Eglises d'Asie – Corée du Nord
Plus de dix millions de Nord-Coréens ont besoin d’assistance humanitaire
Publié le 10/06/2021
Près d’un an et demi après le début de la crise sanitaire, la Corée du Nord est plus isolée que jamais. Selon les analystes, les autorités de Pyongyang semblent profiter de ces temps difficiles pour renforcer la loyauté du peuple nord-coréen au régime communiste. La Corée du Nord a été le premier pays à imposer un confinement strict après la fermeture des frontières en janvier 2020, afin d’empêcher le virus de pénétrer dans le pays depuis la Chine voisine, d’où la pandémie a émergé avant d’atteindre le monde entier. Pyongyang insiste pour dire qu’il n’y a eu aucun cas de coronavirus dans le pays, affirmation suspecte pour les analystes. Quoi qu’il en soit, le pays a souffert de lourdes conséquences économiques à cause de la crise sanitaire, et le dirigeant lui-même, Kim Jong-un, a reconnu les difficultés actuelles subies par son peuple, en leur demandant de se préparer « au pire ».
D’autant plus que la Corée du Nord subit toujours une série de sanctions internationales contre son arsenal nucléaire et ses programmes de missiles balistiques. Par conséquent, le pays, qui s’est longtemps démené pour parvenir à sortir de la crise alimentaire, traverse toujours des périodes de pénurie. Sans compter le fait que le commerce avec la Chine, principal partenaire économique de la Corée du Nord, s’est effondré durant la pandémie. Bien que les échanges aient repris sensiblement depuis quelques mois – les chiffres publiés par les douanes chinoises indiquent l’importation de biens depuis la Chine, en avril dernier, d’une valeur de 29 milliards de dollars US, soit plus du double par rapport à mars –, ce n’est qu’une fraction de la situation commerciale avant le Covid-19.
Au moins 10 millions de Nord-Coréens dans le besoin
« Pyongyang était déjà en difficulté avant la pandémie », assure Soo Kum, ancien analyste de la CIA, qui travaille aujourd’hui pour la Rand Corporation (un institut de conseil et de recherche américain). « La pandémie de coronavirus renforce les difficultés systémiques, institutionnelles et économiques préexistantes », ajoute-t-il. Face aux restrictions strictes imposées contre le virus, tout le personnel des Nations unies et les autres travailleurs humanitaires étrangers ont quitté la Corée du Nord au début de la crise sanitaire. Plusieurs groupes humanitaires de l’ONU ont confirmé à l’AFP que le document annuel « Besoins et priorités » – un rapport clé qui résume la situation humanitaire dans le pays et qui constitue la base des appels de l’ONU – ne sera pas publié cette année. Cette décision coordonnée a été prise « en l’absence de travail d’évaluation et de suivi sur le terrain, en raison des restrictions de mouvement liées au Covid-19 » a déclaré Edwin Salvador, représentant de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) à Pyongyang.
Selon un porte-parole de Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les conséquences de la crise sanitaire ont « très probablement aggravé » la situation humanitaire en Corée du Nord, avec près de 10,6 millions de personnes dans le besoin (sur une population d’environ 25,8 millions d’habitants). Le Programme alimentaire mondial (PAM), qui représente de loin la plus forte présence humanitaire internationale dans le pays, a prévenu qu’il pourrait devoir cesser ces opérations en Corée du Nord cette année en raison de l’absence d’importations alimentaires. Kim Jong-un est passé à de rares aveux en avril dernier, en appelant les membres du gouvernement de Pyongyang à « se préparer à une nouvelle ‘marche forcée’ de travail et de sacrifice, afin de soulager les difficultés de notre épreuve ». Cette expression « marche forcée » fait le lien entre la crise économique actuelle et une période de famine et de désastre dans les années 1990.
Propagande et endoctrinement
L’allusion du leader nord-coréen semblait destinée à motiver la population à « faire face à l’adversité » et à travailler pour la « survie de la nation », explique Gianluca Spezza, chercheur associé à l’institut ISDB (Institute for Security and Development Policy) de Stockholm. « Si nous avons appris une chose de l’histoire de la Corée du Nord, c’est que la nature particulière du nationalisme nord-coréen fait que la République populaire démocratique de Corée ‘prospère’ en temps de crise », ajoute le chercheur, en utilisant le nom officiel du régime. Ces derniers mois, Kim Jong-un a publié une série de longues lettres adressées aux organisations du régime comme la Ligue de la jeunesse ou la Fédération générale des syndicats de Corée, en les saluant d’avoir porté le « témoin de la loyauté et du patriotisme », selon KCNA (l’agence de presse officielle nord-coréenne). Les médias officiels du pays ont également publié une dizaine de rapports depuis mars 2021, en évoquant notamment plusieurs centaines de jeunes – parfois des orphelins – « volontaires » participant à des travaux manuels pour l’État, revenant au passage à un style de propagande dépassé depuis de nombreuses années.
« Pour Pyongyang, parler des jeunes qui font la queue pour être volontaires dans les mines, c’est certainement une façon d’affirmer son identité face au reste du monde, même si les étrangers voient généralement ces pratiques comme une violation systématique des droits de l’homme », estime Michael Madden du Stimson Center (un groupe de réflexion américain à but non lucratif). Le dirigeant nord-coréen a également parlé de réprimer les jeunes « criminels » contaminés par les influences étrangères, qui constituent de « dangereux poisons » pour l’idéologie d’État – en réaction à des rumeurs de jeunes nord-coréens amateurs de séries, films et musiques sud-coréennes. Dans sa lettre à la Ligue de la jeunesse, le leader a dénoncé les « paroles, les actes, les coupes de cheveux et les accoutrements des jeunes », en annonçant qu’une large opération de « nettoyage ».
Selon Michael Madden, le régime cherche à endoctriner les jeunes générations, qui ont vécu la « marche forcée » étant enfants. Pour le chercheur, Pyongyang veut ainsi « ajuster les attentes des jeunes concernant leur vie matérielle et culturelle » en Corée du Nord et les « rapprocher du parti et du régime », en les rendant « moins dépendants de choses comme les marchés et les feuilletons télévisés sud-coréens ». Par ailleurs, des analystes soulignent que la pandémie permet à la Corée du Nord de décliner toute responsabilité concernant ses difficultés économiques. Go Myong-hyun, de l’Institut Asan d’études politiques, basé à Séoul, explique que « les autorités nord-coréennes peuvent accuser le virus d’être responsable de problèmes qui existaient déjà bien avant la pandémie ».
(Avec Ucanews)
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