Eglises d'Asie

Père Étienne Frécon : « Il y a de vrais signes de vitalité »

Publié le 07/11/2018




Le père Étienne Frécon, arrivé à Taïwan en 2012, a été nommé recteur du séminaire interdiocésain de Taipei. Pour ce prêtre des Missions Etrangères de Paris, l’Église taïwanaise montre de vrais signes de vitalité, comme lors de la Journée nationale de la jeunesse organisée tous les ans en août. Mais il pense qu’elle a aussi besoin d’un véritable élan missionnaire afin de redonner du souffle à de petites communautés vieillissantes. Dans une société fortement sécularisée et happée par la course au profit, Étienne Frécon évoque tout un travail d’accompagnement et de discernement nécessaires pour développer la vie spirituelle dans un contexte peu porteur.

Comment les catholiques taïwanais ont-ils vécu le nouvel accord entre Pékin et le Saint-Siège ?

Père Étienne Frécon : Il est vrai que Taïwan accompagne l’Église de Chine, notamment à travers un travail de traduction et de formation… Beaucoup de prêtres chinois et de religieuses viennent se former à Taïwan, et un certain nombre de gens du continent qui viennent prendre des idées. Mais il y a une véritable angoisse des Taïwanais face au rapprochement entre Pékin et le Vatican, parce qu’ils ont peur d’être abandonnés par Rome. Aujourd’hui, Taïwan a des relations diplomatiques avec le Vatican, même si ce n’est plus un nonce mais un chargé d’affaires. Ils ont peur que ce rapprochement influence les rapports qu’ils ont déjà avec Rome. Au niveau politique, c’est un peu serré, parce que Pékin exerce une vraie pression sur Taïwan. On a ainsi vu, le mois dernier, les pressions exercées sur les compagnies aériennes qui ne peuvent plus utiliser Taïwan et doivent indiquer le nom de la Chine devant Taipei. Au niveau ecclésial, ils ont peur que la relation avec le Vatican, qui reste leur seul partenaire diplomatique européen, soit rompue. Mais quoi qu’il arrive, je pense que l’Église de Taïwan continuera à aider l’Église du continent, même si ce sont deux réalités très différentes. À Taïwan, on est très libre, tout est possible.

Comment se porte l’Église à Taïwan ?

Il y a de vrais signes de vitalité. Il y a des jeunes qui se montrent vraiment motivés, qui vivent de l’Évangile et qui veulent être missionnaires. Par exemple, au mois d’août, comme chaque année, la Journée nationale de la jeunesse est organisée et cette année, l’événement était porté par l’élan de la Journée de la jeunesse asiatique qui a eu lieu en Indonésie. Ils ont donc décidé d’organiser quelque chose d’international en invitant plusieurs pays d’Asie à venir participer à cette rencontre. À Taipei, on trouve plusieurs groupes de jeunes très motivés, qui s’autogèrent pour certains, et qui sont vraiment dans une dynamique missionnaire. Dans mon ancienne paroisse, plusieurs jeunes ont fondé un groupe dans le but d’évangéliser les jeunes. Ils organisent beaucoup d’activités dans les écoles ou à l’extérieur pour attirer les jeunes non chrétiens et partager leur foi. Bien sûr, il y a aussi des signes d’engourdissement, avec certaines communautés qui sont très petites et souvent refermées sur elles-mêmes, avec beaucoup de règles et de rituels. Donc ça manque parfois de dynamisme et d’esprit missionnaire. On balance un peu entre ces deux tendances, mais le champ missionnaire est très vaste.

Vous allez prendre la charge du séminaire de Taipei…

En effet, c’est un séminaire interdiocésain pour toute l’île, qui est géré par la conférence des évêques de Taïwan et qui compte dix séminaristes. Nous sommes une équipe de quatre prêtres de quatre nationalités différentes. Moi-même qui suis français, un Taïwanais, un Coréen et un Chinois du continent qui a passé vingt ans à Fribourg. Il n’y a pas eu de nouveaux arrivants à la rentrée 2018. Mais dix séminaristes pour 300 000 chrétiens, c’est assez significatif, ce n’est pas si mal. Un tiers d’entre eux viennent du diocèse de Hualien, le diocèse aborigène qui a été fondé par Mgr Vérineux, des Missions Etrangères de Paris. Les autres sont des Hans, donc des Chinois. Les vocations viennent soit de familles catholiques traditionnelles, qui le sont depuis deux ou trois générations, soit ce sont de nouveaux convertis qui sont devenus catholiques vers 18-20 ans avant d’entrer au séminaire quelques années plus tard. Avec ce séminaire, nous avons une structure qui marche, les cours sont enseignés à la faculté de théologie, mais je pense qu’il y a gros effort à faire pour donner un élan missionnaire à la formation des prêtres, pour que ce soit contagieux et interpellant pour les jeunes taïwanais. Cela pourra apporter un souffle aux communautés chrétiennes qui sont petites et souvent âgées, et qui ont besoin de pasteurs qui les tirent vers l’extérieur. Enfin, puisque l’on parle des vocations, je pense qu’il s’agit vraiment, en tant que responsable des vocations pour Taïwan, de travailler avec ceux qui s’occupent des jeunes dans les différents diocèses de l’île pour faire en sorte que les jeunes puissent découvrir cette relation au Christ. De là pourra naître un véritable dynamisme qui peut-être, pour certains, les conduira au séminaire.

On constate une tendance à la sécularisation ?

Oui, je pense que l’engourdissement de Taïwan est aussi dû à cela. L’Église s’est beaucoup développée depuis les années 1950 avec l’arrivée de Tchang Kaï-chek. Il y a eu un véritable essor de l’Église catholique, dont le nombre de fidèles est passé de 10 000 à 300 000 environ. Depuis, il y a eu beaucoup de conversions chez les aborigènes et dans la population chinoise, parce qu’avec Tchang Kaï-chek sont arrivés des évêques, des prêtres et des missionnaires, il y a donc eu un vrai développement de l’Église. Cela correspondait aussi avec le développement économique de l’île et beaucoup de personnes se sont converties. Mais aujourd’hui, on se retrouve avec des communautés assez vieillissantes, il n’y a pas eu beaucoup de renouvellement. Le développement économique et le bien-être qui en découle finissent, peu à peu, par amener les chrétiens à quitter toute pratique religieuse. Donc aujourd’hui, le travail d’évangélisation et le travail missionnaire s’appuient beaucoup sur les nouveaux baptisés qui ont vécu une vraie conversion en découvrant la figure du Christ. Ils deviennent des personnes sur lesquelles on peut s’appuyer pour l’évangélisation dans les paroisses. En fait, à Taïwan, on vit bien, on est pris dans une espèce de routine très dynamique avec beaucoup de travail, beaucoup d’exigences de la société, on ne prend pas le temps pour développer sa vie spirituelle. Et sans vie spirituelle, il est difficile d’entendre l’appel du Seigneur. Ensuite, nous sommes dans une société qui, même si le taoïsme et les rites chinois sont présents et qu’il y a un peu de bouddhisme, est très sécularisée. C’est la course au profit et à l’enrichissement… Donc poser l’acte d’être chrétien et d’entrer au séminaire, c’est un acte fort. Il y a donc tout un travail d’accompagnement et de discernement pour développer cette vie spirituelle dans un contexte peu porteur.

(EDA)


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