Eglises d'Asie – Taiwan
Les Taïwanais se prononcent contre le mariage homosexuel
Publié le 26/11/2018
Ce 24 novembre, les Taïwanais étaient invités à se prononcer sur la question d’une légalisation du mariage pour les couples de même sexe. Plusieurs référendums d’initiative populaire ont été formulés par les deux forces en jeu. Les opposants ont combiné trois questions référendaires visant à limiter la définition du mariage à l’union entre un homme et une femme dans le code civil, adapter l’éducation sexuelle enseignée à l’école en fonction de l’âge des enfants, sans inculquer les notions de théorie du genre, d’homosexualité ou d’orientation sexuelle et enfin de légiférer pour un statut à part protégeant les droits des couples de même sexe vivant ensemble de manière permanente. De leur côté les partisans du « mariage pour tous » à Taïwan ont soumis deux questions diamétralement opposées réclamant la mise en place d’un statut marital dans le code civil pour les couples de même sexe et une éducation émotionnelle, sexuelle et homosexuelle traitée à égalité couvrant tous les niveaux d’enseignement de l’éducation nationale en vertu de la loi sur l’éducation à l’égalité de genre. Ces questions ne sont pas nouvelles à Taïwan et plusieurs tentatives de légiférer en faveur du mariage homosexuel ont été menées depuis le début des années 2000, jusque-là sans succès, les projets soulevés ayant été tour à tour rejetés ou ajournés, faute d’un consensus social suffisamment abouti.
Foison de référendums dont trois sur le mariage des couples de même sexe
Les députés du groupe parlementaire New Power Party ont cependant tenté de devancer l’échéance référendaire le mois dernier en proposant un nouveau projet de loi pour autoriser le mariage homosexuel et pousser le gouvernement à se prononcer en faveur d’une loi qu’il promet de rédiger depuis deux ans, sans suite. Un projet qui a été rejeté par les députés de cette même majorité avant même d’être soumis à l’examen parlementaire. Les référendums étaient donc très attendus et débattus, d’autant que l’assouplissement de la loi référendaire en décembre 2017 a permis le foisonnement de nombreux sujets et que pour être validés, la majorité simple suffit sur les suffrages exprimés si la participation atteint le seuil des 25% d’électeurs. Dans les urnes, les Taïwanais ont très massivement rejeté l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, une opposition chiffrée à 67,26% selon les résultats officiels de la commission centrale des élections sachant que dans le même temps, 72,48% des Taïwanais se sont prononcés pour limiter la définition du mariage à l’union entre un homme et une femme. À l’initiative de ce référendum, l’Alliance pour le bonheur de la prochaine génération, qui rassemble notamment des groupes religieux chrétiens et bouddhistes, s’est félicitée du résultat sans appel et a annoncé que son combat continue pour présenter un projet de loi clair suivant les résultats de ces référendums.
Comme le statut de ces référendums d’initiative populaire n’est pas décisionnel, l’enjeu est de taille pour les groupes opposés au mariage homosexuel, qui espèrent une loi spécifique pour l’union des personnes de même sexe sans redéfinir le mariage au plus tôt. En effet, la question de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe avait pris une nouvelle tournure en mai 2017 avec un arrêt de la Cour constitutionnelle, jugeant que la définition du mariage telle que définie par l’article 972 du code civil violait la Constitution (communiqué de presse de la Cour sur l’interprétation N°748 du 24 mai 2017). Saisis par deux recours distincts déposés par un couple homosexuel en 2013 suivi de la municipalité de Taipei en 2015, les Grands juges ont statué en leur faveur tout en donnant deux ans au Parlement pour opérer les changements nécessaires et autoriser l’union des couples de même sexe, laissant libres les députés de la forme adoptée, faute de quoi le mariage pour les couples de même sexe deviendrait automatique à compter du 24 mai 2019.
Vers un statut à part pour protéger les droits des couples homosexuels
En réalité, les Grands juges ont donc laissé le choix d’amender la loi actuelle sur le mariage et l’ouvrir aux couples de même sexe, ou bien proposer une loi à part autorisant les unions civiles aux personnes de même sexe sans pour autant modifier le code civil sur le mariage. Les référendums n’ont pas valeur de loi mais ils obligent dorénavant le gouvernement à agir. La loi référendaire donne un délai de trois mois pour que l’Exécutif formule un projet de loi ou propose des mesures conformes au résultat des référendums qui doivent ensuite être soumises à l’examen parlementaire, les députés ayant jusqu’à la fin de la session parlementaire en cours pour se prononcer. Cela signifie qu’un tel processus peut prendre plusieurs mois et que la mouture du gouvernement peut aussi être amendée et modifiée au Parlement.
C’est en ce sens que, face au risque de voir l’échéance du 24 mai 2019 arriver sans que le gouvernement n’ait adopté de mesures relatives, le porte-parole de l’Alliance pour le bonheur de la prochaine génération, Tseng Hisen-ying, a annoncé l’établissement sans délai d’un groupe ad hoc visant à proposer sans tarder un projet de loi clair respectant les résultats des référendums et à éviter que le délai de la Cour constitutionnelle n’expire sans action du Parlement. Les opposants au mariage pour les couples de même sexe veulent ainsi protéger le statut du mariage dans le code civil et les mentions « mari » et « femme » que l’ouverture au couples homosexuels menacerait de facto. Les communautés chrétiennes saluent le soutien majoritaire à protéger la définition du mariage dans le code civil. Si les Églises protestantes soutenaient la mise en place d’une union civile spécifique pour les couples de même sexe, l’Église catholique s’y opposait arguant le manque de précision de la formulation de la question soumise au référendum avec le risque de voter pour une proposition si vague que cela reviendrait à « signer un chèque en blanc et laisser les législateurs décider de son contenu » comme le soulignait le père Louis Aldrich, professeur de la faculté de théologie à l’Université catholique Fujen, dans un article de l’hebdomadaire Catholic Weekly, ajoutant que la loi sur la famille dans le code civil taïwanais autorise déjà la vie commune des personnes de même sexe et protège de facto leurs droits sans avoir à modifier le statut du mariage ni créer une loi spécifique d’union à leur égard.
Déçus mais pas anéantis, les partisans du « mariage pour tous » souhaitent continuer leur combat pour faire valoir leurs droits et bénéficier des mêmes statuts légaux que les couples hétérosexuels et refusent une loi distincte qu’ils considèrent comme « discriminatoire » et contraire au « combat pour la laïcité et la réforme sociale engagée depuis le début de la démocratisation de Taïwan en 1987 (NDLR : date de la levée de la loi martiale) », pour reprendre les termes de Hsu Hsiu-wen, avocate engagée dans la cause des couples de même sexe. Malgré l’opposition de la majorité des Taïwanais, Hsu Hsiu-wen plaide la jurisprudence et « poursuit son combat devant la Justice afin de permettre aux couples homosexuels de pouvoir d’ores et déjà enregistrer civilement leur mariage en attendant l’adoption d’une véritable loi défendant l’égalité de tous devant le mariage et non une sorte de mariage au rabais ». Notons enfin que ni la question du droit à l’adoption pour les couples de même sexe ni celle de la gestation pour autrui n’ont pas été abordées. Présents mais de manière sous-jacente, les partisans du mariage pour tous ont préféré éviter d’attiser davantage l’opposition dans une société taïwanaise majoritairement traditionnelle. À ce titre, il est difficile de savoir quel sera l’aboutissement législatif exact sur la question de l’union des couples de même sexe.
(EDA / François-Xavier Boulay)