Eglises d'Asie

Les parlementaires de l’Asean contre les persécutions religieuses en Asie du Sud-Est

Publié le 13/06/2019




Le 3 juin à Bangkok, les membres du groupement des parlementaires de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) pour les droits de l’homme (APHR) se sont rassemblés pour lancer une initiative contre les discriminations visant les minorités dans la région. Pour de nombreux experts comme Jaclyn Neo, professeur de droit à l’Université nationale de Singapour, le principal défi face aux persécutions religieuses dans la région vient de la grande diversité politique, démographique, économique et religieuse du sud-est asiatique, et du manque de consensus sur la liberté religieuse dans les pays de l’Asean.

Selon Marzuki Darusman, avocat indonésien et président de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits en Birmanie (une mission d’experts des Nations Unies chargée d’examiner les accusations de violations des droits de l’homme), les efforts des législateurs de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) contre les discriminations religieuses peuvent contribuer à prévenir des atrocités similaires à celles qui ont provoqué la fuite de centaines de milliers de musulmans Rohingyas de Birmanie. Le 3 juin à Bangkok, Marzuki Darusman s’est adressé aux membres du groupement des parlementaires de l’Asean pour les droits de l’homme (APHR), en insistant sur la question des persécutions religieuses, affirmant que non contrôlées, celles-ci ne peuvent que conduire à une escalade de la violence. Dans une déclaration commune, les parlementaires des pays membres de l’Asean ont constaté une augmentation des discriminations contre les minorités, notamment via le cyber-harcèlement et les incitations à la haine et à la violence en ligne. C’est cette dégradation de la situation qui a incité l’APHR à s’engager à protéger la liberté de religion. « Il est essentiel de relancer l’appel à la liberté de religion, mais dans cette région, la religion est de plus en plus exploitée à des fins politiques », a déclaré Kyaw Win, musulman birman et fondateur du Réseau birman des droits de l’homme (BHRN). Ainsi, l’Indonésie a été le théâtre des accusations de blasphème et de l’emprisonnement de l’ancien gouverneur de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama dit « Ahok », un chrétien d’origine chinoise. En août 2018, une bouddhiste de la province de Sumatra du Nord a également été arrêtée après avoir porté plainte contre le niveau sonore excessif des haut-parleurs de la mosquée voisine. Le président indonésien Joko Widodo a également choisi comme futur vice-président, durant sa campagne électorale avant sa dernière réélection, un théologien musulman qui avait contribué à l’arrestation de l’ancien gouverneur Ahok – une décision vue comme une façon de contester les voix affirmant qu’il n’était pas assez engagé en faveur de l’islam.

