Eglises d'Asie

Père Landry Védrenne : « La diplomatie du Vatican, c’est la diplomatie de la patience, le martyre de la patience »

Publié le 13/01/2024




Entretien avec le père Landry Védrenne, MEP, doctorant en relations internationales, qui propose d’analyser en profondeur les principes et les buts de la diplomatie vaticane. Pour l’expliquer, il souligne que « la diplomatie du Vatican, c’est vraiment la diplomatie de la patience », en citant le cardinal Casaroli, secrétaire d’État sous saint Jean-Paul II. « Le martyre de la patience », ajoute-t-il. « Si on veut comprendre la manière de fonctionner du Saint-Siège, il faut se placer dans le temps du Saint-Siège, qui est le temps de Dieu. »

Le pape François en août 2014 à Gwangwhamun (Séoul) durant la messe de béatification des 123 Martyrs de Corée.

Le père Landry Védrenne, MEP, doctorant en sciences politiques à la Faculté de sciences sociales, d’économie et de droit (FASSED) de l’Institut catholique de Paris (ICP), chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) dans le programme French Taiwan Studies (FTS), prépare un doctorat sur la diplomatie vaticane dans l’entre-deux-guerres et la seconde guerre mondiale en Chine.

Avant d’analyser plus en profondeur les principes et les buts de la diplomatie vaticane, il évoque deux bonnes nouvelles, confirmées le 8 janvier par une note d’information parue dans le bulletin du Vatican. Une qui annonce que le dernier accord sur des relations diplomatiques complètes avec le Saint-Siège a été établi avec le Sultanat d’Oman le 23 février 2023. La note d’information évoque aussi la nomination, en décembre dernier, d’un représentant pontifical résident au Vietnam.

En adressant ses vœux aux diplomates le 8 janvier, le pape a dressé un bilan de l’état du monde en insistant sur la paix. Au-delà de la défense des intérêts de l’Église, quels sont le rôle et la position du Saint-Siège dans les relations internationales ?

Il faut noter quelque chose d’important dans la diplomatie vaticane : c’est la seule institution religieuse, la seule religion à être sujet de droit international, qui a des relations diplomatiques avec les autres États. Le Saint-Siège a une place sur la scène internationale et entretient des relations diplomatiques. Mais concernant les buts de la diplomatie vaticane, contrairement aux autres États qui défendent leurs intérêts en premier, le Saint-Siège défend bien sûr les catholiques mais pas seulement ; il défend des valeurs plus universelles comme la dignité de la personne humaine, la liberté religieuse, et la défense de la paix.

Je pense que le Vatican, pour le monde, c’est vraiment la voix de la conscience. Même s’il s’agit de personnes et de pays laïcs, ils prêtent attention à la voix du Saint-Père. Il a le rôle d’alerter, et s’il ne le faisait pas, on le lui reprocherait. Même si on n’est pas catholique, on se dirait : tient, le pape ne s’exprime pas. Certains États attendraient aussi que le pape prenne parti. Mais le pape n’est pas de cet ordre-là, parce qu’il est proche de toutes les nations et surtout de tous les peuples qui souffrent. On dit que le pape n’est pas neutre mais qu’il est impartial. Il est « supra partes », au-dessus des partis, et il est là pour la défense de chaque personne. Le pape est pour l’ensemble de l’humanité. C’est très spécifique au Vatican. C’est plus que de la neutralité, on parle de l’impartialité du Saint-Siège.

Cela lui est souvent reproché…

Oui, c’est le cas dans le conflit israélo-palestinien, il n’y a pas eu de prise de parole forte. Sur le conflit ukrainien avec la Russie, au début, le pape s’est déplacé à Rome, à l’ambassade d’Ukraine et à l’ambassade de Russie, mais il n’a pas pris position. Ainsi, au début du conflit, le pape devait se rendre en Russie pour une rencontre œcuménique avec le pope, mais cela ne s’est pas fait en raison de la guerre, pour ne pas envoyer de mauvais message. Parce que le pape ne voulait pas qu’on politise cette rencontre religieuse. Le pape essaie de ne pas être dans un conflit armé, et encore moins de s’enfermer dans une prison politique.

Mgr Gallagher, secrétaire pour les relations avec les États de la secrétairerie d’État, en juin 2023 avec Battsetseg Batmunkh, ministre des Affaires étrangères de Mongolie.

