Si l’Évangile du Christ a été annoncé pour la première fois au Vietnam au XVIe siècle, le processus de traduction de la Bible entière, en vietnamien, n’a commencé qu’au début du XXe siècle. En effet, Albert Schlicklin (Cố Chính Linh, nom vietnamien), missionnaire des MEP, envoyé au Vietnam en 1885, est probablement le premier prêtre catholique à traduire la Bible, du latin en vietnamien (Kinh Thánh cứ bản Vulgata) entre 1913 et 1916.
Cette traduction est présentée en deux colonnes : la Vulgate latine et la traduction vietnamienne. Chaque livre biblique commence par une brève introduction générale en vietnamien et le texte est assorti de nombreuses notes de bas de page. Bien que le texte de cette traduction soit en vietnamien ancien, notamment dans la manière ancienne de s’adresser au lecteur, on admire vivement le travail d’un missionnaire étranger qui a entrepris et posé les bases de la traduction et de l’interprétation de la Bible dans notre langue.
Cinquante ans plus tard, en 1962-1963, une autre traduction catholique a été publiée, à Dalat, par le père Gérard Gagnon (Cha Nhân, nom vietnamien), un rédemptoriste. Sa traduction comprend cinq volumes : Torah, Histoire, Sagesse, Prophétie et Nouveau Testament. Chaque livre est généralement précédé d’une brève introduction et contient des notes mais très courtes. Sur le plan littéraire, sa traduction est assez fluide et facile à lire. Pour quelques livres comme les psaumes, les cantiques, etc., le père Gagnon a essayé de traduire dans la forme de la poésie vietnamienne. Cela l’a obligé à modifier le sens du texte original non sans quelques additions et suppressions.
En 1970, nous avons une autre traduction de la Vulgate par un prêtre vietnamien, le père Dominique Trần Đức Huân, (Kinh Thánh Cựu Tân Ước dịch theo bản Phổ thông). Le livre compte environ 2 200 pages avec une longue introduction générale d’environ vingt-cinq pages. On trouve aussi une brève introduction au début de chaque livre et quelques courtes notes en bas de page. En général, cette traduction sonne assez bien Hanoï a publié une bible de 2 362 pages traduite par le cardinal Jean-Marie Trịnh Văn Căn. Dans celle-ci, on trouve de brèves introductions au début de chaque type de livre et de chaque livre, mais presque pas de notes. La traduction utilise un style simple en vietnamien courant, facile à comprendre, mais, à certains endroits, la traduction manque de précision et ne révèle pas pleinement le sens du texte original.
En 1998 est publiée une autre traduction intégrale d’une bible avec de courtes notes. Il s’agit de la première traduction de la Bible entière réalisée par un collectif sous le nom de « Groupe des liturgies des Heures », institué en 1971. Cette œuvre est le fruit d’une coopération de prêtres, religieux, religieuses et laïcs. Leur objectif était de traduire la Bible à partir de l’original hébreu, araméen et grec, en le comparant à la traduction latine pour produire une traduction à la fois fidèle au texte original, en vietnamien, et facile à comprendre. En 2011, ce groupe a publié une nouvelle version de cette bible, ajoutant de nombreuses notes qui expliquent le contexte historique, culturel et théologique. Les mots sont modernes et faciles à comprendre. Cette bible s’accompagne également de références croisées avec d’autres passages bibliques. C’est probablement la meilleure traduction disponible aujourd’hui pour les lecteurs qui veulent lire et comprendre la Bible.
Révéler au monde le salut de Dieu
En décrivant les étapes de la traduction de la Bible en vietnamien, nous admirons les efforts infatigables des traducteurs. Toutes les traductions visent un seul et même but fondamental, celui de révéler au monde le salut que Dieu nous accorde. Nous devons reconnaître le précieux acharnement des prédécesseurs, en particulier les missionnaires étrangers qui ont ouvert la voie pour la traduction de la Bible entière. Des qualités importantes sont requises d’un bon traducteur. Il doit très bien comprendre les langues bibliques et la langue dans laquelle il traduit. Il doit également posséder des connaissances générales et une compréhension suffisante de la culture autochtone. Sa tâche n’est jamais facile.
Évidemment, aucune traduction n’est parfaite. Chaque traduction répond à un but spécifique. Si l’on pense qu’une certaine traduction mérite d’être encouragée parce qu’elle a un style et des mots adaptés à notre temps, on peut penser que, dans quelques décennies, elle sera obsolète. On peut alors lui appliquer le dicton vietnamien : « Quand il y a la lune, on oublie la lampe » ? Toute traduction doit être remise dans son contexte historique. De nos jours, de plus en plus de prêtres, religieux, religieuses et laïcs font des études bibliques. Il peut se faire que dans quelques années des bibles intégrales surgissent, encore plus élaborées, avec de nouvelles connaissances.
Comment les catholiques vietnamiens ont-ils reçu la Bible dans leur vie ? Dans les premiers siècles de l’Église du Vietnam, en raison de nombreuses circonstances difficiles et complexes, la Bible n’était pas disponible. Ils ont été encouragés à se concentrer sur la participation à la messe où le prêtre commentait principalement l’Évangile, aux sacrements et aux cours de catéchèse. La participation à la messe et la mémorisation des questions-réponses de la catéchèse étaient deux conditions fondamentales pour être baptisé et pour pratiquer la foi.
