Eglises d'Asie

Pyongyang cherche à contenir l’influence culturelle et linguistique de Séoul dans le Nord

Publié le 11/07/2023




Avec la dernière Loi sur la protection de la culture et de la langue de Pyongyang, votée en janvier dernier par la 14e Assemblée populaire suprême du gouvernement nord-coréen, le régime communiste promet de réprimer sévèrement toute utilisation et propagation de termes appartenant au dialecte de Séoul. Au fil des décennies, le coréen tel qu’il est parlé dans les deux Corées a évolué différemment, et la langue représente un véritable outil idéologique pour la Corée du Nord.

La statue du roi Sejong le Grand, sur la place Gwanghwamun au centre de Séoul. Le hangeul, l’alphabet coréen, a été créé par le roi Sejong au XVe siècle.

Ce mois-ci, la Corée commémore le 70e anniversaire de l’armistice qui a marqué la division de la péninsule ; depuis, les tensions et provocations entre Pyongyang et Séoul se poursuivent, et se sont même aggravées ces dernières années. Mais au-delà des discours officiels et des tests de missiles, il y a une autre frontière spéciale entre les deux Corées : celle représentée par la langue.

Durant sa huitième session, organisée entre le 17 et le 19 janvier 2023, la 14e Assemblée populaire suprême (SPA) a voté une Loi sur la protection de la culture et de la langue de Pyongyang (Pyongyang Cultural Language Protection). La nouvelle loi, destinée à préserver la version nord-coréenne de la langue coréenne, prévoit des sanctions sévères pour tout citoyen coupable d’utiliser et de répandre des termes appartenant au dialecte de Séoul – surnommé « langue des pantins » (« Puppet Language ») par le régime de Pyongyang.

C’est la toute dernière mesure entrée en vigueur afin de contrer la propagation de la culture sud-coréenne en Corée du Nord, avec des promesses de poursuites envers tous ceux qui utilisent, imitent ou répandent des éléments linguistiques appartenant à la Corée du Sud. Les sanctions prévues peuvent aller du travail forcé à l’exécution, ainsi qu’il est mentionné explicitement par l’article 6 de la loi.

Un outil majeur pour l’idéologie nord-coréenne

La question de la langue est particulièrement sensible pour le Nord, qui a multiplié les mesures ces dernières décennies pour supprimer toute forme d’influence étrangère dans le pays. Le Coréen, en tant qu’élément culturel, est ainsi fortement politisé. Durant les années 1960, l’ancien dirigeant Kim Il-sung, grand-père de l’actuel dirigeant Kim Jong-un, a vu dans la langue et sa diffusion une arme importante pour l’avancée de « l’éducation des masses » vers une idéologie commune. C’est donc devenu un outil majeur pour la création d’une société socialiste coréenne.

Après plusieurs décennies de séparation, le coréen parlé au Nord et au Sud a évolué différemment, même s’il reste la même langue. D’un côté, on trouve le coréen de Séoul, qui n’a retiré que partiellement les termes étrangers hérités du Japon durant l’époque coloniale, et qui a également assimilé peu à peu des termes anglophones. De l’autre, le coréen de Pyongyang a purgé presque toute influence linguistique étrangère (souvent d’origine chinoise et japonaise).

Ainsi, le Nord cherche à préserver la pureté de la langue coréenne, comme un moyen de préserver son unité idéologique ; ce n’est donc pas surprenant que de Kim Il-sung à Kim Jong-un, les mesures lancées afin d’isoler le pays sur le plan culturel aient pris une dimension importante pour la politique nationale.

La nouvelle loi en elle-même complète une autre loi votée en 2020 appelée « Loi anti pensée réactionnaire ». Avec la loi de 2020, le gouvernement cherchait à mettre en place des solutions afin de limiter la diffusion de documents importés illégalement depuis l’étranger. En 2022, il y a ainsi eu l’exécution publique de deux adolescents, dont l’âge estimé était de 16 et 17 ans. Les deux jeunes avaient tenté de vendre dans leur marché local des clés USB contenant des contenus multimédias importés illégalement depuis la Corée du Sud et l’Occident.

L’idée de limiter totalement la « contagion culturelle » dans le pays n’est toutefois ni possible ni réaliste. Alors qu’en Occident, le phénomène de la « Hallyu » (une augmentation importante de la diffusion internationale de la culture sud-coréenne) se poursuit de manière significative depuis plus d’une décennie, en Corée du Nord, des films, musiques, séries, livres et cosmétiques sud-coréens ont passé la frontière illégalement pour être vendus au marché noir dès les années 2000. Le phénomène a d’ailleurs été facilité par la « révolution numérique ».

Le rayonnement culturel de la Corée pourrait contribuer à la réunification

Aujourd’hui, en Corée du Nord, c’est la génération « Jangmadang » (ceux qui sont nés durant les années 1990) qui est la plus influencée par cela et qui sont devenu les protagonistes de la propagation de la langue de Séoul, en raison des contenus passés en contrebande. Pour Séoul, le phénomène de la « Hallyu » représente une source importante de « soft power » (la capacité d’un État à exercer une influence sur la scène internationale, au-delà de la puissance militaire).

Ceci a permis la propagation et la popularisation de sa culture à l’étranger, en entraînant une croissance économique significative dans les secteurs impliqués, tout en contribuant à l’étude du coréen à l’étranger. En 2022, le coréen était ainsi la septième langue la plus étudiée sur l’application smartphone Duolingo, au-dessus du mandarin. Mais dans le cas de la Corée du Nord, le phénomène peut avoir d’autres avantages.

La propagation de la culture et du dialecte de Séoul à Pyongyang – en particulier parmi les générations qui sont aujourd’hui plus distantes historiquement de la révolution socialiste, et qui peuvent voir la vie et le système social représentés à travers les médias étrangers comme une alternative attractive – pourrait en effet contribuer à fragmenter l’identité idéologique du Nord.

Le rayonnement culturel de la Corée pourrait également jouer un rôle majeur pour la réunification de la péninsule, à l’image de ce qu’avait apporté l’introduction du système d’écriture du hangeul, l’alphabet coréen créé au XVe siècle. Conçu en 1443 durant le règne de Sejong le Grand, il était destiné spécifiquement à faciliter l’apprentissage du coréen écrit, avec l’introduction d’un alphabet phonétique au lieu des caractères chinois. À l’époque, le but était de simplifier la communication et la compréhension culturelle, ainsi qu’on aimerait le voir aujourd’hui entre Séoul et Pyongyang.

(Avec Asianews)


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