Eglises d'Asie

Les jeunes japonais de plus en plus attirés par le travail à l’étranger

Publié le 19/11/2022




D’après les résultats d’une nouvelle étude auprès de 11 000 sociétés, une majorité d’entreprises japonaises font face à une pénurie de main-d’œuvre, en particulier dans des métiers de service comme la restauration. Des emplois précaires souvent occupés par une main-d’œuvre étrangère bon marché comme le Népal ou le Vietnam. La situation est expliquée non seulement par une population vieillissante, mais aussi par des salaires souvent considérés comme trop peu élevés aux yeux des jeunes diplômés japonais.

Selon une enquête récente réalisée auprès de 11 000 entreprises japonaises, près de la moitié d’entre elles font face à une pénurie de main-d’œuvre. La crise de l’emploi n’est pas seulement causée par la population vieillissante, mais aussi par la réticence des employeurs à offrir des salaires plus élevés. En traversant le centre d’une des principales villes du pays, on peut voir des commerces affichant des fermetures pour cause d’incapacité à recruter (jin-in busoku). Il n’est donc pas surprenant que de plus en plus de Japonais s’intéressent à des meilleurs salaires à l’étranger.

« Le salaire minimum pour un emploi à temps partiel dans le secteur des services est seulement de 850 yens [5,86 euros] par heure, tandis qu’un salaire à plein temps ne permet à personne de vraiment économiser », explique Takumi san, 27 ans. Après son diplôme, il a décidé d’émigrer en Australie. « Après un an, j’ai pu économiser plus d’un million de yens [6 892 euros]. Cela n’aurait jamais été possible si j’étais resté. Au Japon, je pouvais à peine économiser 10 000 yens [69 euros] par mois », ajoute-t-il.

Une pénurie de main-d’œuvre difficile à combler

Historiquement, les Japonais envisagent plutôt le travail à l’étranger sous un aspect spécifiquement culturel, appelé kokusaitekina shiya – observer le monde sous une « perspective internationale ». « Aujourd’hui, les Japonais qui viennent en Australie cherchent juste à se faire de l’argent rapidement », assure Takumi. Par conséquent, l’Australie a actuellement un surplus de travailleurs tandis que les entreprises japonaises ont du mal à recruter – presque un tiers des commerces peinent même à trouver des employés à temps partiel.

Le secteur de la restauration, qui est traditionnellement celui qui embauche le plus d’employés saisonniers, est particulièrement affecté. Les jeunes japonais refusent d’exercer ces emplois pour un salaire précaire, et ces postes sont désormais occupés en majorité par des étrangers venus de pays à la main-d’œuvre bon marché (comme le Népal, le Vietnam ou l’Ouzbékistan). Mais la pénurie est malgré tout difficile à combler, car le fait d’entrer dans le marché du travail au Japon reste compliqué pour les étrangers.

Yuki, contacté via les réseaux sociaux, un expatrié de 30 ans qui travaille dans un restaurant de Sushi à Los Angeles, a décidé de quitter le Japon dans l’espoir d’améliorer son niveau de vie. « Mon salaire annuel est de 80 000 dollars US par an, alors qu’au Japon, l’équivalent aurait été moins de la moitié », confie-t-il.

« Je gagnais moins de la moitié de ce que je touche aujourd’hui »

Par ailleurs, un Youtuber japonais populaire, qui a nommé sa chaîne « Un réfugié à l’étranger », a vécu deux ans en Australie puis un an au Nouvelle Zélande avant de s’installer aux États-Unis, où il occupe deux emplois à temps partiel. « Avant, je travaillais comme professeur d’anglais au Japon, et je gagnais moins de la moitié de ce que je touche aujourd’hui », explique-t-il. Il précise qu’il n’a pas l’intention de revenir au pays en présentant quelques statistiques convaincantes.

« Il faut savoir qu’aux États-Unis, il n’y a pratiquement pas d’heures supplémentaires, et le cas échéant, vous êtes payé 1,5 fois du taux horaire de base, et 2 fois le dimanche. Au Japon, vous n’avez droit à cela que si vous restez après 22 heures. » Il ajoute aussi que « l’une des choses qui me donnent envie de rester, c’est aussi l’absence des ‘nomikai’ [soirées arrosées après le travail], alors qu’au Japon c’est pratiquement une activité obligée ». « Et vous ne pouvez pas y couper au risque d’être considéré comme antisocial. Aux États-Unis, cette culture du ‘nomikai’ est littéralement considérée comme du harcèlement », souligne-t-il.

Saori, âgée de 34 ans, qui vit aujourd’hui à Osaka et qui a passé trois ans à New York, reconnaît cependant qu’il n’y a pas que des avantages. « Là-bas, une fois qui vous quittez votre emploi ou que vous être viré, ce qui peut arriver plus souvent qu’au Japon, vous perdez aussi votre couverture santé », explique-t-elle. Mais elle mentionne aussi que l’on peut prendre une semaine de vacances n’importe quand sans que personne ne se plaigne : « Au Japon, il faut négocier avant avec les collègues, et souvent, on finit par ne pas prendre de vacances du tout. Et si vous le faites malgré tout, ce n’est jamais plus de trois jours. »

Enfin, certains émigrés japonais évoquent l’absence du burakku kigyo – des entreprises japonaises imposant des heures excessives à leurs employés. « Au Japon, on vous demande souvent d’arriver 30 minutes avant le début officiel de la journée de travail, et vous devez pratiquement vous dévouer totalement à l’entreprise, à tel point que le travail supplémentaire fait partie intégrante de la vie de travail. Je ne suis revenue que parce que je n’ai pas pu renouveler mon visa de travail, mais si un Japonais commence à découvrir l’expérience du travail à l’étranger, il y a peu de chances qu’il revienne », estime Saori.

(Avec Ucanews)


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