Eglises d'Asie – Philippines
Manille : l’Église philippine appelle à réformer le système judiciaire du pays
Publié le 13/10/2022
Plusieurs responsables catholiques philippins ont appelé à une réforme de la justice et du système pénal après la prise en otage, le 9 octobre dernier à Manille, de Leila de Lima, avocate, ancienne sénatrice et opposante à l’ex-président Rodrigo Duterte. L’événement a eu lieu à Camp Crame, le siège de la police nationale philippine, où l’ancienne sénatrice était incarcérée depuis cinq ans.
Trois détenus auraient vu en elle une couverture idéale pour tenter de s’évader, avant d’être finalement abattus par la police. Ils sont suspectés d’être membres du groupe terroriste Abu Sayyaf, accusé d’avoir enlevé et décapité des ressortissants étrangers.
Leila de Lima, présidente de la Commission philippine des droits de l’homme de 2008 à 2010 puis ministre de la Justice de 2010 à 2015, a siégé au Sénat sous la présidence de Duterte à partir de 2016 jusqu’à son arrestation. Elle a été arrêtée en 2017 après avoir été accusée de liens avec des trafiquants de drogue.
Peu avant, elle avait affirmé que le président Duterte avait participé, alors qu’il était maire de Davao, à des « escadrons de la mort » qui ont été accusés d’exécutions extrajudiciaires contre des drogués et des opposants. Selon de nombreuses critiques de l’ancien gouvernement, les accusations portant contre l’ancienne sénatrice ont été fabriquées de toutes pièces.
« Je pense vraiment que j’ai failli y passer »
En évoquant sa prise en otage, Leila de Lima a confié qu’elle a cru mourir, après avoir enduré plus de cinq ans de détention injuste. « En plus de tout cela, j’ai dû subir le couteau d’un codétenu qui m’a prise en otage, dans une tentative désespérée », a-t-elle réagi. « Le preneur d’otage m’a dit que puisque ses deux autres compagnons étaient déjà morts, il était sûr d’être abattu lui aussi et il pouvait aussi bien me tuer. Je pense vraiment que j’ai failli y passer », a-t-elle ajouté.
Après la prise d’otage, le ministre de l’Intérieur, Benhur Abalos, a assuré que le gouvernement était sincèrement préoccupé pour la sécurité de l’ancienne sénatrice et des autres détenus. « Je peux vous assurer que le président a dit que le plus important est que tout le monde soit en sécurité. Nous avons cherché un autre lieu de détention, mais Leila de Lima a dit qu’elle se sent en sécurité là où elle est », a-t-il confié aux journalistes le 10 octobre.
Mgr David dénonce le dysfonctionnement du système judiciaire
Mgr Pablo Virgilio David, président de la Conférence épiscopale philippine (CBCP), a condamné la prise d’otage en affirmant que le système judiciaire du pays est « catastrophique ». « Que peut-on faire quand la justice est biaisée mais que la nation est aveugle ? » a-t-il demandé dans un communiqué. « Quand les véritables criminels s’en sortent sans problème et que ceux qui veulent les poursuivre sont détenus en prison, vous pouvez être sûr qu’il y a quelque chose qui fonctionne terriblement mal dans notre système judiciaire », a-t-il poursuivi.
Teresa Montero, membre d’un groupe catholique local, la pastorale jésuite des prisons (Jesuit prison Ministry), a appelé les autorités à enquêter afin de vérifier les conditions de détention des détenus avant la prise d’otage. Elle a ajouté qu’avec l’aumônerie des prisons, les détenus apprennent à prier, à faire confiance au Seigneur et aux autres, et à patienter. Elle appelle à ne pas juger les détenus pour leurs fautes passées.
200 détenus pour 100 000 citoyens
« Les prisonniers sont souvent considérés comme sans espoir par la société. Mais nous leur apprenons à croire en eux, nous leur disons qu’ils peuvent encore changer et devenir meilleurs parce que Dieu les a créés bons. » Teresa Montero a aussi ajouté que les autorités ont le devoir de respecter strictement le protocole de sécurité. « Quand vous êtes dans une prison, le protocole doit toujours être suivi dans le cas où les détenus tenteraient de s’évader. Le fait que trois d’entre eux l’ont fait, probablement de façon désespérée, pose question sur le manque de sérieux des autorités pénitentiaires. »
Plusieurs organisations affirment que les détenus philippins survivent dans des prisons surpeuplées et dans des conditions insalubres. En 2019, Amnesty International a évoqué plus de 215 000 détenus aux Philippines (pour près de mille prisons), soit 200 détenus pour 100 000 citoyens. Selon la police nationale philippine, en mai 2021, on comptait 117 000 personnes détenues à travers le pays.
(Avec Ucanews)
CRÉDITS
Senator De Lima / Facebook (Ucanews)