Eglises d'Asie – Inde
L’héritage du père François Laborde, bâtisseur de la Cité de la Joie à Calcutta
Publié le 12/01/2021
« Nous nous attendions à voir partir le père François Laborde, car quelques signes précurseurs nous laissaient pressentir que le moment redouté s’approchait. Depuis quelques mois, sa santé donnait des signes d’alarme et ses forces l’abandonnaient lentement. En juillet, sentant sa fin approcher, il était venu me trouver pour préparer son enterrement et me donner ses dernières volontés », retrace, sur son blog, le père Laurent Bissara (MEP), le successeur âgé de 49 ans. « Son départ pourtant, de manière inattendue, a résonné dans mon cœur comme une note joyeuse, une action de grâce pour cette vie lumineuse donnée aux pauvres. »
Cet engagement auprès des démunis se révèle tôt, alors que François Laborde n’est qu’un enfant. Né à Paris en 1927 dans une famille chrétienne très pieuse, il est marqué, à l’âge de neuf ans, par une visite chez son meilleur ami qui vit dans une grande précarité. Il prend alors conscience de la réalité de la pauvreté. « Depuis ce jour, j’ai compris qu’il fallait aller chez les pauvres pour les comprendre », a-t-il commenté. La vocation religieuse semble alors peu compatible avec son « esprit rebelle et indiscipliné », selon ses propres mots, et ses élans de colères indignées. « Mais peut-être pouvons-nous les appeler de saintes colères, car en elles il a trouvé l’énergie de se battre pour la justice et d’aider les démunis », a souligné le père Laurent Bissara lors de ses obsèques, célébrées le 28 décembre dans l’église Saint-John de Calcutta, en présence de Mgr Thomas D’Souza, archevêque de Calcutta.
« Le père Laborde était aussi un mystique et un contemplatif »
Le père François Laborde va entrevoir, grâce à Dieu, « une troisième voie entre la colère et la résignation ». Il va d’abord s’essayer à un séjour de plusieurs mois au monastère des Chartreux, dans une expérience qui restera fondatrice à ses yeux. « Le père Laborde était aussi un mystique et un contemplatif », rappelle ainsi le père Bissara. Il rejoint ensuite la société du Prado, dédiée au service des plus pauvres. Ordonné prêtre en 1951, et après des études de droit canonique et de théologie à Rome, puis de philosophie à Lyon, il est envoyé en Inde en janvier 1965, à l’âge de 37 ans. Le père Laborde séjourne tout d’abord dans des bidonvilles de Pondichéry et de Bangalore, avant de s’installer dans les quartiers insalubres de Pilkhana, un bidonville de Howrah, à Calcutta.
Grâce au soutien de volontaires très engagés, notamment Gaston Dayanand, Léo et Françoise Jalais, le père Laborde fonde « Seva Sangh Samiti », un comité d’entraide pour les habitants de Pilkhana. C’est le début d’une aventure humaine et spirituelle au cœur de ce bidonville qui deviendra une « Cité de la Joie ». Durant ces années de travail, il croise souvent le chemin de Mère Teresa. « Ils n’avaient pas la même perspective, car le père Laborde voyait avant tout une œuvre pour les laïcs et avec les laïcs », explique le Père Bissara. « Mais ils ont collaboré à plusieurs occasions. » Bientôt, l’action exemplaire du père Laborde lui confère la notoriété. Des personnalités diverses veulent le rencontrer. Ainsi, François Mitterrand lui rend visite et le décrira comme un homme « maigre, à forte mâchoire, des cheveux gris bien peignés, un rire frais, presque enfantin, des lunettes de fer. Il ne se déplace qu’à bicyclette, ou en train. Il sait tout faire, et n’est qu’humilité ».
