Eglises d'Asie

Les minorités au Cachemire durement touchées par le couvre-feu

Publié le 31/08/2019




Début août, le gouvernement indien retirait l’autonomie du Cachemire et imposait un couvre-feu afin de contrôler d’éventuels débordements. Depuis, la situation n’est toujours pas revenue à la normale et les habitants ne peuvent ni utiliser les transports publics, ni téléphoner, ni accéder à Internet. Face à cette situation, la petite communauté catholique qui compte près de 20 000 fidèles parmi 12,5 millions d’habitants, subit comme toute la population les conséquences de la situation. Certaines familles de fidèles, venues dans la région il y a quelques années pour trouver du travail, sont bloquées par la paralysie de la région et espèrent la levée prochaine du couvre-feu.

Depuis trois semaines, chaque dimanche, Allen Francis n’a qu’une intention de prière en allant à la messe : le retour à la normale au Cachemire, où la répression imposée par le gouvernement indien continue depuis plusieurs semaines. Le chaos continu qui perdure dans l’État indien voisin du Pakistan a rendu Allen, un maçon de 35 ans, sans emploi depuis presque un mois. Il est resté sans travail depuis le 5 août, quand le gouvernement a imposé un couvre-feu afin de contrôler d’éventuelles manifestations, en réaction au changement de loi afin de retirer l’autonomie de la région majoritairement musulmane. Allen, natif de l’État du Bengal occidental, est arrivé au Cachemire il y a deux ans pour chercher du travail. Il explique que depuis le couvre-feu, il n’a pas eu une seule journée de travail. Plusieurs milliers d’autres travailleurs à la journée comme lui s’attendent à vivre une période difficile à cause de la paralysie de la région. « Je vais devoir déménager ailleurs pour trouver du travail », regrette-t-il, craignant comme beaucoup d’autres que la situation actuelle ne dure indéfiniment. « Je suis désolé de voir partout des rues désertes et des gens inquiets », ajoute-t-il. « Ce sont des scènes auxquelles personne ne voudrait jamais assister. » Le père Roy Mathews, curé de la paroisse catholique de la Sainte-Famille à Srinagar, la capitale du Cachemire, confie que la petite communauté chrétienne locale était déjà « économiquement faible et que la situation actuelle ne fait qu’empirer les choses ». La majorité des 12,5 millions d’habitants de l’État indien sont musulmans, et les chrétiens y forment une toute petite minorité avec près de 20 000 fidèles, en majorité catholiques.

Presque un mois de couvre-feu

La plupart de ces derniers sont issus des Dalits (intouchables), et sont en majorité des travailleurs à la journée. Le père Mathews explique qu’il y a déjà moins de monde qui vient à l’église. « Avant, il y avait au moins deux cents personnes tous les dimanches. Mais depuis, il n’y a plus qu’à peine quarante ou cinquante personnes. » Beaucoup de paroissiens ne peuvent plus rejoindre la paroisse depuis l’arrêt des transports publics. Les systèmes de télécommunication ont également été suspendus, ce qui empêche les paroissiens de se parler et de partager des transports privés disponibles. « Les catholiques subissent, comme tout le monde, les conséquences de cette période mouvementée », ajoute le prêtre. Le 27 août, les routes étaient toujours désertes et les lignes fixes et mobiles restaient bloquées, ainsi que l’accès à Internet. Les écoles, les bureaux et les marchés sont également fermés, et plus de 4 000 personnes, dont des personnalités politiques membres de l’opposition, des activistes des droits de l’homme et des séparatistes, ont été détenues par le gouvernement. Comme Allen Francis, Harjinder Gill est lui aussi venu au Cachemire il y a dix ans, depuis l’État du Pendjab, afin de chercher du travail. Ce charpentier de 33 ans vit à Srinagar avec sa femme Mariyam et leurs deux enfants, Michael et Iva. « Ni moi ni ma famille n’avons jamais rencontré aucune discrimination à cause de notre foi », confie Harjinder. « Avant, j’avais beaucoup de travail et mes revenus étaient suffisants pour nous permettre de vivre bien. »

Le gouvernement a publié un communiqué avant le couvre-feu afin de demander à tous les non locaux de quitter le Cachemire, mais pour des familles comme celle de Harjinder Gill, l’entreprise serait bouleversante. « Mes enfants vont à l’école ici. Ils ont grandi ici. Et où irais-je ? » demande-t-il. Il ajoute qu’au Pendjab, il n’a ni maison, ni perspectives d’emploi. Pourtant, craignant pour la sécurité de sa famille, il a quitté la zone musulmane pour venir habiter dans un vieux quartier de la ville considéré comme plus sûr pour les non musulmans. « Avant, je ne craignais pas les gens d’ici, mais que se passerait-il si un groupe anonyme nous attaquait au milieu de la nuit ? Je n’ose même pas l’imaginer. » Plus important, ajoute-t-il, son échec à trouver du travail depuis le début du couvre-feu signifie que ses économies seront épuisées d’ici un ou deux jours. Il ne sait toujours pas comment il va nourrir sa famille si le couvre-feu n’est pas levé. Un autre paroissien, Rajesh Manji, un peintre originaire de l’État de Maharashtra, est inquiet parce qu’il n’arrive pas à contacter sa famille. Ils n’ont pas pu se parler depuis plus de trois semaines et, précise-t-il, « ils ne savent rien de ma situation ». « Ma famille à Mumbai ne sait pas si je suis vivant ou non. La situation pourrait difficilement être pire pour le Cachemire et ses habitants. »

Les racines du problème

L’Inde a accordé une certaine autonomie au Cachemire quand un accord a été conclu avec le roi hindou de l’État princier, alors que ce dernier a rejoint l’Inde après l’indépendance du pays en 1947. Une partie de cette concession interdisait aux Indiens d’acheter des terrains dans la région afin de protéger son identité religieuse et culturelle. Cependant, le Pakistan s’est toujours opposé à la situation et continue de revendiquer l’ensemble de la région majoritairement musulmane. Pour l’État pakistanais, l’Inde britannique a été divisée sur la base de la religion – la majorité hindoue étant devenue l’Inde, et le Pakistan rassemblant la majorité musulmane. Le désaccord a entraîné trois guerres et de nombreuses violences entre les deux parties, qui contrôlent chacune des portions du Cachemire. Un mouvement séparatiste armé, considéré par les musulmans extrémistes comme un combat pour la liberté, a été lancé il y a trente ans pour tenter de libérer la région du contrôle indien. L’Inde accuse le Pakistan de soutenir les insurgés et les séparatistes, ce que le Pakistan a toujours nié. En retirant l’autonomie du Cachemire, le gouvernement affirme avoir réintégré la région en Inde. Mais les musulmans cachemiris considèrent qu’il ne s’agit que d’une manœuvre destinée à lever l’interdiction d’achat de propriétés par les non Cachemiris, ce qui permettrait aux hindous de bouleverser l’identité majoritairement musulmane de la région. De leur côté, les habitants comme Allen Francis ne peuvent que prier alors que le gouvernement ne montre aucun signe de levée du couvre-feu.

(Avec Ucanews, Srinagar)


CRÉDITS

Umer Asif / Ucanews