Dans la diplomatie vaticane, le pape François mise beaucoup sur le multilatéralisme, sur la concertation. C’est pour cela qu’il a regretté de ne pas pouvoir se rendre à la COP28 (la conférence de Dubaï de 2023 sur les changements climatiques, du 30 novembre au 12 décembre aux Émirats arabes unis). Il voulait vraiment être présent. Et cela depuis longtemps.

Par exemple, le pape Benoît XV voulait participer à la conférence de paix de 1919 au sortir de la guerre, mais on n’a pas accepté que le Saint-Siège soit présent. Pourquoi ? Parce que l’Italie n’avait pas encore réglé la question romaine avant les accords du Latran de 1929. Et on ne voulait pas reconnaître au pape cette souveraineté temporelle. Il était chef d’État spirituel, mais il n’était pas chef d’État temporel parce qu’il n’avait pas de territoire. C’est une question complexe qui a été résolue par les accords de Latran, ce qui permet au pape d’être vraiment indépendant, et à l’État de la cité du Vatican d’être complètement souverain.

Pour vous, qu’est-ce qui intéresse particulièrement les États qui se rendent au Vatican ? Ce dernier est respecté sur le plan international, mais pas forcément pour des raisons religieuses…

C’est une question très intéressante. Pourquoi tous ces pays veulent se rapprocher du Vatican ? C’est que le Vatican, c’est le seul lieu sur terre qui ait autant d’informations. Déjà quand on regarde les archives vaticanes, dans le passé et encore plus aujourd’hui, on voit que c’est un énorme réseau d’information. Parce qu’on pourrait dire que le pape a des « agents », les prêtres et les catholiques, partout dans le monde, et dans les régions les plus reculées.

Il y a eu le protectorat français sur les missions en Chine, de 1860 à 1946. La France s’est octroyé ce droit à la place du Vatican après les guerres de l’opium : elle a voulu gérer les missionnaires quand ils entraient en Chine et quand ils en sortaient, parce que c’étaient des agents d’information, qui allaient dans les zones les plus reculées de Chine.

Donc le Vatican, c’est un réseau d’information, mais c’est aussi un réseau d’influence. Tout le monde veut avoir son ambassade à Rome. Par exemple, lors de l’élection d’un pape, le rôle d’un ambassadeur de France près le Saint-Siège est de se rapprocher des cardinaux électeurs, pour faire passer les désirs de la France et les faire remonter au pape. C’est pour cela que le rôle de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège a énormément de poids.

Ensuite, il y a le fait que le pape est une figure morale. Religieuse, mais surtout morale. C’est la voix de la conscience. Je me rappelle encore du président Michael Gorbatchev qui voulait absolument sa photo avec le pape Jean-Paul II, pour se racheter une morale. Dès qu’il a eu cette photo, c’était la fin du communisme pur et dur, c’était une autre manière d’affronter l’avenir, avec le passé communiste de la Russie mais aussi avec la sympathie du Saint-Père et la conscience morale.

Pour un chef d’État, « courtiser » le Saint-Père, si l’on peut dire, c’est avoir l’électorat catholique et se donner bonne conscience. Le protocole exprime beaucoup de choses : il faut interpréter, voir, lire, souligner… Le pape, lui, sort parfois de ce protocole. Cela surprend, et s’il le fait, c’est qu’il y a une raison. Pour dépoussiérer tout cela et montrer des messages très forts.

Le président vietnamien Vo Van Thuong offre un cadeau à Mgr Linh, le 14 décembre à l’archevêché de Hué.

Le 22 décembre, juste avant Noël, Mgr Marek Zalewski a été nommé représentant pontifical résident au Vietnam. Cela vient couronner quatorze ans d’échanges du Groupe de travail conjoint Vietnam-Vatican. Comment voyez-vous cette évolution ?

C’est vraiment quelque chose d’important. Le 27 juillet, il y a eu l’Accord sur le statut du représentant pontifical résident et du Bureau du Représentant pontifical résident au Vietnam, suivi de la nomination, le 23 décembre, du Représentant pontifical résident. Et le 25 décembre, le président du Vietnam s’est déplacé à l’archevêché de Hué (Mgr Linh, l’ancien président de la Conférence épiscopale vietnamienne) afin de lui présenter ses vœux, lui dire sa satisfaction quant à cette nomination et lui transmettre l’invitation au Saint-Père de se rendre au Vietnam.

