Eglises d'Asie

L’unité indienne en jeu face à la menace de nationalisme hindou

Publié le 04/04/2019




Près de 900 millions d’électeurs s’apprêtent à voter pour 543 parlementaires, lors des élections générales indiennes qui vont se dérouler du 11 avril au 19 mai en sept étapes. Le parti ayant rassemblé le plus grand nombre de sièges gouvernera le pays durant cinq ans. Le BJP, au pouvoir depuis 2014, se retrouve à nouveau face à son principal adversaire, le parti du Congrès. Mais les critiques accusent le parti BJP d’attiser l’intolérance religieuse afin de gagner davantage d’électeurs hindous. Pour Mgr Theodore Mascarenhas, secrétaire général de la conférence épiscopale indienne, ceux qui ont le pouvoir ne peuvent pas se taire face aux attaques contre les minorités religieuses. Pour deux chercheurs de l’université du Cachemire, l’idée d’une Inde « unie dans la diversité » est en jeu.

Alors que le parti pro hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir vise un second mandat, en tentant d’attirer les votes de la majorité hindoue en amont des élections générales, beaucoup d’observateurs craignent que le pays bascule vers une nation théocratique hindoue. Plusieurs formations politiques dans le pays affirment que les élections, qui vont durer du 11 avril au 19 mai en sept étapes, seront cruciales pour l’avenir du pays. Depuis l’indépendance du pays en 1947, l’Inde s’est forgée une nouvelle identité, en devenant une démocratie laïque. Et pour Alok Verma, de l’État du Jammu et Cachemire dans le nord de l’Inde, « il est particulièrement inquiétant de voir que la campagne électorale se concentre principalement sur la fierté hindoue pour attirer les électeurs ». Durant les élections législatives générales indiennes, 900 millions d’électeurs devront sélectionner 543 parlementaires. Le parti ayant rassemblé le plus grand nombre de sièges gouvernera le pays durant cinq ans. Le BJP, au pouvoir depuis 2014, se retrouve à nouveau face à son principal adversaire, le parti du Congrès. Mais les critiques comme Alok Verma, engagé dans la défense des droits de l’homme, craignent que le parti BJP n’attise l’intolérance religieuse afin de gagner davantage d’électeurs hindous. Ils ajoutent que le bilan du parti montre que le BJP a échoué dans de nombreux domaines, mais que peu de gens parlent de la hausse du chômage, ou de la crise agricole qui a empiré et qui pousse de nombreux agriculteurs au suicide au rythme d’un toutes les trois heures en moyenne. « Malheureusement, ces sujets ne sont pas au cœur de tous les débats », assure Alok Verma.

Le BJP est pourtant arrivé au pouvoir avec la promesse de davantage d’emplois et d’un meilleur avenir pour les populations défavorisées, avec un slogan : « les beaux jours sont devant nous » (« Good days are ahead »). « Mais au bout de cinq ans, tous ceux qui montrent du doigt les promesses non tenues du BJP sont considérés comme ‘antinationaux’ et ‘pro musulmans’. C’est une honte », dénonce Sheetal Nanda, de New Delhi. Elle affirme que les appels à fonder une nation hindoue n’ont jamais été aussi nombreux. « Si le BJP l’emporte à nouveau, le parti risque d’amender la Constitution durant son second mandat, en faisant des non hindous des citoyens de seconde classe », poursuit Sheetal Nanda. D’après Ashutosh Gupta, un journaliste et écrivain basé à New Delhi, le BJP estime que « les hindous ont été dominés par les musulmans et par les chrétiens durant 1 200 ans parce qu’ils étaient alors non violents et compatissants. Ils ont décidé d’adopter des méthodes violentes pour poursuivre leur rêve d’une nation hindoue ».

Idéologie nationaliste hindoue

Les critiques soulignent également que les violences qu’ont rencontrées les chrétiens et les musulmans au cours des cinq dernières années prouvent que certains groupes hindous cherchent à soutenir l’idéologie nationaliste hindoue par tous les moyens. Les chiffres du gouvernement indiquent que les violences interreligieuses ont grimpé de 28 % entre 2014 et 2017, avec près de 3 000 attaques enregistrées au cours de la période, avec 400 personnes tuées et 9 000 blessées. De plus, selon le groupe Hate Crime Watch, 90 % des crimes interreligieux enregistrés au cours de la dernière décennie sont survenus alors que le Premier ministre actuel, Narendra Modi, était au pouvoir. Ces crimes ont également tendance à se faire plus nombreux à l’approche des élections. Saheem Mir, un écrivain et activiste de l’Uttar Pradesh, évoque le cas d’un père musulman et de son fils, qui ont été arrêtés sur la route et attaqués le 17 mars. « On leur a demandé de répéter des slogans en hommage aux dieux hindous, et ils ont été obligés de lancer des insultes contre le Pakistan, majoritairement musulman »¸ explique-t-il. « Ces groupes n’hésitent pas à passer à l’acte parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas inquiétés. » Beaucoup de ces groupes hindous extrémistes considèrent les Indiens musulmans comme des partisans du Pakistan. D’autres voient les appels au dialogue avec le pays voisin comme une trahison. Selon deux chercheurs de l’université du Cachemire, spécialisés en sciences politiques et auteurs d’un article récent sur la situation actuelle, l’Inde risque de ne plus être un État laïc si le BJP reste au pouvoir.

« Si cette menace n’est pas contrôlée à plusieurs niveaux, l’idée de l’unité dans la diversité disparaîtra », affirment les chercheurs, Anayat Ul Lah Mugloo et Manzoor Ahmad Padder. « Si cette tendance n’est pas enrayée, l’Inde risque de vivre ce que Joseph Schumpeter appelait la ‘destruction créative’, quand des traditions multiséculaires sont détruites par l’essor de nouvelles idéologies. Sauf qu’il n’y aura rien de créatif dans cette destruction », expliquent-ils. Mgr Theodore Mascarenhas, secrétaire général de la conférence épiscopale indienne, demande de son côté que les gens votent pour les candidats et pour les partis qui respectent la Constitution, qui traitent tous les citoyens comme égaux et qui protègent les minorités. « Les différentes communautés ne peuvent pas vivre dans la haine mutuelle. Le danger de semer ainsi la haine, c’est qu’une fois qu’elle est là, elle ne fait que s’enflammer et devient incontrôlable. C’est pourquoi il est tellement important que ceux qui nous gouvernent ne doivent pas rester silencieux quand surviennent de tels actes », soutient-il. Selon le recensement de 2011, 80 % de la population, soit 960 millions d’Indiens, sont hindous. Les musulmans représentent 14,2 % de la population (170 millions de personnes), suivis des chrétiens avec 2,3 % (28 millions).

(Avec Ucanews, New Delhi)


CRÉDITS

Ucanews