Eglises d'Asie – Divers Horizons
Pandémie : l’Indonésie et la Malaisie en première ligne en Asie du Sud-Est
Publié le 25/03/2020
Le 18 mars, en Indonésie, des milliers de musulmans se réclamant du mouvement de prédication Jamaah Tabligh se sont rassemblés sur l’île de Sulawesi. Originaire d’Inde, le courant Tabligh (en français « Association pour la prédication ») se caractérise par un islam conservateur. « Vivre en ce monde est un plaisir fugace, comparé à la vie après la mort », pouvait-on lire parmi les messages de promotion de l’événement. Avant le début de la rencontre, plus de 8 000 participants étaient déjà arrivés sur place à Makassar, la capitale de la province du Sulawesi du Sud, mais il aura fallu attendre la toute dernière minute pour que les organisateurs décident d’annuler la manifestation, sous la pression des autorités locales. « Nous craignons davantage Dieu » que le coronavirus, avait défié l’un des organisateurs, Mustari Bahranuddin, interrogé par Reuters, avant de finalement renvoyer les participants chez eux. Et beaucoup n’ont pu repartir immédiatement.
Au même moment, 1 500 catholiques – dont 32 évêques et des centaines de prêtres venus de tout l’archipel – assistaient à l’ordination d’un évêque sur l’île majoritairement catholique de Flores. Là encore, les responsables religieux ont fait fi des exhortations à annuler, relève l’agence catholique Ucanews. Le maintien de la cérémonie, organisée à l’intérieur de la cathédrale de Ruteng, a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux : des internautes ont accusé l’Eglise catholique indonésienne de mettre en danger de nombreuses vies. Dans un message devenu viral, le chef des forces armées en charge de la lutte contre le Covid-19, en a appelé au président de la conférence des évêques catholiques indonésiens, le cardinal Ignatius Suharyo Hardjoatmodjo qui présidait l’ordination épiscopale: « Le Covid-19 continue de tuer. La propagation ne provient pas des personnes hospitalisées mais des individus porteurs sains qui le transportent sans le savoir. » À la découverte de ce message, le ministre de la Communication indonésien, un catholique, qui avait fait le voyage pour assister à la célébration, aurait précipitamment quitté les lieux pour rentrer à Jakarta. Contrairement aux informations relayées par plusieurs médias locaux, Mgr Silvester San, administrateur apostolique du diocèse de Ruteng, a démenti pour sa part avoir reçu une injonction officielle : « Nous n’avons reçu aucune lettre, seulement un appel. Nous ne pouvions pas annuler aussi tardivement, mais nous avons tenté d’appliquer le protocole préconisé par le gouvernement. » Le diocèse de Ruteng affirme notamment avoir procédé à des contrôles de température individuels ainsi qu’à une distribution de gel hydroalcoolique à l’entrée de la cathédrale. Des mesures similaires à celles mises en avant par les organisateurs du rassemblement islamique de Sulawesi.
Réactions tardives des responsables religieux
Deux semaines avant l’épisode de Sulawesi, le même mouvement Jamaah Tabligh avait déjà organisé une manifestation similaire en Malaisie. Près de 16 000 personnes, soit deux fois plus qu’en Indonésie, s’étaient alors rendues à la mosquée de Sri Petaling, en banlieue de Kuala Lumpur. Quelques jours plus tard, le gouvernement malaisien enregistrait le plus grand nombre de cas confirmés de toute l’Asie du Sud-Est, avec plus de 500 personnes infectées lors de la rencontre organisée dans la mosquée de Sri Petaling. Ironie du sort, les chiffres de l’épidémie explosent aujourd’hui en Malaisie : en tout, au moins 1 500 personnes y auraient contracté le coronavirus. Quant à l’Indonésie, le pays comptant le plus de musulmans au monde déplore désormais plus de morts que n’importe quel autre pays de la région : 49 décès ont été enregistrés au 24 mars. L’archipel a annoncé son premier cas officiel de coronavirus le 2 mars seulement, après avoir longtemps affirmé que l’épidémie avait épargné le pays. Puis le nombre de décès a subitement doublé, passant de 12 à 25 morts en deux jours à peine, lors des rassemblements religieux de Sulawesi et de Flores. De quoi faire grimper le taux de mortalité du coronavirus à plus de 8 % au niveau national : un record mondial, bien au-dessus des niveaux observés en début d’épidémie en Italie, en Chine, en Iran, ou en Espagne, alerte le Johns Hopkins Center for Health Security.