Bref, les fidèles vietnamiens sont aujourd’hui encore habitués à participer à la messe, à apprendre par cœur le catéchisme et à pratiquer la piété populaire plutôt qu’à étudier la Bible. Lire et approfondir la Bible reste, pour eux, encore extérieur. Il est vrai que, dans le passé, l’Église locale au Vietnam n’a pas interdit la lecture et l’étude de la Bible, mais ne l’a pas encouragé. Ce n’est qu’en 2005 que la Conférence épiscopale du Vietnam a publié officiellement une lettre pastorale sur le thème « Vivre la parole de Dieu », en soulignant la priorité du rôle de la Bible dans la vie des croyants : il faut élargir l’accès à la Bible pour les chrétiens, c’est-à-dire créer des moyens et des opportunités pour qu’ils entrent en contact direct avec la parole de Dieu.
Les évêques invitent chaque famille à avoir une bible, au moins le Nouveau Testament. Ils demandent également de créer des lieux pour méditer la parole de Dieu ou individuellement ou en famille ou en communauté. Il faut promouvoir des méthodes d’interprétation adaptées à chaque public, et appliquer des formes de diffusion de la parole de Dieu à l’aide des médias modernes, afin que cette Parole occupe une place centrale dans la vie des catholiques, non seulement dans les temps de prière, mais aussi dans leurs activités quotidiennes. Ainsi, cette lettre pastorale a ouvert une voie extrêmement importante pour l’étude de la Bible et pour l’application de celle-ci dans la vie des chrétiens.
Le premier Congrès biblique national
Le 12 octobre 2007, la Conférence des évêques catholiques du Vietnam a établi le Comité biblique qui a pour tâche de traduire à nouveaux frais la Bible, de promouvoir sa présentation et de coordonner les initiatives d’apprentissage et de diffusion de la parole de Dieu, etc. Du 19 au 21 février 2019, le premier Congrès biblique national s’est tenu au centre pastoral du diocèse de Nha Trang. Le but du congrès fut d’aider les participants à redécouvrir la richesse spirituelle de la parole de Dieu, d’encourager et d’inviter tous les croyants à lire, apprendre, méditer et pratiquer la parole de Dieu.
Dans les années récentes, nous avons vu de nombreux signes encourageants qui ouvrent la voie pour les fidèles à l’accès à la Bible. Les Bibles et les commentaires bibliques peuvent se trouver partout ; des livres bibliques illustrés par des images s’adressant aux enfants sont disponibles ; certains diocèses organisent des cours bibliques pour les fidèles ; des examens bibliques au niveau diocésain ou au niveau paroissial sont proposés dans le but d’approfondir les textes, notamment pour les jeunes ; de petits groupes de partage biblique existent maintenant dans plusieurs paroisses ; de nombreux sites web ont été créés pour enseigner la Bible, etc.
Une Bible encore trop incompréhensible
Cependant, à ces signes encourageants, s’ajoutent encore quelques signes inquiétants. Les diverses traductions de la Bible restent, encore aujourd’hui, difficiles à comprendre pour la majorité des catholiques. Et puis, ils se heurtent à la difficulté des thèmes racontés dans l’Ancien Testament (par exemple : la rétribution, etc.). De plus, les exigences morales racontées dans la Bible semblent au-dessus des forces humaines. Ainsi, pour le lecteur moyen, la Bible reste encore difficile, étrangère et irréaliste.
En outre, fascinés par de mentalités différentes : athéisme, laïcité, consumérisme, académisme, matérialisme, un libéralisme, etc., certains chrétiens interprètent la Bible selon leurs propres idées sans suivre les critères proposés par l’Église, ce qui entraîne de graves conséquences, avec le risque de faire naître de petits groupes séparés de l’Église locale. Elle n’est utilisée que comme un outil au service des intérêts personnels de certains groupes et n’est plus un trésor dans lequel les croyants peuvent découvrir la volonté de Dieu qui guide leur vie.
En bref, la Bible est un message existentiel : vrai pour les gens de l’époque et du milieu dans lequel la Bible a été écrite, mais aussi existentiel pour les chrétiens vietnamiens ici et maintenant, parce que la Bible a été écrite pour nous (cf. Rm 15, 4 ; 2 Tm 3, 16). Comme aucune traduction n’est parfaite, on est obligé, à l’heure actuelle, de travailler sur plusieurs traductions pour transmettre un message authentique aux gens d’aujourd’hui. Comment faire de la Bible la parole de Dieu qui nourrit la vie des chrétiens en pèlerinage vers le royaume de Dieu ? Il est indispensable que chaque membre de l’Église approfondisse sans cesse dans la foi et dans la communion avec l’Église son rapport à la parole de Dieu.
(P. Joseph Nguyen Xuan Phuc, diocèse de Long Xuyen, Vietnam, prêtre étudiant, MEP)
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MEP