve subtilement sa place.
(EDA / Frédéric Mounier)
CRÉDITS
Jean-Marie Dufour