Eglises d'Asie

Manipur : l’archevêque d’Imphal dénonce l’incompétence de l’État face aux violences

Publié le 21/06/2023




Mgr Dominique Lumon, archevêque d’Imphal, capitale de l’État du Manipur, au nord-est de l’Inde, a publié un rapport détaillé adressé à tous les évêques indiens, en décrivant la situation des violences entre les ethnies Meiteis et Kukis, qui se poursuivent au Manipur depuis début mai. « Plus de 50 000 habitants n’ont plus de domicile et survivent dans des camps. Il y a un effondrement total de l’appareil de l’État », dénonce l’évêque, en appelant à prier « pour que la paix et la fraternité soient restaurées ».

Le 21 mai dernier à New Delhi lors d’une prière œcuménique pour la paix au Manipur.

« Le silence du Premier ministre, l’incompétence du ministre de l’Intérieur – même après s’être rendu dans la région –, et l’indécision du gouvernement local face aux violences sont inquiétants. Les autorités ne peuvent pas échapper à leur responsabilité et faire porter la faute à d’autres », a dénoncé Mgr Dominique Lumon, archevêque d’Imphal, capitale de l’État du Manipur, au nord-est de l’Inde.

Alors que les violences interethniques se poursuivent maintenant depuis près d’un mois et demi au Manipur, l’évêque a appelé le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi à prendre ses responsabilités. Il l’a fait dans un rapport détaillé adressé à tous les évêques catholiques du pays, sur la situation de l’État indien en proie aux violences depuis début mai entre les ethnies Meiteis et Kukis.

« Les violences et les incendies criminels se continuent plus que jamais, en particulier dans les régions périphériques [de l’État du Manipur]. Des vies précieuses ont été perdues, des maisons et des villages ou été incendiés ou détruits, des biens ont été vandalisés et pillés, des lieux de culte ont été profanés et brûlés », a insisté Mgr Lumon.

« Plus de 50 000 habitants ont perdu leur domicile et survivent dans des camps pour les personnes déplacées. Beaucoup de résidents ont quitté l’État et la capitale, Imphal, pour des régions plus sûres dans l’État voisin du Mizoram et dans d’autres États et métropoles du Nord-Est. Il y a un effondrement total de l’appareil de l’État. En résumé, il y a de la peur, de l’incertitude et un sentiment général d’impuissance. »

« Nous faisons face à l’effondrement de l’appareil étatique »

L’archevêque d’Imphal a remarqué que face aux violences entre les deux communautés, c’est toute la population du Manipur qui souffre, quelles que soient les origines. « En un mois et demi, le gouvernement élu de l’État et l’administration centrale de New Delhi ont été incapables de rétablir l’État de droit et de mettre fin à des violences insensées », a-t-il poursuivi. « On peut dire que nous faisons face à l’effondrement de l’appareil étatique au niveau local. On se demande pourquoi le ‘President’s Rule’ [une intervention directe du gouvernement fédéral, prévue par l’article 356 de la Constitution en cas d’urgence] n’est toujours pas considéré comme une option. »

L’évêque a également affirmé que le nombre de victimes dépasse de beaucoup le chiffre officiel d’une centaine de décès. « Les activités violentes à l’extérieur de la capitale sont vraiment sous-estimées. Mais des maisons continuent d’être incendiées, même au cœur de la ville d’Imphal », a-t-il assuré, en ajoutant toutefois qu’il serait « complètement faux de dire qu’il s’agit d’un conflit religieux ».

Il a malgré tout reconnu que parmi les attaques entre les Meiteis (majoritairement hindous) et les Kukis (majoritairement chrétiens), on compte des violences religieuses. « Sur plus de 200 villages Kukis, chacun d’entre eux a vu une ou plusieurs églises visées. Et presque toutes les 249 églises des communautés chrétiennes Meiteis ont été détruites durant les 36 premières heures du conflit. »

Rester neutre, promouvoir la paix et l’unité et de défendre les personnes en détresse

Mgr Lumon a également signalé l’émergence de milices revendiquant la protection du Sanamahism, la religion traditionnelle dans cette région. « Il y a des témoignages sur des chrétiens Meiteis qui ont été menacés et pressés de revenir à leur religion originelle, et sur des pasteurs à qui on a demandé de ne pas reconstruire leurs églises détruites », a expliqué l’archevêque.

« L’implication d’un troisième élément est visible et similaire à ce qu’il s’est passé durant les émeutes au Gujarat et en Orissa [qui ont eu lieu en 2002 et 2008]. Des gens parlent de ‘guerre contre la drogue’ et d’opération ‘contre les milices Kukis’, ou de ‘combat contre les immigrants birmans illégaux’, ce qui ajoute de nouvelles dimensions aux violences. Mais la question de l’intolérance religieuse émerge aussi clairement », a-t-il ajouté.

Face à ces tensions, l’évêque a estimé avoir le devoir « d’évaluer calmement la situation et d’éviter les décisions trop hâtives qui pourraient être considérées comme partisanes ». Il a donc rappelé sa résolution de rester neutre, de promouvoir la paix et l’unité et de défendre ceux qui sont le plus en détresse.

« Je prie pour que le bon sens revienne »

Les difficultés de la communauté catholique elle-même sont également exigeantes. À ce jour, les prêtres et religieux de l’ethnie Kuki ne peuvent être assignés qu’à des communautés Kukis, selon Mgr Lumon. « Même si nous espérons que la situation revienne bientôt à la normale, il y a des paroisses où les fidèles sont dispersés et où les communautés seront difficiles à reconstituer. Et il y a les écoles qui ont subi un nouveau coup dur en plus des conséquences de la pandémie. »

Selon l’évêque, ce qu’il se passe au Manipur n’est pas un incident isolé, mais cela concerne plus largement toutes les minorités en Inde. « Notre Église au Manipur est endeuillée et attristée. Je prie pour que le bon sens revienne, pour que la paix, le pardon et la fraternité soient restaurés et qu’une coexistence pacifique puisse redevenir une réalité. Veuillez continuer de nous soutenir dans nos prières. »

(Avec Asianews)


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Ucanews