Eglises d'Asie

L’inauguration très politisée d’un temple géant dédié à Ram dans la cité antique d’Ayodhya

Publié le 20/01/2024




L’inauguration du 22 janvier reflète la formation d’une Inde nouvelle, de la démocratie libérale à l’indienne à la vision de Mohan Bhagwat, chef du mouvement nationaliste hindou du RSS, pour qui « tous ceux qui sont en Inde aujourd’hui sont liés à la culture hindoue, aux ancêtres hindous et à la terre hindoue ». Pour de nombreux observateurs critiques de ce basculement, cette cérémonie est la consécration de l’hindouisme politique. De leur côté, quatre des principaux chefs spirituels hindous ont décidé de rester à l’écart.

Des visiteurs dans un temple hindou. Le nouveau temple inauguré à Ayodhya représente un symbole par excellence du nationalisme religieux défendu par le BJP.

Aucun des quatre Shankaracharyas, considérés parmi les principaux chefs spirituels de l’hindouisme, ne participera à l’inauguration du nouveau temple dédié à la divinité Ram à Ayodhya, ce lundi 22 janvier dans le nord de l’Inde, qui aura lieu en présence du Premier ministre Narendra Modi. Chacun d’entre eux représente un point cardinal du pays : Puri (à l’Est), Dwarka (Ouest), Badrikashrama (Nord) et Sringeri (Sud).

Ceux-ci sont à la tête des quatre monastères fondés par Adi Shankara (VIIIᵉ siècle), selon la tradition hindoue Advaita Vedanta. Pour eux, comme le temple n’est pas encore achevé, à ce stade, une inauguration serait contraire aux règles. Mais deux d’entre eux ont aussi précisé qu’ils ne sont pas opposés à la présence du Premier ministre.

L’emplacement du nouveau temple d’Ayodhya, considéré comme sacré pour les hindous, les bouddhistes et les jaïns, est également contesté par les musulmans. Le site reste plus controversé que jamais et représente aujourd’hui un symbole par excellence du nationalisme religieux défendu par le parti pro-hindou de Modi, le BJP (Bharatiya Janata Party).

Quatre autorités majeures de l’hindouisme restent à l’écart

Pour les quatre chefs spirituels hindous, la décision de rester à l’écart est basée sur le fait que la cérémonie viole les règles du Sanatana Dharma – un nom alternatif désignant l’hindouisme, utilisé en sanscrit et dans d’autres langues indiennes aux côtés du Dharma hindou, plus courant. Le terme Sanatana Dharma signifie « Dharma éternel » ou « Ordre éternel ».

Avimukteshwaranand Saraswati, le 46e chef du monastère de Jyotish Peeth, dans l’Uttarakhand, a déclaré qu’il ne souhaitait pas participer à la cérémonie puisque le temple est toujours « incomplet » et qu’il ne respecte pas les règles. Il a assuré que cette décision ne veut pas dire qu’il est « anti-Modi » mais qu’il « ne peut pas participer à une cérémonie anti-shastra ». Le terme sanskrit shastra signifie « précepte, règle ou traité ».

Dans une vidéo publiée sur X (ex-Twitter), Avimukteshwaranand Saraswati a noté que la décision des quatre Shankaracharyas n’est pas « anti-Modi » mais qu’elle exprime seulement leur désir de « s’aligner et se conformer aux principes des écritures saintes [shastras] ». « Pour quelle raison nous ne voulons pas y aller ? Ce n’est certainement pas par aversion ou par haine, mais seulement parce que c’est le devoir des Shankaracharyas de suivre les ‘shastra-vidhi’ [rituels shastras] et d’assurer qu’ils sont respectés. Et cette fois-ci, ils sont ignorés », a-t-il expliqué. « Le problème majeur, c’est que la cérémonie [du Prana Prathishta] est organisée alors que le temple est toujours incomplet. Et parce que nous disons cela, nous sommes appelés ‘anti-Modi. Qu’est-ce qu’il y a d’anti-Modi dans une telle déclaration ? » se demande-il.

« Le point culminant de 500 ans de lutte »

De son côté, Swami Nischalananda Saraswati, le Shankaracharya de Govardhana Peeth, à Puri, a également refusé de participer à la consécration (appelée Prana Prathishta) pour la même raison. Il dénonce également le rôle joué par les personnalités politiques dans un tel évènement sacré, et plus généralement, dans les affaires religieuses. Il est convaincu que « le Premier ministre Modi ne devrait pas participer à l’installation physique de l’idole Ram », parce que « la responsabilité de cette consécration est celle des prêtres et des sadhous [des mystiques hindous qui décident volontairement de consacrer leur vie à la religion et la spiritualité], pas celle des responsables politiques ». Selon lui, c’est l’annonce de la présence de tant de personnalités politiques qui l’a poussé à décliner l’invitation.

Par ailleurs, les deux autres Shankaracharyas, ceux de Dwarka et Sringeri, ont affirmé que les informations selon lesquelles ils seraient contre la cérémonie sont des « fake news ». Dans un communiqué publié le 11 janvier, ils ont souligné qu’ils n’ont fait aucune déclaration officielle concernant le temple Ram controversé ; au contraire, ils définissent cette inauguration comme « le point culminant de 500 ans de lutte », et pour cette raison, c’est un évènement qu’ils saluent.

Ayodhya a été au cœur des controverses et des tensions religieuses durant des décennies, en poussant les musulmans à lutter contre les ultranationalistes hindous, jusqu’à la décision de la Cour Suprême en 2019, quand elle a ordonné d’assigner le site contesté aux hindous et de donner un terrain alternatif aux musulmans afin qu’ils puissent reconstruire la mosquée détruite de Babri.

En août 2020, le Premier ministre Modi a posé la première pierre du nouveau temple, qui sera inauguré le 22 janvier sur le lieu réputé de naissance de la divinité Rama. Néanmoins, des partisans de l’idéologie plus extrémiste de l’hindutva se sont eux aussi prononcés contre le projet, entre autres à cause de l’implication d’artistes musulmans et de l’introduction de motifs architecturaux considérés comme trop « islamiques ».

(Avec Asianews et Ucanews)