Eglises d'Asie

Province de Quang Tri : malgré un climat favorable, les paludiers vietnamiens face à la crise

Publié le 26/06/2020




La commune de Gio Viet, dans la province de Quang Tri, dans le centre du Vietnam, compte de nombreux foyers qui récoltent du sel et dépendent des journées ensoleillées pour leur production. Cette année, malgré un climat favorable, la population locale souffre de la chute des prix du marché et de la demande domestique. Une situation liée en partie au confinement, alors que de nombreux pêcheurs ont perdu leurs emplois, mais aussi causée par la baisse des réserves de poissons dans la région, depuis les déversements toxiques de la société Formosa en 2016. Les habitants de la région utilisent le sel pour conserver le poisson, préparer les sauces à base de poisson et les bocaux de légumes en saumure.

Truong Thi Gai porte des paniers de bambou remplis de cristaux de sel dans ses salins de Gio Viet, dans la province de Quang Tri.

Par un soleil brûlant et près de 40°C, Truong Thi Gai, son mari et leurs deux enfants se démènent autour de petits bassins d’eau de mer pour y récolter du sel. Ils y consacrent toutes leurs journées, en pompant l’eau de mer dans des parcelles rectangulaires avant l’aube, et en transportant les cristaux de sel dans des paniers en bambou jusqu’au soir. Truong Thi Gai, qui porte un chapeau conique et des gants, porte deux paniers remplis de sel sur ses épaules, jusqu’à une charrette à bras posée au bord d’un bassin. Les deux paniers pèsent environ 20 kg. Après avoir vidé le sel dans la charrette, elle fait une pause de quelques minutes, essuyant la sueur de son visage rougi par la chaleur. Truong Thi Gai, âgée de 52 ans, explique que sa famille récolte du sel sur un terrain de 3 000 m². « Cette année, le temps est très ensoleillé et c’est une bonne récolte », se réjouit-elle. « Nous récoltons environ 600 kg de sel par jour, mais nous ne gagnons que 350 000 dongs [13 euros] par jour », ajoute-t-elle. Elle confie que depuis mai, ils ont gagné seulement 14 millions de dongs (538 euros), soit moins de la moitié de ce qu’ils ont gagné durant la récolte précédente. « Les commerçants locaux achètent le sel à bas prix à cause de la diminution de la demande domestique », regrette-t-elle. À côté de leur terrain, Tran Van Kinh, qui porte deux chapeaux afin de mieux se protéger du soleil matinal, utilise deux canaux afin de transporter l’eau de mer dans les salins. Il dépose le sel en tas puis le met dans des sacs, tandis que sa femme et ses deux filles les transportent le long des allées étroites entre les bassins, vers une route à proximité pour y vendre le sel. Le travail débute à 4 heures du matin.

« Nous récoltons environ 700 kg de sel par jour, soit 200 kg de plus que l’an dernier ; mais les prix du marché ont baissé de moitié par rapport à l’an dernier », explique le fermier de 45 ans. La famille vend le sel aux commerçants pour seulement 590 dongs (deux centimes d’euro) par kilogramme. Tran Van Kinh, dont la peau est bronzée et marquée par dix ans de travail dans les marais salants, confie que sa commune de Gio Viet, dans la province de Quang Tri (qui compte une forte communauté catholique), dans le centre du Vietnam, compte une trentaine de foyers qui récoltent du sel et dépendent des journées sèches et ensoleillées pour une production maximale. Il ajoute qu’ils vendent leur sel aux commerçants locaux, qui le revendent jusqu’à ce que les produits rejoignent les cuisines ou les usines des provinces de Quang Tri et de Thua Thien Hue. Les habitants de la région utilisent le sel pour conserver le poisson et préparer les sauces nuoc-mâm (à base de poisson). Le sel est également utilisé pour préparer de la saumure, entre autres. Tran Van Kinh explique qu’ils travaillent toute la journée durant la récolte annuelle, qui dure de mai à juin environ. Il ajoute que leurs revenus sont à peine suffisants pour vivre dignement. « Mes filles doivent attraper des petits crabes sur la côte afin de compléter nos repas », précise-t-il, en ajoutant qu’ils économisent un peu d’argent pour les soins occasionnels.  

