Eglises d'Asie – Philippines
Les missionnaires ruraux auprès des pauvres de Mindanao malgré les menaces
Publié le 09/04/2019
Dans un refuge provisoire, une mère impuissante regarde son enfant affamé traîner vers une casserole vide. C’est une scène que Muy (nom d’emprunt) a vue de nombreuses fois dans le cadre de son travail. C’est ce genre de situations qui a poussé ce jeune infirmier du nord des Philippines à partir travailler comme missionnaire laïque, dans les zones en conflit du sud du pays. « Je veux servir Dieu et l’Église depuis toujours », confie Muy, qui a demandé à rester anonyme, parce qu’il a reçu des menaces physiques ces dernières semaines. En avril 2018, il a quitté son travail en ville pour rejoindre les Missionnaires ruraux des Philippines (RMP), une organisation catholique qui vient en aide aux agriculteurs et aux communautés indigènes en difficulté. Les visites du jeune philippin dans les villages où travaillent les missionnaires l’ont aidé à mieux saisir toute la valeur du service auprès des pauvres. « Si nous ne tendons pas la main à ceux qui sont dans le besoin, ou si nous n’aidons pas ceux dont les voix ne sont pas entendues, nous ne faisons pas ce que le Christ nous demande », poursuit-il. Il est arrivé plusieurs fois que Muy soit amené partager les tentes de fortune des communautés indigènes déplacées, en dormant sur le même sol de béton froid et en mangeant les mêmes maigres rations.
Muy est bien conscient des dangers qu’il encoure en faisant ce travail, surtout quand la plupart des lieux qu’il visite sont censés être des zones de conflits. Il sait qu’il peut se retrouver un jour au milieu des combats, ce qui est déjà arrivé avec plusieurs des communautés qu’il a rencontrées. « Mais si vous êtes accusé de défendre l’un des deux camps opposés, c’est une autre histoire », ajoute-t-il. Le 11 février, il a reçu un message d’un numéro inconnu lui demandant de « ne pas se mêler » du conflit, ajoutant qu’il n’aurait « pas dû venir à Mindanao ». Sœur Emma Cupin, coordinatrice régionale de l’organisation, confie que beaucoup de membres du personnel de RMP ont été victimes d’intimidations et de harcèlement. La religieuse explique que le travail de l’Église auprès des fermiers et des indigènes « pour défendre les droits de l’homme et la dignité humaine » a provoqué la colère de plusieurs secteurs de la société. Sœur Cupin, de la congrégation des Sœurs missionnaires de Marie, ajoute pourtant qu’ils continueront à servir les pauvres « malgré les menaces de ceux qui se sentent menacés par les voix des oppressés ». Ces derniers mois, les Missionnaires ruraux des Philippines, ainsi que d’autres groupes d’Église, ont été accusés de défendre les rebelles et la guérilla communistes.
« Nous continuerons à servir malgré les menaces »
En février, des brochures ont été distribuées dans la ville de Cagayan de Oro, dans le centre du pays, désignant 19 personnes comme « membres terroristes de la Nouvelle armée populaire et du Parti communiste des Philippines ». Parmi eux se trouvait Mgr Felixberto Calang, évêque de l’Église indépendante des Philippines – une Église autochtone catholique qui ne reconnaît pas l’autorité du pape. Ce dernier a accusé les autorités militaires de « continuer les intimidations afin d’entraver le travail des organisations religieuses et des défenseurs des droits de l’homme ». Les militaires ont nié cette affirmation, en ajoutant que l’armée « ne se mêle pas de ce genre de propagande ». Le lieutenant-colonel Ezra Balagtey, porte-parole militaire du commandement oriental de Mindanao, confie que certains groupes « cherchent à diffamer l’armée philippine » et à « créer le chaos ». Sœur Elenita Belardo, coordinatrice nationale des Missionnaires ruraux des Philippines, s’inquiète de cette étiquette « rouge » collée à l’organisation. « Cela peut être une façon de justifier les attaques contre les prêtres, les religieuses ou les travailleurs laïcs qui vivent leur engagement chrétien auprès des communautés rurales », estime la religieuse, qui y voit une stratégie diffamante contre son organisation.
Le 21 février, le Conseil de sécurité nationale des Philippines a remis des documents aux Nations Unies, signalant des accusations d’atrocités commises par la guérilla communiste dans le sud des Philippines. La plainte du conseil de sécurité mentionnait plusieurs groupes désignés comme des soutiens des communistes, dont l’ONG Karapatan, la Fondation Ibon et les Missionnaires ruraux des Philippines. Le 13 mars, Manille a envoyé une requête officielle à l’Union européenne et au gouvernement belge, leur demandant de suspendre les dons destinés aux groupes concernés. Le gouvernement a accusé les missionnaires de « radicaliser les enfants » dans les communautés rurales. Les missionnaires ont réagi en déposant une réclamation auprès de la Commission des droits de l’homme. « Ces accusations nous attristent et nous indignent », commente sœur Belardo. « En tant que missionnaires ruraux, notre foi nous pousse à aider autant que nous le pouvons, et pourtant nous continuons d’être harcelés, calomniés et rabaissés », poursuit-elle. « Dieu nous a appelés à cette mission. Quand nous avons répondu à son appel, nous savions que notre mission serait difficile, voire dangereuse », ajoute-t-elle. « Mais nous relèverons le défi et nous porterons du fruit, en continuant notre travail missionnaire. »
(Avec Ucanews)
CRÉDITS
Mark Saludes / Ucanews