D’ici le début du ramadan, fin avril, le nombre de contaminations pourrait franchir la barre des 70 000, selon un chercheur indonésien interrogé par The Jakarta Post. « Plus l’intervalle durant lequel le nombre de décès double se raccourcit, plus cela est dangereux », s’alarme-t-il. La sous-estimation délibérée du nombre de cas expliquerait aussi la flambée du taux de mortalité. « Nous n’avons pas communiqué certaines données au public car nous ne voulions pas semer la panique », avait ainsi lâché le 13 mars le président indonésien Joko Widodo, aujourd’hui très critiqué pour sa lenteur à régir à l’épidémie. Pour les observateurs, les responsables religieux ont eux aussi tardé à réagir. « Ce moment est finalement arrivé, avec la plupart des célébrations majeures tombant au mois d’avril pour les religions les plus pratiquées dans le monde » rappelle Ucanews. « Les gouvernements asiatiques s’en sont remis aux autorités religieuses pour décider du maintien ou non des prières collectives, augmentant ainsi le risque d’une propagation de l’épidémie de Covid-19 », juge de son côté La Croix dans son édition internationale.
Consignes éparses
« En Malaisie, où la religion relève de la compétence des treize États composant la fédération, seul l’État du Perlis [ndlr : le plus petit du pays] avait annulé tout rassemblement de prière à compter du 13 mars » poursuit Ucanews. Depuis, la Malaisie a décrété un confinement national contrôlé par l’armée, ainsi que la fermeture de ses frontières. Avant de fermer les mosquées du pays à majorité musulmane, il a fallu toutefois s’assurer du soutien à la fois des responsables islamiques et des 13 États qui composent la fédération, souligne Bloomberg. En Indonésie, si le président Joko Widodo a ordonné un dépistage massif, pas question pour l’heure de décréter le confinement dans le quatrième pays le plus peuplé au monde. Au sujet des rassemblements religieux, ils sont interdits mais uniquement à Jakarta, et ce jusqu’à fin mars. Une consigne diversement interprétée. « Les responsables de la mosquée Istiqlal, la plus grande d’Asie du Sud-Est, ont annoncé le 20 mars que la prière du vendredi serait maintenue et que l’édifice resterait accessible aux fidèles », signale ainsi La Croix international. La pièce pour les ablutions serait quant à elle régulièrement désinfectée. Dans le pays comptant le plus de musulmans au monde, beaucoup d’Indonésiens continent de se rendre à la mosquée.
« Même l’Eglise catholique a maintenu les cérémonies ou gardé ses églises ouvertes pour la messe, malgré les menaces croissantes pour la population », renchérit Ucanews. Après la polémique de Ruteng sur l’île de Flores, la plupart des 37 diocèses de l’archipel ont annoncé de manière individuelle la suspension de toutes leurs activités jusqu’à la fin du mois, mais sans trancher la question de la semaine sainte. En Malaisie, toutes les messes sont suspendues à l’exclusion de l’île de Bornéo, pour l’heure moins touchée par l’épidémie. Sur la péninsule, qui s’étend jusqu’à l’archidiocèse de Singapour, membre de la même conférence épiscopale, « seuls les proches pourront assister aux mariages ou obsèques », précise Ucanews. Dans une lettre pastorale, les trois évêques des territoires concernés reconnaissent des mesures « pouvant sembler extrêmes, mais nous sommes également conscients que notre inaction pourrait avoir des conséquences terribles et provoquer une explosion du nombre de cas ».
(EDA / Marianne Dardard)
CRÉDITS
Youtube / Ucanews