Eglises d'Asie

Les évêques philippins appellent à la prière et s’inquiètent de la nouvelle loi antiterroriste

Publié le 28/07/2020




Le 16 juillet, jour de la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, la Conférence épiscopale philippine a signé une lettre pastorale en réagissant vivement à une nouvelle loi antiterroriste, jugée anticonstitutionnelle. Outre les évêques philippins, de nombreux opposants ont manifesté leurs inquiétudes concernant la nouvelle loi controversée, notamment les associations d’avocats, les universités, le secteur des affaires, les syndicats, les organisations de jeunesse, les communautés religieuses et les ONG. La lettre pastorale, signée par Mgr Pablo Virgilio David, évêque de Kalookan, président par intérim de la Conférence épiscopale des Philippines (CBCP), appelle les fidèles philippins à prier pour le pays, qui continue de lutter contre la pandémie et ses conséquences économiques dans un contexte politique agité. Extraits.

Dans leur lettre pastorale, publiée le 16 juillet, les évêques philippins appellent à la prière suite à la promulgation d’une nouvelle loi antiterroriste.

Il y a quelques jours, nous avons reçu une lettre de Son Éminence, le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun en Birmanie et président de la Fédération des conférences épiscopales asiatiques (FABC). Il s’agissait d’une demande urgente de prières pour Hong-Kong suite à la signature d’une nouvelle loi sur la sécurité nationale.  Dans sa lettre, le cardinal Bo expliquait comment cette nouvelle loi constitue une menace envers les libertés fondamentales et les droits de l’homme à Hong-Kong, et comment elle risque de porter atteinte, en particulier, à la liberté d’expression. En apparence, le gouvernement chinois assure aux habitants de Hong-Kong qu’ils n’ont rien à craindre, tant qu’ils « ne s’impliquent dans aucune activité qui menace la sécurité nationale ». Pourquoi cette situation nous semble-t-elle étrangement familière à nous, Philippins ? Parce que nous nous trouvons dans une situation analogue. C’est pourquoi, en assurant le cardinal Bo de notre soutien et de notre prière pour le peuple de Hong-Kong, nous lui avons également demandé de prier pour les Philippines. Nous lui avons expliqué pourquoi nous avons autant besoin de prières que la population hongkongaise. Comme eux, nous sommes également inquiets face à la promulgation récente de la loi antiterroriste de 2020.

Nous sommes toujours incrédules quant à la manière dont le projet controversé de loi antiterroriste a été approuvé, de manière accélérée, par les deux chambres du Congrès alors que l’attention de tout le pays était concentrée sur la pandémie de Covid-19. Les autorités ne semblaient même pas se soucier du nombre des opposants à cette loi – les associations d’avocats, les universités, le secteur des affaires, les syndicats, les organisations de jeunesse, les ONG, les mouvements politiques, les communautés religieuses et même le gouvernement de la région autonome de Bangsamoro. Les opposants à cette loi ont été ignorés. Aucune des graves préoccupations exprimées n’ont eu d’impact sur les législateurs. Les pressions politiques semblaient peser plus lourdement que les voix du peuple. Cela n’a fait que rendre d’autant plus visible la confusion de notre gouvernement entre les pouvoirs législatifs et exécutifs.

« Il y a encore de nombreuses personnes de bonne volonté »

Les experts juridiques et les constitutionnalistes de notre pays sont notamment préoccupés par le fait que cette loi comporte de nombreux éléments « oppressifs et incompatibles avec notre Constitution ».  Ils soulignent à quel point cette nouvelle loi constitue une « menace sérieuse pour les libertés fondamentales de tous les Philippins pacifiques ». Nos gouvernants et leurs alliés ont pourtant rejeté ces craintes comme non fondées. Leurs propos ressemblent étrangement à ceux des autorités chinoises en réponse aux habitants de Hong-Kong : « L’activisme n’est pas le terrorisme. Vous n’avez aucune raison d’avoir peur si vous n’êtes pas des terroristes. » Mais n’avons-nous pas entendu parler de personnes actives dans le domaine de la défense sociale qui ont été accusées d’être communistes ? Avons-nous oublié les évêques, les prêtres et les religieux, faussement accusés par la police de crimes de sédition et d’incitation à la rébellion ? Des milliers de personnes ont été tuées lors d’opérations de police sur la base de simples soupçons d’implication dans la criminalité et les drogues illégales. La sénatrice Leila de Lima continue de croupir en prison, également sur la base de simples allégations. Des personnalités des médias sont frappées par de nombreuses accusations criminelles. Nous avons également été paralysés par la fermeture du plus grand réseau de radiodiffusion du pays, l’ABS-CBN, après le refus de renouvellement de sa franchise. Il est évident que ce type d’intimidations entraîne une atmosphère préjudiciable à la liberté d’expression dans notre pays.

Dans ce paysage politique inquiétant, nous trouvons une consolation dans les groupes d’avocats et de citoyens ordinaires qui ont déposé des pétitions devant la Cour suprême, mettant en doute la constitutionnalité de la nouvelle loi. Le plus haut niveau de notre pouvoir judiciaire affirmera-t-il son indépendance ou succombera-t-il lui aussi aux pressions politiques ? Le retour des « détentions sans mandat », possibles grâce à cette nouvelle loi, ne peut que nous rappeler les premières mesures prises en 1972, qui ont finalement conduit à la chute de la démocratie et à la montée du régime dictatorial qui a terrorisé le pays pendant quatorze ans. Nous sommes confortés par la conviction que, dans diverses agences gouvernementales, il y a encore de nombreuses personnes de bonne volonté aux intentions droites, qui gardent leur objectivité et leur indépendance d’esprit. Nous admirons ces fonctionnaires de toutes les branches du gouvernement, qui ne font que ce que leur dicte leur conscience et que les intimidations ou pressions politiques n’empêchent pas d’exercer leurs fonctions prévues par la Constitution. Nous ne pouvons que souhaiter qu’ils soient plus nombreux.

« Nous avons besoin d’être unis »

Permettez-nous de conclure cette lettre en vous invitant à prier avec nous : « Reste auprès de nous, Seigneur notre Dieu, alors que nous continuons de lutter contre les ravages de la pandémie, ainsi qu’aux récents développements politiques qui ont profondément divisé notre pays. Tu sais à quel point nous avons besoin d’être unis pour combattre un ennemi commun invisible, qui a causé beaucoup de souffrances et d’incertitudes, des infections généralisées, un système de santé débordé, des pertes d’emplois, la faim et de lourdes pertes économiques et humaines. Nous prions pour les fonctionnaires, pour notre gouvernement, en particulier pour ceux qui sont toujours motivés par un véritable sens du devoir et de l’amour du pays. Protège-les, Seigneur, et donne-leur le courage de rester du côté de la vérité et de la justice. Puisse la crise provoquée par la pandémie entraîner une conversion et le changement des cœurs de chacun d’entre nous. Qu’elle nous apprenne à dépasser nos loyautés personnelles et politiques et à réorienter tous nos efforts vers le bien commun. Puissions-nous être guidés par ton Esprit pour nous préoccuper avec compassion des pauvres, des défavorisés et des plus vulnérables de notre société. Car nous savons que ce que nous faisons pour les plus petits d’entre nos frères et sœurs, c’est pour toi que nous le faisons. Amen. »

Mgr Pablo Virgilio David, évêque de Kalookan, président par intérim de la CBCP

Le 16 juillet 2020, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel


CRÉDITS

Daniel Perez / Ucanews