« Quand il commence à pleuvoir en juillet, nous avons tous faim »

Les fermiers locaux sont à l’arrêt durant la saison froide et pluvieuse et quand la mer est plus agitée. Certains utilisent leurs bassins pour élever des crevettes, tandis que d’autres vont trouver du travail ailleurs durant cette période. « Quand il commence à pleuvoir en juillet, nous avons tous faim », confie Tran Van Kinh. Il compte trouver du travail sur des bateaux de pêche dans le district de Hai Lang, tandis que sa femme ira travailler au marché local, et ses filles iront travailler dans la ville de Dong Ha. Il ajoute qu’il prévoit de préparer ses salins pour élever des crevettes en septembre, mais il espère emprunter de l’argent à la banque pour cela. Vo Thi Thu Suong, l’un des revendeuses de sel les plus florissantes du marché de Quang Tri, explique qu’elle vend en moyenne 100 kg de gros sel brut et de sel fin par jour. Le sel y est vendu entre 1 300 et 2 500 dongs (entre 5 et 10 centimes d’euro) par kilogramme. Elle confie qu’autrefois, elle vendait entre 600 et 1 000 kg de sel par jour pour environ 2 650 à 5 650 dongs (10 à 20 centimes d’euro) par kilo. Le Thi Tho, qui produit de la sauce nuoc-mâm dans la province de Quang Tri, explique que cette année, elle n’a acheté que 200 kg de sel parce qu’elle n’a pas pu acheter beaucoup de poissons aux pêcheurs locaux, qui ont perdu leurs emplois durant la pandémie.

Le Thi Tho ajoute que l’année dernière, elle a acheté plus d’une tonne de sel pour sa production. La province compte environ 160 producteurs de sauce comme elle. Le Thi Phuong, qui produit de la sauce nuoc-mâm dans la province de Thua Thien Hue, explique avoir utilisé, l’an dernier, près de deux tonnes de sel ; cette année, elle n’a pu en acheter que 400 kg. « Les pêcheurs locaux n’ont attrapé que le quart de leur récolte de l’an dernier, avec des poissons comme des anchois, des sardines et des maquereaux. Ce n’est pas suffisant », regrette-t-elle. Tran Thi Hue, qui vend des légumes en saumure (en bocaux) à An Hoa, près de Hué, explique de son côté que les longues saisons sèches ont diminué la production de légumes. « Nous en manquons, c’est pourquoi nous n’avons pas pu acheter beaucoup de sel », ajoute-t-il. Pham Van Doi, un pêcheur du district de Vinh Linh, âgé de 54 ans, confie que les ressources en poissons et crustacés ont baissé depuis 2016, quand les eaux locales ont été empoisonnées par les déchets toxiques déversés par la société taïwanaise Formosa, basée à Ha Tinh. Il ajoute que ces derniers mois, beaucoup de pêcheurs locaux n’ont pas pu attraper de poissons autour des îles Paracels (un archipel disputé par les puissances régionales, situé en mer de Chine méridionale), de peur d’être attaqués par des bateaux chinois.

Baisse de la demande et chute des prix

En 2019, la province de Quang Tri a enregistré 2 300 chalutiers et bateaux de pêche pour environ 27 000 tonnes de poissons récoltées. La même année, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a enregistré une production totale de plus d’un million de tonnes de sel au Vietnam, et une importation d’environ 550 000 tonnes de sel depuis l’étranger, ce qui a causé une offre excessive dans le pays. Francis Le Dinh Tao, dont la famille a travaillé dans les marais salants pendant plusieurs générations, confie que quatre familles locales, qui avaient dû déménager ailleurs en l’an 2000, sont revenues pour produire du sel. « Cette année, grâce au climat ensoleillé, nous avons de bonnes récoltes, mais nos revenus sont insuffisants à cause des prix du marché qui ont chuté jusqu’à un tiers des prix des années précédentes, et la demande domestique a chuté de près de 50 % », confie cet ancien récoltant, âgé de 73 ans. « Notre travail est rude et nos revenus fluctuants, mais si nous arrêtons la production, nous serons affamés, parce que cela reste notre source de revenus principale. »

(Avec Ucanews, Quang Tri)


CRÉDITS

Ucanews