Succès mondial du roman « La Cité de La joie »
En 1976, le père Laborde décide de quitter Pilkhana, avec la volonté de fuir une célébrité dont il se méfie. Le cardinal Lawrence Trevor Picachy le transfère dans une paroisse du quartier de Howrah, non loin de Pilkhana, au sein de laquelle il va rester durant 17 ans. Là, il tente à nouveau de soutenir les exclus, les malades et les familles aborigènes. Il fonde l’association « Howrah South Point » (HSP), un foyer pour enfants pauvres et handicapés, auquel vont se greffer au fil des ans d’autres projets : dispensaire pour enfants lépreux, centre médical ou clinique pour malades atteints de la tuberculose. Le père Laborde ouvrira également un foyer de réhabilitation dans le district de Jalpaiguri.
Entre-temps, le succès mondial du roman « La Cité de La joie », dont l’un des personnages principaux est inspiré de l’action du prêtre, s’avère complexe à gérer. L’intéressé s’insurge face aux libertés fictionnelles, perçues comme une trahison, que Dominique Lapierre s’est autorisé concernant son personnage. La relation entre l’écrivain et le prêtre va connaître heurts et désaccords. L’image misérabiliste de Calcutta ne sera pas non plus du goût de tous ses habitants.
Durant la dernière partie de sa vie, le père Laborde est nommé dans différentes paroisses du Bengale. Il continue activement sa mission de soutien aux habitants des bidonvilles et des enfants lépreux ostracisés, notamment à Shantinagar, près d’Asansol et à 200 km de Calcutta, où il s’implique fortement et inaugure un centre en 2013. Néanmoins, il garde la mission de « HSP » au cœur de ses préoccupations. Il s’inquiète de l’avenir de son ONG, qui fait alors face à quelques difficultés administratives et financières. En 2018, il presse le père Laurent Bissara, désigné pour lui succéder, de se hâter de quitter le siège des Missions Etrangères de Paris pour le rejoindre en Inde. « Essaye de venir avant que je ne sois mort ! », lui écrit-il, avec humour. À son arrivée, le père Bissara se retrouvera néanmoins relativement livré à lui-même, face à un homme sur le chemin de la retraite. Mais les deux hommes réussiront à se connecter et à se compléter durant le confinement indien, face à l’urgence de distributions alimentaires à organiser.
« Construire sur terre la cité de la Joie, le Royaume de Dieu. »
Présidée aujourd’hui par le père Bissara, l’association HSP compte sept centres d’accueil et neuf foyers pour plus de 500 enfants pauvres et handicapés, à Howrah, Asansol et Jalpaiguri. À cela s’ajoutent des centres de physiothérapie, une dizaine d’écoles, des ateliers d’aide aux jeunes mères et aux personnes âgées, un centre de soins pour enfants tuberculeux et quatre dispensaires itinérants. HSP emploie près de 360 personnes issues de confessions différentes. Pour le père Bissara, si les soucis financiers sont désormais écartés, l’heure est à la restructuration et à la modernisation de l’ONG. « HSP a été fondée à une époque où l’on fonctionnait dans l’urgence ; il faut s’adapter et fournir aujourd’hui une aide plus technique. La pauvreté évolue également et elle est plus difficile à cerner. » Le prêtre travaille notamment à la formation des employés et des responsables. « Mon rôle consiste à garder l’esprit insufflé par le père Laborde et ceux avec lesquels il a travaillé », explique ce religieux chaleureux et investi, qui a même appris à célébrer la messe en Bengali. « HSP est comme une grande famille et je veux veiller à l’unité de cette famille. »
« L’héritage du père François Laborde est une source d’inspiration qui dépasse les frontières de l’Église et qui aide à devenir plus humain », estime le successeur. « Il est impossible de mentionner toutes les personnes qu’il a aidées, ni de rappeler toutes les belles histoires cachées dans le cœur de tant de pauvres, d’handicapés, de démunis ou de personnes marginalisées », a également souligné le père Bissara dans son éloge funèbre. « Tous sont reconnaissants à un homme qui a travaillé sans relâche pour construire sur terre la cité de la Joie, le Royaume de Dieu. »
(EDA / A. R.)
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MEP