Eglises d'Asie – Inde
Les musulmans inquiets face à « l’hindouisation » des villes indiennes
Publié le 24/11/2018
Le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti pro-hindou au pouvoir, s’est embarqué dans une série de changements de noms à connotation musulmane dans une démarche « d’hindouisation » de nombreux lieux célèbres dans le pays, afin d’apaiser la majorité hindoue. Une politique lancée dans la lignée de l’idéologie nationaliste hindoue du parti. Le gouvernement BJP de l’État de l’Uttar Pradesh, le plus peuplé du pays, a ainsi renommé la ville d’Allahabad le 24 octobre pour adopter le nom de Prayagraj. La nouvelle appellation est liée à l’ancien nom de la ville, Prayag, qui veut dire « lieu de sacrifice ». Le mot hindi « raj » désigne quant à lui un roi ou un régime. La ville, qui se trouve sur les bords du Gange, l’une des rivières les plus sacrées de l’hindouisme, avait adopté son ancien nom sous l’empereur moghol Akbar, au XVIIe siècle. Le gouvernement a également changé le nom de la gare de la ville, Mughalseerai, qui veut dire « auberge moghole », pour adopter celui de « Pandit Deendayal Upadhaya Station », le nom du cofondateur du BJP. Dinesh Sharma, vice-ministre en chef de l’Uttar Pradesh, a confié aux médias le 15 novembre que le gouvernement songeait également à changer le nom de l’université Allahabad pour celui d’université Prayagraj. « Depuis que le nom d’Allahabad a été changé pour celui de Prayagraj, il est logique qu’il y ait d’autres demandes de renommer les autres institutions dans le district », explique Dinesh Sharma. Nous prendrons une décision à ce propos après réflexion.
Le 13 novembre, la ville de Faizabad, également dans l’Uttar Pradesh, a été renommée « Ayodhya » – du nom de l’ancienne ville où serait né le dieu hindou Rama. Ayodhya est également le nom d’une petite ville de l’État où des groupes hindous ont demandé la construction d’un temple en hommage à Rama, après avoir détruit une mosquée en 1992. Les hindous affirment que le leader moghol Baber avait construit la mosquée au XVIe siècle après avoir détruit un temple à Rama qui s’y trouvait auparavant. Le nom de Faizabad vient du dirigeant musulman Sadat Ali Khan, qui a été nommé gouverneur régional par les Moghols au XVIIe siècle. Aujourd’hui, les dirigeants du BJP demandent que d’autres noms de villes comme Muzzafarnagar ou Agra, qui ont de fortes connotations musulmanes, soient changés. Ils veulent ainsi renommer Agra « Harigarh », qui veut dire « le lieu d’Hari », Hari étant un autre nom du dieu hindou Vishnou.
Une stratégie du BJP pour détourner l’attention
Cette nouvelle politique d’hindouisation de lieux célèbres dans le pays prend directement sa source du cabinet de l’État, dirigé par Yogi Adityanath, le ministre en chef de l’Uttar Pradesh, un moine hindou engagé en politique. Considéré comme le nouveau visage du BJP en Inde, il est également prêtre en chef au célèbre temple Gorakhnath (Shiva) de Gorakhpur. Yogi Adityanath est connu pour ses positions extrémistes. En 2005, il a été accusé d’être un membre actif du mouvement de reconversion de « Ghar Wapsi », où 1 800 chrétiens auraient été convertis à l’hindouisme dans la ville d’Etah, en Uttar Pradesh. Il est également connu pour ses discours enflammés, et il a été entendu plusieurs fois en train d’appeler les jeunes hindous à se venger de « l’offense des musulmans » qui se marient avec des femmes hindoues. Mais les militants pour les Droits de l’Homme ont réagi en affirmant que si cette politique d’hindouisation continue, cela risque de semer le chaos à travers le pays.
Les opposants au BJP tels que le leader chrétien A. C. Michael ajoutent que cette tendance est dans la ligne de l’idéologie du parti qui veut faire de l’Inde une nation hindoue, où toutes les autres religions seraient reléguées au second rang. « Ce qui est regrettable, c’est que cette hindouisation est fondée sur la haine. Elle est destinée à frapper délibérément les fidèles d’une religion pour apaiser les hindous », souligne Michael. « Le gouvernement, au lieu d’agir comme le champion d’un groupe religieux, doit se comporter de façon neutre en prenant soin de tous, quelles que soient leurs croyances et leur foi », ajoute-t-il. Khalid Ahmad, qui étudie l’histoire médiévale à l’université islamique du nord de l’État de Jammu et Cachemire, confie que plusieurs rapports indiquent que le gouvernement fédéral BJP prévoit d’autoriser le changement des noms de 25 villes à travers le pays, qui ont de fortes connotations musulmanes, d’ici les élections nationales de 2019. « Il y a de fortes chances que le gouvernement renomme la ville d’Hyderabad, dans le Sud, pour adopter le nom de Bhagyanagar ; ainsi que le nom de Karnavati pour la ville d’Ahmadabad. Tout ceci est fait pour apaiser la majorité hindoue et pour affaiblir la minorité musulmane », poursuit Khalid. Ishika Gupta, une blogueuse qui écrit principalement sur l’histoire, estime qu’« une part non négligeable de l’argent des impôts et gâchée pour ces changements de noms. »
Pour Sameer Yasin, un militant basé à New Delhi, c’est juste une autre stratégie politique destinée à détourner l’attention du public des autres questions économiques, sociales et politiques. « Les élections nationales auront lieu dans seulement cinq mois, et plutôt que de parler de développement et d’économie, nous nous consacrons sur les changements des noms des villes. Ce n’est qu’une méthode du gouvernement pour détourner l’attention des véritables problèmes », souligne Sameer. La moitié de la population indienne – 1,2 milliard d’habitants – est âgée de moins de 25 ans, et les deux tiers de la population ont moins de 35 ans ; et beaucoup d’entre eux ont du mal à trouver du travail. Une étude récente de l’Organisation internationale du travail de l’ONU indique que 399 millions d’Indiens, sur une classe ouvrière de près de 535 millions d’Indiens, ne devraient parvenir à trouver, en 2019, que des petits boulots ou des emplois précaires. « Le gouvernement cherche à éviter ces sujets ; il a trouvé une voie de repli dans cette nouvelle politique d’apaisement », poursuit Sameer. La population indienne compte près de 80 % d’hindous, 14 % de musulmans et 2,3 % de chrétiens.
(Avec Ucanews, New Delhi)
CRÉDITS
Photo Ians