Le défi de la diversité en Asie du Sud-Est

Ces dernières années, des militants catholiques ont également été malmenés par la police vietnamienne après avoir protesté contre le gouvernement communiste, dans le cadre d’une catastrophe naturelle. À Brunei, les autorités ont étendu les lois de la charia et appelé les citoyens à ne pas célébrer publiquement les fêtes de Noël ou du Nouvel An chinois. Par ailleurs, en Malaisie, les tribunaux n’ont pas toujours protégé le droit des citoyens à se convertir de l’islam à une autre confession, contrairement à ce qu’affirme la Constitution malaisienne. La Birmanie a également introduit des restrictions aux conversions suite à des accusations affirmant que des musulmans essaient d’islamiser le pays via de nombreux mariages avec des femmes bouddhistes. Même aux Philippines, où les catholiques sont pourtant largement majoritaires, le président Rodrigo Duterte s’en est pris à l’Église catholique à de nombreuses reprises. Benedict Rogers, journaliste et militant aux côtés de l’ONG Christian Solidarity Worldwide, une organisation militant pour la liberté religieuse, estime que les efforts de l’APHR peuvent avoir un impact positif. « Le fait que ces initiatives soient lancées par des parlementaires provenant de cette région leur donne une chance d’avoir un impact positif, même si cela doit être une approche à long terme », affirme-t-il, bien que le défi soit conséquent étant donné la diversité politique, constitutionnelle et religieuse du sud-est asiatique. Le Vietnam et le Laos sont des États communistes au parti unique, tandis que l’Indonésie et les Philippines sont des démocraties aux populations majoritairement musulmanes et catholiques. La Thaïlande, le Cambodge et la Birmanie sont des pays divisés entre démocratie et régime autoritaire. Ainsi, les défis qui se dressent pour la démocratie dans la région – comme le coup d’État de 2014 en Thaïlande et la destruction de l’opposition par le gouvernement cambodgien lors des dernières élections nationales – représentent d’autres menaces pour la liberté de religion dans la région, affirme Benedict Rogers. Par ailleurs, bien que la croissance économique soit élevée dans la plus grande partie de l’Asie du Sud-Est, les différences de richesses sont considérables. Singapour et Brunei font partie des plus riches en Asie, la Malaisie et la Thaïlande sont plutôt dans la moyenne, mais le Cambodge, le Laos et la Birmanie font partie des pays les plus pauvres au monde. En Indonésie et en Malaisie, le succès commercial des minorités chinoises bouddhistes ou chrétiennes a provoqué le ressentiment de la majorité musulmane, entraînant des violences parfois meurtrières.

Initiatives communes et amitiés interreligieuses

Pour Jaclyn Neo, professeur associé de droit à l’Université nationale de Singapour, c’est l’étendue de la diversité politique, démographique et économique de la région qui pose le défi le plus grand. Trois ans après l’établissement d’une commission intergouvernementale des droits de l’homme relativement fragile, l’Asean a introduit une déclaration des droits de l’homme en 2012. Mais la liberté religieuse n’est soutenue que par des documents comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966 par l’Onu mais signé par seulement six pays d’Asie du Sud-Est, et qui contient des allusions qui semblent placer les droits individuels en dessous des droits de l’État ou de la communauté, privilégiant ainsi les croyances de la majorité. « Selon moi, le défi principal est le manque d’un véritable consensus sur ce que veut dire la liberté religieuse dans la région », estime Jaclyn Neo. « Par exemple, la liberté de choisir sa religion n’est pas acceptée clairement par tous les pays de l’Asean. » Ce manque de position commune est une autre raison qui fait que les parlementaires membres de l’APHR ne s’attendent pas à ce que les gouvernements de la région changent de position du jour au lendemain. « Ce serait absurde de s’attendre à un succès immédiat », ajoute Henier Bielefeldt, expert sur les droits de l’homme et théologien à l’université allemande d’Erlangen-Nürnberg, et ancien rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de religion. Mais des réformes futures sont possibles, affirme-t-il, estimant que les pays de la région « s’éloignent de leur approche traditionnelle de non-interférence [dans les affaires intérieures de leurs voisins] ». De fait, Henier Bielefeldt rappelle que la Malaisie et l’Indonésie n’ont pas hésité à critiquer la Birmanie concernant le traitement subi par les musulmans Rohingyas. Ces derniers temps, des amitiés interreligieuses se sont développées, même dans les pays où la situation religieuse est particulièrement tendue, à l’exemple des catholiques philippins qui ont fêté la rupture du jeûne du ramadan avec la communauté musulmane, ou des religieuses indonésiennes qui ont préparé des repas pour les soldats musulmans protégeant les églises durant l’Aïd al-Fitr. En Birmanie, Kyaw Win rappelle que, même si des bouddhistes extrémistes ont essayé de fermer des lieux de culte temporaires musulmans durant le ramadan, « il y a eu une belle réaction de la part de jeunes bouddhistes qui ont voulu soutenir la minorité musulmane en leur offrant des roses blanches ».

(Avec Ucanews, Singapour)


CRÉDITS

Rene Lumawag / Ucanews