Pourquoi le gouvernement vietnamien fait-il cela ? C’est pour montrer qu’on entre dans une ère nouvelle, et aussi qu’on se détache de la Chine. Parce que le Vietnam n’osait pas bouger jusqu’à présent, en raison de la Chine. Mais l’accord provisoire Chine-Vatican fait penser au Vietnam que la Chine accepterait. Pour la Chine, le Vietnam est toujours un test, une opération de pilotage. La Chine regarde comment fait le Vietnam, regarde si cela passe ou non…

L’invitation du pape au Vietnam par le président du Vietnam est quelque chose de très fort. Cela a été souvent proposé. En l’occurrence, les différents présidents des évêques du Vietnam ont demandé au gouvernement d’inviter le pape, mais la réponse avait toujours été la même : le Vietnam ne pouvait pas assurer la sécurité du Saint-Père. Pour la première fois, ils changent leur discours et invitent le pape. Cela a pris beaucoup de temps, depuis 1975.

C’est là qu’on voit que la diplomatie du Vatican, c’est vraiment la diplomatie de la patience, pour reprendre les mots du cardinal Casaroli, qui était l’architecte de l’ostpolitik de Jean-Paul II. Le martyre de la patience, la diplomatie de la patience. Si on veut bien comprendre la manière de fonctionner du Saint-Siège, il faut se placer dans le temps du Saint-Siège, qui est le temps de Dieu. Le temps des autres nations est lié à des objectifs et à des impératifs économiques, financiers et territoriaux… Alors que le Saint-Siège n’a pas ces objectifs, ni financiers, ni territoriaux.

Dans de nombreux pays d’Asie, la liberté religieuse est attaquée. Dans cette situation, comment parler à la fois aux catholiques et au gouvernement ? Récemment, certains critiques ont même parlé de trahison à propos de l’accord Chine-Vatican…

C’est vrai que c’est une question complexe, et qui fait souffrir quand on ne comprend pas tout. Moi-même, je suis loin de tout comprendre. Mais je me dis que le pape doit avoir des informations que nous n’avons pas. Beaucoup de choses ont été essayées. Le pape doit très certainement savoir ce qu’il fait avec les informations qu’il a. D’autant plus qu’il est jésuite, et je suis persuadé qu’il connaît bien le dossier Chine, puisque la Chine fait partie du génome de l’histoire de la Compagnie de Jésus. Tous les novices connaissent l’histoire de la Compagnie de Jésus, et en particulier son histoire en Chine. Et le pape, comme tout bon jésuite, doit y être très sensible. Ses décisions pour faire avancer le dossier Chine peuvent être surprenantes, mais j’imagine qu’elles sont très réfléchies aussi.

Le pape veut être en Chine pour protéger d’abord les catholiques de Chine, c’est la première chose, établir une nonciature pour être plus proche des Églises locales, mais aussi pour être plus proche de chacun et chacune, chaque Chinois et chaque Chinoise, de diverses religions ou sans religion, de chaque personne humaine. C’est vraiment le désir du Saint-Père de ne pas laisser orphelins tous ces milliards de Chinois : on est là et on voudra être là.

Dans l’avion au retour d’un voyage, il avait parlé des relations avec la Chine en précisant : « Ça avance petit à petit, mais ça marche ! ». Nous n’avons qu’une partie des informations, mais si ça n’allait pas dans le bon sens, il ne se serait pas risqué à dire cela. C’est quand même la parole du Saint-Père ! S’il le dit, c’est qu’il y a des choses qui avancent… en entendant ces paroles, j’ai pensé qu’il fallait faire confiance, il sait ce qu’il fait. Tant de choses ont été essayées qui n’ont pas abouties, et voilà qu’il essaie quelque chose de nouveau. Ce qui est beau, c’est que pour la première fois depuis plus de 50 ans, tous les évêques de Chine sont en communion avec l’Église de Rome, avec le pape. C’est une joie, une grâce. Ce n’était pas gagné au départ.

(Propos recueillis par Églises d’Asie)


CRÉDITS

Jeon Han / korea.net (CC BY-SA 2.0 DEED) ; btgcp.gov.vn / Ucanews ; AKI Press / Ucanews